Eduardo Gramuglia Pallavicino: «Le développement de nos activités s’envisage à l’échelle de la planète, avec la volonté de diversifier notre clientèle au-delà des États-Unis et de l’Europe.» (Photo: Jan Hanrion/Maison Moderne)

Eduardo Gramuglia Pallavicino: «Le développement de nos activités s’envisage à l’échelle de la planète, avec la volonté de diversifier notre clientèle au-delà des États-Unis et de l’Europe.» (Photo: Jan Hanrion/Maison Moderne)

State Street veille sur quelque 1.000 milliards d’actifs au départ de structures luxembourgeoises, ce qui en fait le leader dans l’asset servicing. Eduardo Gramuglia Pallavicino, qui a accédé à la fonction de country head de State Street à Luxembourg en novembre 2019, évoque les clés de cette réussite et les défis à relever pour l’avenir.

State Street administre plus 1.000 milliards d’actifs de dollars, soit près d’un quart des actifs domiciliés au Luxembourg. Quels sont les éléments qui, localement, ont contribué à ce succès?

– «Nous fêtons nos trente années de présence au Luxembourg. Notre croissance est intrinsèquement liée à notre engagement fort, sur le long terme, au niveau de la place financière. Au fil de ces années, Luxembourg est devenu l’un des principaux centres pour les fonds d’investissement en Europe et même au monde. Nous avons à la fois accompagné et bénéficié de ce développement.

Si State Street a grandi avec l’industrie des fonds, vous êtes aussi parvenus à vous démarquer d’autres acteurs…

«Nous avons aussi nos propres réussites puisque notre croissance moyenne a été supérieure à celle du marché. Ce succès s’établit sur plusieurs facteurs. D’abord, il y a les relations que nous entretenons avec nos clients, des détenteurs d’actifs et des asset managers dont l’empreinte est globale et qui ont fait du Luxembourg un domicile privilégié pour leurs véhicules.

Nous les accompagnons dans la réalisation de leurs ambitions au départ du Luxembourg mais aussi à travers l’ensemble de la planète, sur le long terme. Au fil de notre histoire, nous avons su construire des partenariats solides avec des clients qui sont devenus des références dans leur domaine. Nous grandissons avant tout avec eux.

Ensuite, nous avons procédé à des opérations de fusion et d’acquisition, comme la reprise de l’activité de funds services d’Intesa Sanpaolo, il y a une dizaine d’années. La croissance a aussi été soutenue par l’externalisation de certaines opérations d’asset servicing de grands acteurs, comme Goldman Sachs, auprès de nos équipes. Enfin, le développement de nos activités s’envisage à l’échelle de la planète, avec la volonté de diversifier notre clientèle au-delà des États-Unis et de l’Europe, et en développant des expertises et des services autour de produits au fort potentiel.

. Quels sont les objectifs qui vous ont été confiés? Quelles sont vos ambitions?

«L’ambition est de poursuivre sur la voie de la croissance. Si l’on peut se féliciter d’avoir atteint l’année dernière le cap de 1.100 milliards de dollars d’actifs confiés à State Street, la volonté est de continuer à grandir. Nous allons naturellement poursuivre les efforts, en allant à la rencontre de nouveaux clients, en cherchant à établir de nouveaux partenariats. Nous continuons à convaincre des asset managers de profiter des avantages d’un centre comme Luxembourg pour domicilier leurs véhicules.

Au-delà, l’ambition aussi est de se concentrer sur les enjeux de transformation, dans la manière dont nous servons les clients, en accompagnant l’équipe pour lui permettre de rester engagée et prête à relever de nouveaux défis. Cette transformation intègre aussi l’évolution des produits et des services, avec la volonté d’être en mesure de répondre aux évolutions à venir. Une meilleure intégration de la technologie au niveau de notre bureau luxembourgeois, pour fluidifier les processus ou encore éliminer le papier, doit nous permettre d’envisager l’avenir plus sereinement et de mieux absorber la croissance.

Les fonds alternatifs, qui n’étaient encore que des produits de niche il y a quelques années, deviennent désormais mainstream.
 Eduardo Gramuglia Pallavicino

Eduardo Gramuglia Pallavicino country headState Street Luxembourg

En termes de services, comment a évolué l’activité de State Street au Luxembourg ces dernières années?

