La rentrée sociale s’annonce chaude aussi du côté du Kirchberg avec en première ligne l’Union syndicale Luxembourg, défendant les agents des diverses institutions européennes présentes au Luxembourg, de la Commission au Parlement en passant par la Banque européenne d’investissement (BEI), la Cour des comptes ou encore la Cour de justice de l’UE (CJUE).
Au cœur des inquiétudes: l’attractivité plus qu’écornée du siège européen. «Fin 2018, on dénombrait 228 postes vacants sur les 3.700 que compte la Commission à Luxembourg», indique Miguel Vicente Nuñez, président de l’USL. «C’est le double du taux de vacance à Bruxelles.»
Un constat d’autant plus accablant, , que le dernier accord de pérennisation du siège européen luxembourgeois (Georgieva-Asselborn) date seulement de 2015. 200 postes permanents ont été perdus depuis, concourant à la contractualisation des emplois entamée lors de la réforme du statut de la fonction publique européenne de 2004 et accélérée depuis la réforme de 2014, .
C’est du dumping social.
Le Parquet européen, qui connaît depuis peu , rencontre également des difficultés à recruter. «Il était conçu initialement pour compter 200 personnes mais tant il est difficile de convaincre les collègues de Bruxelles de venir à Luxembourg», ajoute M. Vicente Nuñez. D’autres signaux alarmants apparaissent.
Au-delà des agents «boîtes aux lettres», «surtout ceux ayant des responsabilités managériales», qui préfèrent rester à Bruxelles où sont concentrés les centres décisionnels, plus d’un tiers des fonctionnaires en poste au Luxembourg choisissent de vivre en France, en Allemagne ou en Belgique afin de se loger à moindre coût. Les écoles européennes peinent également à pourvoir des postes de chargés de cours en raison de salaires faibles.
Du côté des crèches et des garderies régies par les institutions européennes, c’est même «la jungle sociale», insiste M. Vicente Nuñez. «Sur 400 agents, une cinquantaine seulement des salariés de droit luxembourgeois sont soumis à la convention collective SAS.» Les autres sont engagés comme agents contractuels, intérimaires (durant plusieurs années) ou encore indépendants, souvent sous le salaire minimum de l’ouvrier qualifié. «C’est du dumping social», s’indigne M. Vicente Nuñez.
Aucun coefficient correcteur n’est appliqué en Belgique et au Luxembourg, étant donné le rôle spécial de référence joué par ces lieux d’affectation en tant que sièges principaux et d’origine de la plupart des institutions.
De quoi ébranler l’image du fonctionnaire européen nanti. «Nous ne réclamons pas de l’argent pour installer un Jacuzzi à côté de la piscine», ironise Annamaria Csordas, présidente du comité local du personnel de la Commission à Luxembourg et membre de l’USL. «Nous sommes plus de 10.000, sans compter nos familles. Nous faisons partie de la société luxembourgeoise, nous ne sommes pas dans une tour d’ivoire.»
Si les fonctionnaires européens du Luxembourg réagissent avec autant de vigueur à la dégradation de leurs conditions de vie, c’est qu’ils ne bénéficient pas d’un coefficient correcteur prenant en compte la différence de pouvoir d’achat avec leurs collègues vivant à Bruxelles. C’est pourtant le cas des autres fonctionnaires – ceux de l’Agence européenne pour l’environnement à Copenhague perçoivent 31,9% de plus que ceux de Bruxelles, et à l’inverse, ceux affectés à Varsovie (Frontex) doivent se contenter d’un traitement inférieur de 31%.
Le sort des fonctionnaires basés à Luxembourg est en réalité lié à une mesure historique «symbolique». L’article 63-4 du statut de la fonction publique européenne prévoit qu’«aucun coefficient correcteur n’est appliqué en Belgique et au Luxembourg, étant donné le rôle spécial de référence joué par ces lieux d’affectation en tant que sièges principaux et d’origine de la plupart des institutions».
