Un fonctionnaire colonial luxembourgeois au Congo belge, sur un bateau mené par des rameurs africains, dans les années 1930. (Photo: Tom Lucas – Collection privée)

Un fonctionnaire colonial luxembourgeois au Congo belge, sur un bateau mené par des rameurs africains, dans les années 1930. (Photo: Tom Lucas – Collection privée)

Le Musée National d’Art et d’Histoire consacre une exposition à la question du passé colonial du Luxembourg. Un sujet complexe qui plonge dans l’histoire du XXe siècle tout en ayant des résonances très actuelles. 

À première vue, on pourrait se dire que Luxembourg n’a pas d’histoire coloniale puisque le Grand-Duché n’a jamais exercé d’autorité politique sur un territoire ou des populations hors Europe. Mais cela n’est pas tout à fait juste puisque le passé du Luxembourg est aussi lié à son voisin belge, pays qui lui avait des colonies, le Congo belge et des Luxembourgeois sont partis au Congo pour y vivre et y travailler comme soldats, scientifiques, missionnaire, homme d’affaires ou même fonctionnaires coloniaux.

Le Musée national d’Art et d’Histoire (MNHA) a donc choisi en 2019 de lancer un sujet de recherche en vue d’une exposition sur cette thématique. En 2020, l’actualité les rattrape avec l’émergence du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis, mais aussi en Europe et un petit peu au Luxembourg. Récemment, le collectif Richtung22 a mené des actions pour dénoncer ce passé colonialiste, que ce soit par des interventions dans l’espace public ou dans une pièce de théâtre. Cette thématique pose d’ailleurs aujourd’hui encore question et interpelle, en témoigne.

Remettre les faits à leur place

«Le titre de cette exposition n’est ni une accusation ni une louange, mais le constat que le colonialisme a bien une réalité au Luxembourg», introduit Michel Polfer, directeur du MNHA. «On peut en effet se poser la question du rôle de l’État luxembourgeois dans les colonies. C’est une question complexe et une série de pistes sont présentées dans l’exposition.»

Pour mener à bien cette vaste recherche, le commissaire général de l’exposition, Régis Moes, s’est entouré d’un comité issu de la société civile, des personnes représentantes de différentes ONG qui l’ont accompagné dans cette réflexion. «L’idée ici est de dresser le contexte de manière neutre et objective, mais aussi d’apporter des commentaires issus du passé et contemporains», précise Régis Moes également conservateur en charge de la section Arts décoratifs et populaires/Histoire contemporaine. «Nous n’avons pas dénaturé les sources historiques et certains documents peuvent être choquants dans leur propos. Mais nous souhaitions montrer la réalité du passé.»

Mais pourquoi cette exposition en 2022? La réponse est simple: il y a cent ans, en 1922, le gouvernement belge met les Luxembourgeois à égalité des Belges dans ses colonies du Congo, du Ruanda et du Burundi. Toutes les carrières coloniales leur sont alors ouvertes et le Congo belge devient une colonie qui «appartient un peu» aux Luxembourgeois, comme on disait à l’époque. En 1957, peu avant l’indépendance du Congo, près de 600 Luxembourgeois vivaient au Congo.

Plusieurs pistes explorées

 L’exposition aborde ce passé colonial en différents axes. Elle fait le point dans un premier temps des échos de ce passé dans notre société contemporaine: la mise derrière les barreaux du buste de Nicolas Cito à Bascharage par Richtung22 (Nicolas Cito avait dirigé la construction des chemins de fer au Congo qui a couté la vie à plusieurs milliers d’Africains), le changement de nom de la rue Nicolas Grang dans la commune de Buschrodt (Nicoals Grang était engagé comme lieutenant dans l’armée belge et a participé à un massacre au Congo) ou encore une étude sur les objets d’une tribu de Tanzanie qui sont dans les collections du MNHA.

Elle montre aussi que cette conquête coloniale, outre les motivations politiques et idéologiques, a permis aussi des développements économiques d’entreprises luxembourgeoises, mais aussi scientifiques avec le développement des sciences naturelles au 19e siècle qui profitent des colonies pour aller explorer de nouveaux territoires ou religieux à travers les missions catholiques. Des Luxembourgeois ont aussi participé à l’exploitation meurtrière du caoutchouc au Congoà l’époque du Roi des Belges Léopold II (1885-1908) qui fit plusieurs millions de morts. Des ressortissants du Grand-Duché ont participé à de nombreux autres aspects du système colonial: construction d’infrastructures de transport, d’éducation et de santé – le tout en recourant le plus souvent au travail forcé.

À plusieurs moments dans l’exposition, les deux versants de l’histoire sont montrés. «Nous avons aussi la volonté de montrer la mémoire coloniale des colonisés», explique Régis Moes. «Pour cela, nous avons demandé à des musées congolais des pièces qui témoignent de cette histoire». À ce colonialisme conquérant, qui construit des écoles et des hôpitaux, sont opposés les témoignages de violences corporelles et sociales subits par les Congolais. Face à la propagande coloniale sont mises en regard les voix contestataires, même si celles-ci restent rares. Ce ne sera qu’au milieu des années 1960, après la fin de l’époque coloniale que l’anticolonialisme se répand dans des parties plus larges de la société.

La dernière partie de l’exposition se penche sur l’héritage de la période coloniale et la manière dont on vit avec ce lourd passé. Neuf témoignages d’hommes et de femmes du Luxembourg dont la vie est marquée par ce passé ont été enregistrés entre décembre 2021 et janvier 2022 et sont diffusés dans l’exposition. «Le ton choisi dans cette exposition est certainement autre que si nous avions fait cette recherche il y a 20 ans. La volonté est vraiment de provoquer la discussion sur ce sujet. Beaucoup reste encore à faire connaitre au grand public et cette exposition n’est finalement qu’une introduction à un sujet qui profond et vaste», conclut Régie Moes.

 Le passé colonial du Luxembourg, du 8 avril au 6 novembre 2022, au MNHA