«À l’échelle globale, nous menons d’autres activités, comme de l’asset management ou des offres liées à l’analyse de données financières. Si l’on regarde le Luxembourg plus spécifiquement, notre activité se concentre essentiellement sur l’asset servicing. Dans ce contexte, l’évolution la plus marquante de ces dernières années a trait au développement du segment alternatif. Du côté des fonds traditionnels, on a surtout assisté au développement des ETFs.

Luxembourg est avant tout un domicile de distribution. Les évolutions relatives aux fonctions d’agent de transfert, de distribution, etc. ont essentiellement résidé dans l’intégration des possibilités offertes par la technologie pour gagner en efficience. Par contre, les fonds alternatifs, qui n’étaient encore que des produits de niche il y a quelques années, deviennent désormais mainstream. Pour maintenir leurs relations avec les investisseurs, nos clients ont dû adapter leurs offres, en tenant compte de cette tendance, et proposer de nouveaux produits. Au niveau de State Street, cette évolution majeure de la demande a été bien accompagnée et s’est traduite par l’adaptation de nos systèmes, l’acquisition d’une nouvelle expertise et l’évolution de nos modèles de services.

Qui sont vos clients et comment leurs attentes évoluent-elles?

«Notre clientèle est institutionnelle. Globalement, elle est segmentée entre les asset owners, les asset managers, les alternative asset managers, les compagnies d’assurance et les institutions officielles. Au Luxembourg, elle est composée essentiellement d’asset managers développant des activités tant sur le segment des fonds traditionnels que sur celui des alternatifs. Avec le Brexit, on a aussi vu arriver plusieurs compagnies d’assurance sur le marché.

Les attentes des clients évoluent, en raison notamment d’une plus grande pression sur les marges. Cette tendance nous oblige à chercher des économies d’échelle et à garantir une maîtrise accrue des coûts, notamment grâce à un meilleur usage de la technologie. D’autre part, les clients attendent de nous que nous les soutenions dans la mise en œuvre et le déploiement rapide de nouveaux produits sur le marché, comme des fonds alternatifs ou encore le Raif, propre à Luxembourg.

Que représente le Luxembourg à l’échelle de votre groupe? En quoi la place financière luxembourgeoise est-elle importante pour State Street?

«Pour notre groupe, Luxembourg est avant tout vecteur de croissance. C’est un domicile dont le potentiel de développement reste parmi les plus importants au monde. Considérant le poids de l’industrie des fonds luxembourgeois à l’échelle du marché européen et même mondial, il est fondamental d’y développer notre présence. Nous devons être en mesure de soutenir nos clients au départ de Luxembourg, aussi bien ceux qui y sont déjà présents que ceux qui veulent s’y établir.

Notre croissance est liée à la prospérité de l’industrie des fonds luxembourgeoise.
 Eduardo Gramuglia Pallavicino

Eduardo Gramuglia Pallavicino country headState Street Luxembourg

Quelles sont les grandes tendances qui, à vos yeux, font bouger le marché? Et, au regard de celles-ci, comment l’activité est-elle appelée à évoluer dans les années à venir?

«L’évolution de la réglementation est un vecteur de changement important à l’échelle du marché. Elle nous a beaucoup occupés ces dernières années, avant que le Covid ne joue les éléments perturbateurs, et sera encore au cœur de nos préoccupations dans les années à venir. Il est essentiel de garder un œil sur les évolutions à venir afin de pouvoir nous adapter aux nouvelles réglementations attendues. Si l’on se place du point de vue du client, d’autre part, le suivi des projets réglementaires nous permet d’être à ses côtés et de l’aider à s’adapter et à saisir les opportunités liées par exemple à la mise en œuvre d’un nouveau véhicule.

Au-delà de la régulation, avez-vous identifié d’autres tendances majeures?

«La fintech, dans son approche la plus large, constitue aussi un vecteur majeur de changement. Autour de la technologie distributed ledger, qui supporte notamment le bitcoin, beaucoup de nouvelles applications sont envisagées dans les domaines de la cryptocurrency ou de la tokénisation. La technologie doit aussi permettre de se rapprocher du client, de communiquer plus efficacement avec lui. Beaucoup d’évolutions sont attendues dans ce domaine.

Comment appréhendez-vous les futurs chantiers liés au développement des fonds ESG?

