Le vote du projet de loi 8292 portant sur la transposition de la directive 2022/2523 du Conseil du 14 décembre 2022 visant à assurer un niveau minimum d’imposition mondial pour les groupes d’entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure dans l’Union n’allait pas de soi.
Pas sur le fond, où tout le monde était tombé d’accord sur la nécessité d’assurer un niveau minimal d’imposition pour les multinationales.
Pour mémoire, le 8 octobre 2021, dans le cadre de l’initiative Beps (lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices) conduite au sein de l’OCDE, 136 pays étaient tombés d’accord sur la fiscalité des firmes multinationales. Un accord en deux volets – ou deux piliers. Le premier pilier vise à taxer les bénéfices des multinationales non plus dans leurs pays d’origine, mais dans les pays où elles exercent et réalisent ces bénéfices. Sont ici visées les firmes multinationales dont le chiffre d’affaires mondial est supérieur à 20 milliards d’euros et dont la rentabilité est supérieure à 10%. Le deuxième pilier instaure un niveau minimum d’imposition mondial de 15% des bénéfices des firmes multinationales et des groupes nationaux de grande envergure réalisant un chiffre d’affaires consolidé égal ou supérieur à 750 millions euros. C’est ce pilier qui a été formalisé dans l’UE par la directive 2022/2523. Une directive qui devait être transposée dans les législations fiscales nationales au plus tard le 31 décembre 2023.
Un Parlement «caisse enregistreuse»
Ce qui gênait les députés, c’est le timing. La commission des finances s’est saisie du dossier le 5 décembre dernier et le Conseil d’État a rendu son avis le 12 décembre dernier.
Le rapporteur du projet de loi, (CSV), s’interrogeait le 5 décembre, en commission, sur la pertinence d’un débat à marche forcée, affirmant que «la Chambre [devait] disposer du temps nécessaire afin de pouvoir travailler consciencieusement sur ce dossier». Le ministre des Finances, , parlant d’un «dossier majeur et d’une grande complexité technique», était sur la même ligne, évoquant une préférence pour une entrée en vigueur du texte au cours de l’année 2024, quitte à ce que les dispositions s’appliquent de manière rétroactive.
Finalement, la Chambre a voté le projet de loi 8292 ce 20 décembre. La question du rôle des parlements nationaux dans le système législatif européen sera renvoyée à plus tard. Juridiquement parlant, une directive n’est pas un texte figé à prendre ou à laisser comme un règlement. Il devrait y avoir de la place pour que les parlements nationaux puissent insuffler dans le texte leur apport. Ce ne sera pas le cas aujourd’hui. Au grand regret de Laurent Mosar qui, à la tribune, a dénoncé le rôle de «caisse enregistreuse» laissé à la Chambre des députés, dans un contexte général où les textes européens deviennent de plus en plus techniques. Pour ne pas dire incompréhensibles…
Deux nouveaux impôts dans la boîte à outils luxembourgeoise
Concrètement, pour arriver à instaurer un niveau minimum d’imposition mondial de 15% des bénéfices des multinationales, le droit fiscal luxembourgeois se dote de deux nouveaux impôts basés sur l’application de deux règles interdépendantes, à savoir, d’un côté, la règle d’inclusion du revenu (RIR) et, de l’autre, la règle relative aux bénéfices insuffisamment imposés (RBII). Désormais, si un groupe d’entreprises, dont le siège social est à Luxembourg, n’atteint pas un niveau d’imposition minimal de 15% au niveau d’une juridiction déterminée, alors la société mère se verra prélever par le Luxembourg un impôt complémentaire «top-up», le RIR, correspondant à la différence entre le taux minimum de 15% et le taux effectif appliqué aux entités constitutives faiblement imposées situées dans cette juridiction.
Dans le cas où le siège d’un groupe d’entreprises se trouve dans une juridiction qui n’applique pas la règle d’inclusion du revenu, alors les entités constitutives de ce groupe situées au Luxembourg (indépendamment du fait qu’elles soient faiblement imposées ou non) doivent payer un impôt complémentaire, le RIIB, correspondant à la différence entre le taux minimum de 15% et le taux effectif appliqué à toutes les entités faiblement imposées de ce groupe et pour lesquelles une RIR ne s’applique pas.
Étant entendu que les juridictions des entités constitutives faiblement imposées ont le droit de leur appliquer prioritairement un taux minimum d’imposition de 15%, avant que le Luxembourg applique la RIR ou bien la RBII pour les groupes, respectivement les entités constitutives qui se trouvent sur son territoire. On parle ici de l’application d’un impôt national complémentaire qualifié.
Rendez-vous en 2024 pour des éclaircissements et en 2025 pour le pilier 1
Sur la question de l’efficacité de ce dispositif pour lutter contre l’évasion fiscale des multinationales tout comme sur celle de l’impact sur les recettes fiscales luxembourgeoises, aucune réponse n’a pu être apportée. Et ce d’autant plus que les travaux techniques menés au sein de l’OCDE afin de clarifier les règles comptables applicables et les critères d’imposition ne sont pas définitifs. Ce qui implique que la loi adoptée aujourd’hui devrait rapidement revenir devant les députés.
Quant aux dispositions relatives au Pilier 1, elles devraient s’appliquer début 2025.