Silence dans les rangs. Accourus en nombre en cet ultime vendredi d’avant-Noël pour assister au décollage du premier vol direct reliant, dans ce sens, le Luxembourg à la Chine (plus de 8.000km, un record de distance au départ du Findel), les journalistes réunis en salle d’embarquement sont aussi vite avertis qu’ils vont devoir rempocher leurs questions destinées aux responsables de China Southern Airlines (CSA) présents sur place: consigne a été donnée de les laisser tranquilles.
Les émissaires de la compagnie aérienne chinoise ont atterri la veille au soir, le 21 décembre, en provenance de l’aéroport Xinzheng de Zhengzhou, dans le centre du pays, à bord d’un appareil Airbus A350-900 qui transportait 146 passagers. Cet après-midi-là, la curiosité est grande et l’humeur festive , s’attaque à la découpe de l’imposant gâteau de naissance concocté pour la circonstance. Le dirigeant prononce un rapide discours au pupitre. Ensuite, terminé. Les micros s’éteignent, fermez le ban.
Avantage aux touristes
Des interrogations, il y en a, pourtant, maintenant que la Chine se rapproche à 10 heures de vol du Luxembourg. Dans l’esprit de la compagnie, à quel type de clientèle cette liaison sans escale est-elle destinée? Aux touristes? Aux plus de 4.000 ressortissants chinois installés au Grand-Duché souhaitant effectuer la navette afin de rejoindre leur famille? À celles et ceux qui font du business entre Europe et Asie? Quelle est l’ambition de China Southern Airlines? Quels sont ses projets? Ses objectifs de taux de remplissage? La ligne est-elle appelée à perdurer? Un mois plus tard, mi-janvier, deux mails adressés en ce sens au service communication de CSA sont restés ignorés, eux aussi.
«Il est globalement attendu que le volet touristique devrait primer sur le volet affaires», avance en revanche le ministère luxembourgeois des Affaires étrangères, plus disert sur le sujet. «À notre connaissance, un certain nombre d’agences de voyages et de tour-opérateurs, notamment du centre et du sud de la Chine, proposent des formules ‘package’ à des touristes chinois désireux de visiter et de découvrir le Luxembourg et ses pays voisins.» En conséquence, donc, «la plupart des passagers, pour l’instant, sont des groupes de touristes profitant d’un vol sans escale arrivant à un aéroport à taille humaine, où les procédures d’accueil sont mises en œuvre de manière plus efficiente», détaille-t-on encore.
700km économisés pour les visas
Dans les mois précédant l’ouverture de cette ligne fonctionnant au rythme d’une rotation aller-retour hebdomadaire, chaque jeudi et vendredi, l’ambassade du Luxembourg en Chine a prêté main-forte à la création sur place d’«un service permettant aux voyageurs d’effectuer leur demande de visa pour l’espace Schengen», qui évite aux voyageurs chinois s’envolant de Zhengzhou d’avoir à se rendre à Pékin, à 700km de là, pour y régler les formalités administratives. De la paperasse au relevé d’empreintes digitales, tout est à disposition. Pour le ministère des Affaires étrangères, «ce nouveau service contribue significativement à augmenter l’attractivité» du vol.
«À Zhengzhou, beaucoup de publicité a été faite pour la promotion du Luxembourg en tant que pays touristique, avant d’éventuelles visites en France, en Allemagne ou en Belgique», abonde la présidente de Chinalux, King Zhujun Xie. L’ambassade du Luxembourg à Pékin confirme avoir mis à la disposition des autorités locales «du matériel promotionnel quant aux attractions et opportunités touristiques du Luxembourg». Elle s’est également impliquée dans des events promotionnels, ainsi que dans la diffusion de messages sur les réseaux sociaux locaux.