«La demande pour de tels produits va continuer à progresser dans les années à venir. Et la régulation, visant à amener plus de transparence en la matière, va se renforcer. Dans cette perspective, notre rôle sera notamment d’aider nos clients à se maintenir en conformité avec la régulation inhérente à ces produits. L’industrie luxembourgeoise a une réelle carte à jouer à ce niveau, même si d’importants chantiers pour harmoniser les pratiques et les exigences doivent encore être menés. Il faut éviter que la dynamique ne soit compromise par de mauvaises pratiques. Le greenwashing est la principale menace en la matière. Nous devons nous assurer que l’investisseur soit en mesure de comprendre dans quoi il place son argent et que les investissements effectués correspondent bien à ses préférences et attentes.

Par ailleurs, plus que d’être en mesure de comprendre les enjeux en matière d’investissement responsable et durable, je pense que nous devons intégrer ces critères ESG à l’échelle de notre organisation. Au début de cet entretien, vous m’avez demandé quelles étaient mes ambitions en tant que responsable de l’entité luxembourgeoise de State Street. Il est évident que le développement durable fait partie des priorités poursuivies. Il est au cœur de nos réflexions relatives à l’évolution de nos activités, à l’usage des technologies pour un bureau sans papier, par exemple, et à la manière dont nous occupons l’espace. Le développement durable fait partie de notre ADN.

Cela fait beaucoup de chantiers à mener de front. Comment appréhendez-vous tous ces défis?

«Ce n’est pas toujours facile. Nous avons des équipes dédiées à chacun d’eux. Par exemple, à l’échelle globale, l’équipe «produits et innovation» détermine les initiatives à mener selon une approche top-down afin de s’assurer que l’ensemble du groupe continue à évoluer et appréhende le changement comme il se doit. D’autre part, localement, les équipes prennent aussi des initiatives propres. Elles peuvent partager des idées au niveau du groupe, pour soutenir notre développement global, tout comme elles s’attachent à des chantiers directement liés à Luxembourg en tant que domicile.

Les changements que vous évoquez, liés à la régulation ou encore à la fintech, ne concernent pas uniquement State Street, mais tous les acteurs de la place financière. Comment l’industrie luxembourgeoise des fonds, dans son ensemble, appréhende-t-elle ces défis?

«Notre croissance est liée à la prospérité de l’industrie des fonds luxembourgeoise. Je fais partie du board of directors de l’Alfi et de celui de la Luxembourg House of Financial Technology (Lhoft). Les acteurs de la Place, mais aussi les membres du gouvernement, nourrissent de fortes ambitions pour le développement futur de l’industrie. Ils partagent la même volonté de s’assurer que le Luxembourg soit en capacité de s’adapter en permanence aux évolutions.

L’histoire démontre que Luxembourg est le plus souvent parvenu à saisir les opportunités au bon moment, avec beaucoup de pragmatisme.
 Eduardo Gramuglia Pallavicino

Eduardo Gramuglia Pallavicino country headState Street Luxembourg

En contribuant à améliorer le cadre légal et en mettant en place des infrastructures adaptées, au regard notamment des tendances que nous avons évoquées, cet écosystème contribue à maintenir le Luxembourg en bonne position. Évidemment, on peut toujours faire mieux et il arrive que l’on fasse des erreurs. Mais l’histoire démontre que Luxembourg est le plus souvent parvenu à saisir les opportunités au bon moment, avec beaucoup de pragmatisme.

L’adoption de Ucits, au fondement de l’industrie des fonds luxembourgeois, la transposition d’AIFMD il y a quelques années, ou encore les initiatives soutenant les investissements durables démontrent l’importance de l’industrie des fonds pour le pays et l’engagement de tous à la faire prospérer.

Comment est perçu Luxembourg depuis l’étranger?

«Luxembourg peut faire valoir sa capacité à s’adapter en cherchant à offrir aux acteurs la flexibilité souhaitée dans un cadre très bien régulé. Dans cette perspective, l’adoption du Raif est révélatrice de la manière avec laquelle l’ensemble de la Place et le législateur parviennent à répondre aux attentes du business. Cet engagement au service de l’écosystème porte ses fruits. De plus en plus, on voit des gestionnaires qui n’entretenaient pas de liens avec Luxembourg, et qui ont toujours préféré d’autres domiciles pour lancer des véhicules pouvant s’apparenter au Raif, venir ici. Ils comprennent que le cadre offert au Luxembourg leur permettra non seulement de maintenir leur base d’investisseurs, mais aussi de la faire grandir car ces produits correspondent mieux aux attentes du marché.

