Pour le directeur de la stratégie de la Sacred Heart University, Marcus Muller, avoir un MBA adossé à l’Université ferait particulièrement sens pour le Luxembourg. (Photo: Maison Moderne/archives)

Pour le directeur de la stratégie de la Sacred Heart University, Marcus Muller, avoir un MBA adossé à l’Université ferait particulièrement sens pour le Luxembourg. (Photo: Maison Moderne/archives)

Marcus Muller et Raymond Schadeck ont finalement renoncé à essayer de trouver une alternative à la Sacred Heart University à Luxembourg, ont-ils fait savoir. Le réputé professeur de management avance l’idée «plus efficace» d’un MBA adossé à l’Université du Luxembourg.

Il aurait pu être aigri que la Sacred Heart University décide en un claquement de doigts de fermer son antenne luxembourgeoise sans autre forme de procès. Il aurait pu être aigri que ses contacts avec HEC Liège, pour trouver une solution pour que «ses» étudiants finissent leur cursus, se traduisent finalement par . Mais après 30 ans dans la finance et dans le management, Marcus Muller reste concentré sur son objectif: avoir de l’impact sur la vie des gens par la transformation du business. Pour en parler, il a laissé tomber veste et cravate.

Nous étions restés sur l’idée qu’au revirement spectaculaire de la Sacred Heart University, qui a rayé Luxembourg d’un coup de crayon, vous aviez commencé à essayer de trouver une solution avec HEC Liège jusqu’à ce que la Chambre de commerce annonce le lancement d’un MBA dans lequel vous ne semblez plus impliqué…

Marcus Muller. – «Oui. Nous avons lancé le mouvement avec HEC Liège pour que nos étudiants puissent finir leur MBA dans de bonnes conditions avant de nous rendre compte que notre approche et celle de la Chambre de commerce, qui a des contraintes en termes de contrôle, de gestion du risque et de procédures, n’étaient pas alignées.

Du coup, après 10 ans passés à mettre votre programme en musique au Luxembourg, qu’allez-vous faire?

«Déjà, continuer à m’interroger sur le ‘rôle’ d’une business school. À mes yeux, il ne s’agit pas d’apprendre des connaissances d’hier à des entrepreneurs qui sont confrontés à de nouveaux challenges, qu’ils soient climatiques ou technologiques.

Avoir des connaissances empiriques, pour un leader ou un entrepreneur, ce n’est pas forcément une mauvaise chose, pourtant…

«Une business school doit s’occuper d’alimenter des connexions dans les cerveaux de ces entrepreneurs, de les amener à penser différemment. La théorie sans la pratique, comme la pratique sans la théorie, n’a pas de sens. Beaucoup de business schools forment sur la base de théories qui ont 50 à 100 ans, ou, comme Harvard, le MIT ou Stanford, vivent sur leurs marques, et dès qu’elles font quelque chose, tout le monde dit que c’est super.


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Vous ne pouvez pas croire que tous ces grands acteurs ont tort, et vous, raison, si?

«Ce n’est pas qu’ils ont raison ou tort. Je suis persuadé qu’il va falloir davantage s’intéresser aux sciences sociales, qui déboucheront sur de nouveaux modèles économiques et une capacité-clé, la capacité de s’adapter face à des enjeux comme le climat ou la transformation numérique. Le business n’est pas une fin en soi, comme le rabâche l’approche néolibéraliste depuis des années, mais un moyen de parvenir à une fin, et cette fin doit être la mise sur le marché de produits et de services dont les gens ont besoin et envie face aux challenges qu’ils rencontrent. Dans la formation que nous avions mise sur pied, nous avions par exemple un cours unique au monde, composé de huit disciplines en un seul cours! Et c’est beaucoup plus difficile de faire entrer huit professeurs dans une salle que 100 singes!

Au rythme de l’évolution technologique, la question de la formation professionnelle et de la formation continue va devenir centrale. Est-ce qu’il y a une course au MBA «luxembourgeois»? Et est-ce qu’elle fait du sens?

«À condition qu’on admette que ces MBA doivent se consacrer à former des entrepreneurs qui vont faire du bien à la société, oui! Luxembourg pourrait jouer un rôle très intéressant parce qu’il a les deux plus grands ingrédients dans ce domaine: le capital et les cerveaux. Un MBA devrait être aux avant-postes des changements à venir et proposer des modèles que suivraient les Chinois, les Américains ou les Africains.

Les gens possèdent naturellement ce qu’il faut pour s’investir dans une entreprise, mais ils ont trois besoins: se sentir autonomes, compétents et à la bonne place.
Marcus Muller

Marcus Muller

Et comment le Luxembourg devrait-il jouer ce rôle-là? C’est plus facile de monter un accord avec HEC, par exemple.

«En adossant une business school à l’Université, où beaucoup de choses avancent bien. Parce qu’avoir l’Université et l’État et leurs réseaux pour alimenter cette formation fait particulièrement du sens. Cela faciliterait les choses et participerait au nation branding, de nature à attirer des étudiants diplômés au Luxembourg, où l’économie a besoin de talents. Avec le soutien du ministère des Affaires étrangères, pour faciliter la question des visas. Si tout le monde tirait dans le même sens, ce serait un fantastique projet.

Qu’il est possible de mettre sur les rails en combien de temps, selon vous, sachant que l’année électorale, l’an prochain, risque de perturber ce genre d’idée?

«Quand nous avons commencé à discuter avec HEC Liège en mai, nous avions déjà un modèle ‘plug and play’, directement prêt en août. Sur un mode privé, 90% des intervenants dans le programme étaient des ‘senior executives’ de différentes industries. Si on passe à un modèle plus académique, il faut un peu plus de temps pour mieux équilibrer les intervenants et avoir davantage d’académiques. Mais il ne faut pas un an pour monter cela.

Diriger cette business school, c’est un rôle dans lequel vous vous voyez?

«Vous savez, en 2008, j’étais à Londres, dans les fonds d’investissement. Après une certaine maturation, je me suis dit que je voulais avoir de l’impact. J’ai quitté le monde de la finance et je suis allé en Australie passer un PhD en psychologie de l’organisation, puis un master en business administration. J’ai travaillé pour un certain nombre d’entreprises et d’organisations depuis mon arrivée au Luxembourg, de Luxinnovation à Luxair, en passant par la Brasserie Nationale, le SnT, Luxaviation, Proximus ou Champ. Je pourrais créer une entreprise, mais j’ai envie de rester dans le business development. Je publie ce mois-ci à Montréal un ouvrage à quatre chercheurs intitulé ‘Libérer la motivation’, dans lequel nous expliquons que les gens possèdent naturellement ce qu’il faut pour s’investir dans une entreprise, mais ils ont trois besoins: se sentir autonomes, compétents et à la bonne place. Rien ne vaut cela. Je viens aussi de finir un autre ouvrage, ‘The ABC of life: an evolutionary approach to success’, sur le succès, mais aussi sur la manière dont l’innovation durable peut apporter de la valeur. C’est cela qui m’intéresse: apporter de la valeur.»