En 2023, le Luxembourg est entré dans une nouvelle ère fiscale avec la , le 20 décembre, de la directive européenne Pilier 2. Les nouvelles règles, en vigueur depuis le 1er janvier 2024, visent à assurer que les multinationales paient un taux d’imposition minimal de 15% dans chaque juridiction où elles opèrent.
Avocat fiscaliste chez Loyens & Loeff, , situe l’enjeu: «Pilier 2 a été le principal développement de 2023 et sa mise en œuvre nous occupera en 2024.» La directive s’est imposée avec la promesse de rééquilibrer la pratique fiscale internationale, mais aussi avec un cortège de difficultés sur lesquelles le praticien veut attirer l’attention.
À première vue, pourtant, Pilier 2 ne bouleverse pas le paysage fiscal luxembourgeois. Seules les grandes multinationales, réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 750 millions d’euros, doivent être imposées à un minimum de 15%. Un seuil bien plus bas, qui plus est, que le taux d’imposition des bénéfices au Luxembourg (25%).
L’administration fiscale est encore dans une phase d’apprentissage.
Reste que le pays n’est pas complètement prêt, observe Pierre-Antoine Klethi: «On est encore dans une phase d’apprentissage. C’est particulièrement vrai pour l’administration fiscale, dont les ressources limitées ne permettent pas une maîtrise immédiate des nouvelles règles.» Une équipe dédiée à Pilier 2 a vu le jour au sein de l’administration, soulevant l’espoir d’une amélioration pour les contribuables dans le flou – des contribuables qui disposent néanmoins de suffisamment de temps, jusqu’à fin juin 2026, pour remplir leur déclaration d’impôt 2024.
Parmi les entreprises, «il y en a encore pas mal qui n’ont pas pleinement conscience de l’impact de Pilier 2», estime le fiscaliste. Certains fonds d’investissement sont ainsi confrontés à des défis inattendus. «Le sentiment général, tout à fait justifié, est que les fonds ne sont en principe pas concernés. Mais il existe des exceptions. Typiquement, un fonds consolidé par l’investisseur n’est pas une entité exclue de Pilier 2.»
Neutralité fiscale pas garantie
Cette mise en garde vaut particulièrement pour les fonds créés spécifiquement pour un investisseur, comme de grandes sociétés d’assurance, qui pourraient se retrouver à devoir payer un impôt complémentaire non anticipé. Or, «l’idée n’est pas d’imposer une charge supplémentaire du fait que l’investissement est réalisé par le fonds», insiste Pierre-Antoine Klethi. «Philosophiquement, il y a là une tension entre l’objectif de neutralité fiscale du fonds et des règles qui ne garantissent pas cette neutralité à 100%.»
Pour le praticien, l’impact de Pilier 2 est également sous-estimé pour les transactions entre grands groupes: «C’est très important de bien négocier les accords entre actionnaires, d’avoir des clauses claires sur l’allocation de la charge fiscale. L’impact peut être considérable, surtout si un investisseur principal détient plusieurs groupes avec des niveaux d’imposition variés, pouvant entraîner des coûts inattendus pour d’autres investisseurs dans le groupe. Les échanges d’informations et la manière d’allouer les impôts seront donc des éléments-clés ces prochaines années.»
Tout cela devient fort complexe et le diable est dans les détails.
Sur une note plus positive, «Pilier 2 prévoit des règles qui permettent de limiter l’impact sur les contribuables», salue Pierre-Antoine Klethi, citant l’exonération (à certaines conditions) des dividendes et des plus-values. «Malgré tout, les règles luxembourgeoises et Pilier 2 ne sont pas parfaitement alignées, un écart qui peut mener à des impositions complémentaires au titre de Pilier 2. On peut rencontrer des situations où le dividende ou la plus-value est exonéré sous Pilier 2 mais pas en droit luxembourgeois, et vice versa.»
Une autre mise en garde concerne les transactions de financement intragroupe. «Pilier 2 prévoit des règles ‘’anti-abus’’ un peu particulières, qu’on ne retrouve pas en droit luxembourgeois. Dans certains cas de figure, cela peut potentiellement entraîner une imposition complémentaire assez substantielle», souligne l’avocat.
Associé au département Fiscalité de Loyens & Loeff, conclut: «Tout cela devient fort complexe et le diable est dans les détails. Il est impératif que les entreprises soient conscientes des subtilités et agissent en conséquence, car les règles sont désormais applicables et ne pardonneront pas l’inattention.» En cas de déclaration manquante, incomplète ou inexacte, les pénalités financières peuvent atteindre 250.000 euros.