Quels sont les principaux challenges qui vous attendent dans les mois à venir?

«Par la force des choses, les challenges qui vont temporairement nous occuper ont trait à la gestion de la crise sanitaire et des répercussions économiques qu’elle aura, de même que les implications liées au Brexit. Ce sont des événements perturbateurs, qu’il faut pouvoir gérer, et qui sont de nature à retarder la réalisation d’autres objectifs fixés par la Commission européenne. Au-delà, autour de la fintech, la mise en œuvre des technologies au service de nouvelles façons d’échanger ou de lever des actifs mobilise notre attention. La volonté est d’être en mesure de saisir les opportunités qui se présenteront au-delà de la crise.

Justement, comment la crise du Covid-19 a-t-elle impacté vos activités?

«Le premier enjeu a été de garantir la sécurité de nos équipes tout en maintenant les opérations, sans interruption de service. Nous avons été tous agréablement surpris de la manière avec laquelle nos équipes, mais aussi l’ensemble des acteurs de l’industrie, sont parvenus à s’adapter à cette nouvelle situation. Aujourd’hui, alors que le virus continue de circuler, nous devons créer et maintenir un environnement dans lequel on peut, autant que possible, assurer un service de qualité.

Nous devons tirer des leçons de cette crise et prendre des mesures qui nous permettent d’aller de l’avant.
 Eduardo Gramuglia Pallavicino

Eduardo Gramuglia Pallavicino country headState Street Luxembourg

On peut cependant affirmer que l’on ne reviendra jamais à une situation d’avant-crise. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Le contexte nous offre une opportunité d’évoluer, en apportant plus de flexibilité aux équipes, en garantissant un meilleur équilibre entre vie professionnelle et aspirations personnelles, en transformant nos processus, en adoptant de nouveaux canaux de communication. Nous devons tirer des leçons de cette crise et prendre des mesures qui nous permettent d’aller de l’avant.

Et du point de vue de vos clients, quels ont été les impacts de la crise?

«Comme nous, ils ont dû s’adapter. On peut souligner que la situation a facilité l’adoption à large échelle de technologies facilitant les échanges, comme la visioconférence ou l’usage du cloud. La crise a aussi généré de fortes incertitudes, avec lesquelles il a fallu composer. Dans cette période inédite, le fait de travailler à la maison, combiné à une forte volatilité des marchés, a entraîné une charge de travail accrue pour nos équipes, avec notamment une hausse des exceptions à gérer.

En travaillant avec le client, en confiance et en toute transparence, nous avons pu mener à bien nos missions, avec pragmatisme, en cherchant à satisfaire chacun. En étant conscients que de grands chantiers nous attendent, on peut tirer beaucoup de valeur de l’expérience vécue. Nous avons, en tout cas, pu démontrer une forte capacité de résilience, principalement liée à la mobilisation des collaborateurs engagés pour surmonter des défis inédits.

State Street a apporté un soutien fort aux initiatives fintech développées au Luxembourg, comme la Lhoft ou les Fintech Awards. En quoi est-ce important à vos yeux d’investir dans la technologie?

«En matière de fintech, la vision du Luxembourg est porteuse d’opportunités. La création de la Lhoft, dont State Street est un soutien de la première heure, est une excellente initiative. Si l’on considère la place financière dans son ensemble, les engagements pris en la matière sont de nature à attirer de nouveaux acteurs et des talents au Luxembourg.

Ensemble, en consolidant de nouvelles expertises, ils pourront servir la place financière durablement, à l’image de ce que l’industrie des fonds est parvenue à accomplir ces trente dernières années. En tant qu’acteurs de l’industrie des fonds, nous allons nous-mêmes en bénéficier, en mettant en place des partenariats avec des acteurs de la fintech, pour servir nos clients, pour nous adapter en nous appuyant sur la technologie mais aussi pour soutenir l’émergence de nouveaux acteurs technologiques. En la matière, le Luxembourg se positionne une nouvelle fois à l’avant-garde.

Si, de l’extérieur, beaucoup considèrent Luxembourg uniquement comme un domicile pour les fonds d’investissement, on peut affirmer que c’est bien plus que cela. La place financière est bien diversifiée, avec le développement de nombreuses autres activités, en ce compris la fintech, présentant chacune un réel potentiel de croissance.»

Cet article a été rédigé pour le supplément de l’édition datée «» parue le 24 septembre 2020.

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