L’État chinois au soutien
Avant le vol inaugural de décembre 2023, le lien était déjà noué entre le Luxembourg et Zhengzhou, via une activité de fret fruit d’un accord conclu en 2014 entre Lux-Airport et la société Henan Airport Group, l’exploitant de l’aéroport de Zhengzhou, faisant de ce dernier un hub pour Cargolux. En 10 ans, plus de 1 million de tonnes de marchandises ont été transportées. Durant cette même année 2014, la société HNCA (en charge du développement de l’industrie de l’aviation civile du Henan) avait acquis 35% des parts de Cargolux et signé son entrée au capital de CSA, dont elle détenait 60% des parts ainsi que 40% des parts de l’aéroport de Zhengzhou. , l’activité passagers en serait la suite logique.
«La province de Hunan, ce n’est pas une petite province [99 millions d’habitants], mais le pouvoir d’achat sur place est moins important qu’à Pékin ou à Shanghai. Pour financer ce vol, il y a beaucoup d’aides financières du gouvernement», témoigne le gérant d’Euro-Asie, Yong Zhang, à la tête depuis 2006 d’une agence de voyages spécialisée dans l’outcoming, et qui travaille également par le biais d’une autre structure à la venue de touristes au Grand-Duché. Au départ de Zhengzhou, ces derniers n’ont pas vraiment l’embarras du choix en matière de destinations européennes: Luxembourg n’y est que le quatrième aéroport desservi en direct, après Helsinki, Londres et Milan.
L’ACL booste les ventes de billets
Zhengzhou, justement. Pour les touristes résidents ou de la Grande Région, la capitale du Henan (10,3 millions d’habitants) ne constitue pas sur le papier la porte d’entrée la plus sexy. En tout cas pas la plus évidente. «Après Pékin, Shanghai et Xi’an pour l’armée de terre cuite, c’est vrai, on ne pense pas à aller à Zhengzhou. Pourtant, il faut s’y rendre si l’on veut connaître l’histoire de la civilisation chinoise», assure le gérant d’Euro-Asie, Yong Zhang. «Six dynasties, neuf époques», résume la présidente de la Chambre de commerce sino-luxembourgeoise, King Zhujun Xie.
Les membres de l’ACL l’apprendront bientôt. Plus de 400 d’entre eux ont d’ores et déjà réservé l’un des quinze séjours proposés entre mars et octobre par l’Automobile Club, qui observe «une forte demande». «Les voyages lointains rencontrent généralement du succès, car c’est du ‘sur-mesure’ et qu’il s’agit de destinations où il n’est pas facile de faire son organisation tout seul», éclaire-t-on. La dernière fois que l’ACL avait coché la Chine sur son catalogue de voyages, c’était en 2020, au départ de Bruxelles, et déjà avec beaucoup de monde. Cette année, les douze nuitées avec hébergement dans des hôtels 4 étoiles sont annoncées à partir de 1.899 euros.
«Deux pays encore plus ‘close’»
Côté business, «Zhengzhou n’est pas ‘la’ destination idéale, mais avec les fast trains, les déplacements sont très rapides», indique la dirigeante de Chinalux. Difficile, néanmoins, d’identifier les acteurs économiques du pays à qui la nouvelle ligne va simplifier l’existence. Sept banques chinoises représentant un demi-millier de salariés ont pignon sur rue au Luxembourg, mais aucune ne dispose d’un siège social à Zhengzhou. «Mais cela va profiter aux Luxembourgeois qui sont en affaires avec la Chine», veut croire King Zhujun Xie. Idem pour les Chinois se rendant au Luxembourg: «Cela peut créer des opportunités.» «Les deux pays sont encore plus ‘close’ à présent», se réjouit-elle, «c’est un grand succès dans les relations économiques entre les deux pays».
En témoigne le rendez-vous qui s’est déroulé le 19 janvier entre le CEO de la Chambre de commerce (CCL), , et l’ambassadeur de Chine au Luxembourg, Hua Ning. Durant l’entretien, les deux hommes ont longuement évoqué la naissance de ce premier vol direct. À l’issue, la CCL a annoncé la tenue d’un séminaire adossé à un forum d’affaires dédié à la Chine, en septembre 2024, prélude d’une mission officielle à Pékin et à Shanghai, prévue en novembre. Avec arrivée à Zhengzhou?