Dès 2005, les chiffres d’Eurostat montrent une disparité de pouvoir d’achat supérieure à 5% au détriment des fonctionnaires en poste au Luxembourg.
«La situation économique était très différente dans les années 1970, Luxembourg était aussi peu cher voire moins cher que Bruxelles, mais l’arrimage à Bruxelles était justement un moyen d’attirer les gens à Luxembourg», souligne Sorin Cristescu, vice-président du comité local du personnel de la Commission à Luxembourg et membre de l’USL. Les deux capitales ont connu une évolution toutefois très différente depuis lors. «Dès 2005, les chiffres d’Eurostat montrent une disparité de pouvoir d’achat supérieure à 5% au détriment des fonctionnaires en poste au Luxembourg.»
D’année en année, cet écart s’est creusé. Le service Estat, chargé de compiler des statistiques pour la Commission, notait ainsi un différentiel de 8,1% en 2016. «Au point que l’EFTA (Association européenne de libre-échange, ndlr), qui compte une cinquantaine d’agents à Bruxelles et six à Luxembourg, a décidé en 2016 d’établir un coefficient correcteur pour ces derniers.»
Le logement coûte 52,4% plus cher à Luxembourg qu’à Bruxelles
Les fonctionnaires européens tentent en vain d’obtenir gain de cause depuis plusieurs années. Le vent semble enfin tourner en leur faveur – alors que le différentiel a atteint 16,8% en 2018 – grâce au gouvernement luxembourgeois, qui a officiellement demandé à la Commission l’an passé de comparer le pouvoir d’achat entre Bruxelles et Luxembourg. Paperjam a pu consulter une version non définitive du rapport réalisé par la société Airinc, spécialisée dans le «développement de systèmes de compensation concurrentiels et équitables pour les organisations avec une main-d’œuvre mobile au niveau mondial».
Même si ledit rapport se fonde sur le coût de la vie dans la Grande Région (Arlon, Thionville et Trèves) au-delà de la seule capitale luxembourgeoise, la différence de pouvoir d’achat avec Bruxelles s’élève tout de même à 10,5%. Il remarque, non sans raison, que c’est le logement qui tire ce différentiel vers le haut – il coûte 52,4% plus cher de se loger à Luxembourg qu’à Bruxelles, note le rapport. À l’opposé, les dépenses liées à l’éducation s’avèrent 40% moins élevées au Grand-Duché.
Si le rapport penchait, dans sa première version, pour une allocation logement, cette éventualité n’a pas été retenue puisqu’elle n’est pas permise par le statut de la fonction publique européenne. Les fonctionnaires européens ne peuvent pas non plus prétendre aux aides nationales au logement (subvention de loyer, etc.) pour diverses raisons, notamment s’ils détiennent un bien dans leur pays d’origine.
Le Luxembourg devrait taper du poing sur la table.
«Le Luxembourg devrait taper du poing sur la table», exhorte maintenant M. Vicente Nuñez. Car si la Commission ne décide pas d’office d’appliquer un coefficient réducteur, c’est à l’État membre de monter au créneau. «Le Grand-Duché investit beaucoup, en particulier au niveau immobilier avec le financement du Jean Monnet 2 et la démolition du Jean Monnet 1. Il ne faut pas qu’il fasse l’objet de discrimination.»
L’USL insiste pour que l’affaire se règle rapidement. Déjà parce que les moyens financiers sont là: la Cour des comptes européenne a relevé que les institutions européennes avaient réalisé (2014-2020) et allaient encore épargner 19 milliards d’euros d’ici 2064. Ensuite, parce que s’approchent les négociations du prochain cadre financier 2021-2027 avec quelques échéances sensibles comme la méthode d’adaptation des rémunérations et le régime des pensions.
«Nous sommes convaincus que la résolution du problème luxembourgeois faciliterait les discussions» à venir, glisse M. Vicente Nuñez. Elle serait également bienvenue pour le syndicat à l’approche des élections sociales se déroulant entre novembre et janvier selon les institutions.