Camille Thommes, à gauche, Directeur Général de l’ALFI, et Philippe Bourgues, à droite, Managing Director de CACEIS Bank, Luxembourg Branch Jan Hanrion / Maison Moderne Publishing SA

Camille Thommes, à gauche, Directeur Général de l’ALFI, et Philippe Bourgues, à droite, Managing Director de CACEIS Bank, Luxembourg Branch Jan Hanrion / Maison Moderne Publishing SA

En moins de 30 ans, le Luxembourg est devenu le deuxième centre d’investissement au Monde après les USA. Retour sur cette ascension fulgurante et ce qui l’a rendue possible avec Camille Thommes, Directeur Général de l’ALFI, et Philippe Bourgues, Managing Director de CACEIS Bank, Luxembourg Branch.

Le début des années 90 marque le développement de l’industrie des fonds au Luxembourg. Peut-on revenir sur cet événement?

Camille Thommes: Au début des années 90, le développement des actifs sous gestion découle de l’élargissement du marché unique, de l’évolution des marchés financiers. Il faut le reconnaître, les débuts ont été assez lents. L’élément déclencheur fut la transposition de la première directive sur les fonds OPCVM, la loi du 30 mars 1988. Le législateur luxembourgeois a été très réactif et il n’a fallu entre le dépôt du projet de loi et le vote au parlement luxembourgeois qu’un peu plus de 4 semaines. Cela a permis au Luxembourg d’avoir un avantage par rapport aux autres places financières.

Philippe Bourgues: Le Groupe Crédit Agricole, en tant qu’acteur majeur de la Place, a contribué au développement de l’industrie des fonds. Dès le début des années 90, nous avons été très actifs dans la promotion de la distribution des fonds auprès de notre clientèle internationale. On voit qu’au travers des différentes étapes réglementaires qui jalonnent cette progression historique, la Place financière a su s’adapter, prendre en considération la réglementation pour étoffer son offre et attirer de nouveaux investisseurs.

Avant cette date, où en était le Luxembourg sur ce point?

CT: Les fonds d’investissement existaient déjà au Grand-Duché à la fin des années 60. Le premier était un fonds commun de placement nommé Eurunion. C’est aussi à cette époque qu’apparurent les premiers fonds d’investissement créés sous la forme de sociétés, qui généraient de l’intérêt auprès d’un certain nombre d’acteurs. Deux textes législatifs ont préparé le terrain à ce qui suivra: l’arrêt grand-ducal du 22 décembre 1972 qui avait pour objet de placer un cadre de contrôle autour des fonds d’investissement, puis la loi du 25 août 1983 relative aux organismes de placement, qui fut la première loi organique sur les fonds d’investissement au Luxembourg. Il fallut ensuite 10 ans pour atteindre le seuil des 500 milliards d’actifs. Ces actifs ont ensuite doublé entre 1999 et 2004 et ont encore doublé pour atteindre 2000 milliards en 2007. La crise financière de 2008 a ensuite provoqué une chute de 500 milliards que nous avons mis un an à compenser.

Quelles évolutions notables ce développement a-t-il entraînées au niveau du pays notamment?

CT: Avec l’arrivée des acteurs qui prestent des services aux maisons de fonds, que ce soit des banques dépositaires ou des administrations centrales, le Luxembourg a su créer un écosystème fructueux, attirant les talents de nombreux pays différents. Ce secteur d’activité pouvait compter sur le soutien du gouvernement, un régulateur rigoureux, mais à l’écoute des acteurs du marché, une stabilité financière et fiscale. Tous ces éléments réunis ont contribué à l’essor de notre industrie et le Luxembourg s’est spécialisé dans la distribution frontalière.

PB: La stabilité du pays, la politique sociale, un régulateur à l’écoute des évolutions réglementaires, mais également proactif dans leur mise en place ont été des facteurs déterminants. La présence d’une main-d’œuvre qualifiée, internationale et multilingue a aussi largement contribué à attirer de grands acteurs internationaux.

Philippe Bourgues, Managing Director de CACEIS Bank, Luxembourg Branch Jan Hanrion / Maison Moderne Publishing SA

Philippe Bourgues, Managing Director de CACEIS Bank, Luxembourg Branch Jan Hanrion / Maison Moderne Publishing SA

Il faut aussi noter qu’historiquement, le Luxembourg s’est concentré sur l’ingénierie, la structuration et l’administration, des métiers pour lesquels les autres places financières ont montré moins d’intérêt. Nous avons donc bâti une expertise au fil des années.
Philippe Bourgues

Philippe BourguesManaging DirectorCACEIS Bank, Luxembourg Branch

Comment le Groupe Crédit Agricole a-t-il participé à cet essor?

PB: Les dirigeants du Groupe Crédit Agricole ont cru et œuvré au développement du Luxembourg. Je pense notamment à Patrick Zurstrassen, Président de Banque Indosuez Luxembourg, qui a été un personnage emblématique de ce secteur, participant à la création de l’ALFI et d’autres organismes de la Place pour développer l’industrie. Depuis plus de 30 ans, CACEIS accompagne de grands promoteurs et gérants internationaux sur l’ensemble de la chaîne de valeur des fonds et sur toutes les classes d’actifs. Nous étions présents à l’origine et, aujourd’hui, nous sommes toujours un acteur de premier plan. Le Monterey Luxembourg Fund Report 2020 nous classe en 3ème position pour les services d’agent de transfert et en 6ème position en conservation et en administration de fonds. Je crois que l’on peut être fiers de notre contribution au développement de l’industrie.

CT: Je ne peux que souscrire à ce que Philippe vient de dire. Le Groupe Crédit Agricole est un des membres fondateurs de l’ALFI en 1988. Patrick Zurstrassen, dont nous venons de parler, a lui-même été Président de notre association de 1992 à 1995. C’était pour moi un pionnier de l’industrie des fonds au Luxembourg. Son apport a été considérable à de nombreux niveaux.

Le Luxembourg est aujourd’hui le 2ème centre d’investissement au Monde après les USA, comment expliquer cette ascension fulgurante?

CT: Le Luxembourg a toujours fait preuve de réactivité, voire de proactivité. Nous sommes à l’écoute du marché au travers des différents groupes de travail de l’ALFI. Nous nous interrogeons toujours sur ce dont a besoin le marché, comment traduire ces besoins dans un cadre législatif intelligent. Nous avons constamment renouvelé notre boîte à outils réglementaire, nous avons créé des véhicules d’investissement pertinents, des structures juridiques adaptées.

PB: La promotion à l’international a été décisive elle aussi, notamment grâce à la présence de grands groupes bancaires à Luxembourg. Il faut aussi noter qu’historiquement, le Luxembourg s’est concentré sur l’ingénierie, la structuration et l’administration, des métiers pour lesquels les autres places financières ont montré moins d’intérêt. Nous avons donc bâti une expertise au fil des années. Les autres pays ont été moins rapides dans la transposition des directives et n’ont pas saisi les opportunités qui leur étaient données. C’est le pragmatisme et la proactivité de ses dirigeants, des organismes de place et des autorités de tutelle, soutenus par les acteurs du privé, qui ont réussi à faire de ce pays, petit par la taille, un des plus importants centres financiers internationaux, leader mondial de la distribution transfrontalière des fonds.

Camille Thommes, Directeur Général de l’ALFI Jan Hanrion / Maison Moderne Publishing SA

Camille Thommes, Directeur Général de l’ALFI Jan Hanrion / Maison Moderne Publishing SA

Les différents acteurs peuvent être ‘concurrents’ dans leur activité quotidienne, mais lorsqu’il s’agit de travailler, à travers l’ALFI, sur un sujet pour faire avancer la Place, nous unissons nos forces, et notre cohésion est exemplaire. Les apports réciproques sont considérables.
Camille Thommes

Camille ThommesDirecteur Général ALFI

Demain, cette industrie va-t-elle encore connaître des évolutions notables? Si oui, lesquelles?

PB: L’industrie évolue continuellement et la force du Luxembourg est d’avoir su s’adapter à chacun de ces changements. Si l’on analyse l’évolution de mentalité des investisseurs ou de nos clients, deux grands axes apparaissent. D’une part, ce sont les nouvelles technologies liées au digital, l’intelligence artificielle, le machine learning et les big data, qui représentent des solutions à très haute valeur ajoutée. D’autre part, ce sont les développements liés à l’économie durable vers laquelle se tournent aujourd’hui tous les acteurs du marché davantage soucieux de la responsabilité sociétale et éthique. Par ailleurs, la période si particulière que nous vivons avec le Covid-19 nous a conduits à repenser notre organisation du travail avec les impacts humains et technologiques que cela implique. Elle nous a rappelé notre responsabilité première en tant qu’entreprise qui est de prendre soin de nos employés et de veiller à l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, avec le télétravail en toile de fond. Elle a mis en évidence l'importance de l'automatisation et de la standardisation dans la sécurisation des processus et la réduction du risque opérationnel. Pour finir, lorsque l’on fait le bilan des 6 mois qui viennent de s’écouler, on constate que l’industrie des fonds à Luxembourg s’est distinguée par son dynamisme, tant dans les fonds traditionnels que dans les fonds alternatifs, et continue d’attirer les plus gros gérants mondiaux. Ceci est le signe que notre industrie a réussi une fois de plus, grâce à la cohésion de ses acteurs, à traverser des temps difficiles, preuve de son agilité et de sa politique volontariste de développement. 

CT: Nous devons rester vigilants, ne pas nous reposer sur nos lauriers. Les performances du passé ne sont pas une garantie de succès futur. Nous avons affaire à un certain nombre de défis, la pression sur les coûts, sur les marges et puis les tensions commerciales entre les pays qui apparaissent ici et là. Les opportunités sont nombreuses, notamment sur le segment des produits d’investissement alternatifs, comme le private equity ou l’immobilier. Le Luxembourg est bien positionné pour affronter ces défis comme ces opportunités.

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