Lancée dans le sillage de la crise sanitaire, le plan européen de relance — la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) — devait armer les États membres face aux grands défis de demain. Parmi eux, celui de la transformation numérique. Dotée de 724 milliards d’euros, la FRR a affecté environ 150 milliards à cet objectif, soit deux tiers de l’ensemble des fonds européens consacrés au numérique sur la période 2021-2027.
Mais, selon , l’élan n’a pas été à la hauteur des ambitions. Si les États membres ont tous respecté l’obligation de consacrer au moins 20% de leurs plans à la transition numérique, cela s’est fait «sans réelle stratégie», pointe la responsable de l’audit, Ildikó Gáll-Pelcz.
En cause, une définition trop floue de ce que recouvre la transition numérique et une absence d’obligation à cibler les besoins prioritaires identifiés, notamment via les rapports DESI (indice européen de performance numérique). «Il ne suffit pas d’investir dans des mesures en lien avec le numérique pour contribuer de manière significative à la transition numérique», rappellent les auditeurs.
Le Luxembourg: un engagement fort aux effets limités
Dans son échantillon de cinq pays analysés en profondeur, la Cour a inclus le Luxembourg, aux côtés de la France, du Danemark, de l’Italie et de la Roumanie. Avec 30% de son enveloppe FRR dédiée au numérique, le pays se classe en quatrième position à l’échelle européenne, même si le montant absolu reste le plus faible (20 millions d’euros) — logique, au vu de sa taille.
Mais le compte rendu souligne une limite importante: le Luxembourg s’appuie déjà largement sur ses propres ressources pour financer ses projets numériques, ce qui limite l’effet levier de l’aide européenne. En d’autres termes, la FRR n’a pas permis de combler les faiblesses identifiées dans les performances numériques du pays.
Par ailleurs, près de la moitié des jalons numériques prévus accusent un retard. C’est notamment le cas du projet LuxQCI, visant à développer une infrastructure de communication quantique sécurisée. Doté d’un budget de dix millions d’euros, il représente à lui seul 41% du volet numérique du plan national.
Si la phase initiale (création du laboratoire, essais terrestres) est achevée, les connexions transfrontalières et satellitaires prennent du retard. Le lancement de ce dernier n’aura d’ailleurs pas lieu avant la fin 2025 ou le premier semestre 2026 en raison d’une série de retards au niveau de la conception. «Étant donné que le satellite devra ensuite être mis à l’essai pendant environ six mois pour devenir opérationnel, la mesure ne pourra probablement pas être achevée avant la fin de la période de mise en œuvre de la FRR (31 décembre 2026, ndlr)», indique le document.
Autre chantier partiellement retardé: la digitalisation des services publics. Deux des trois volets (nouveaux services en ligne, application mobile de MyGuichet.lu) sont opérationnels. Mais la dématérialisation des rendez-vous avec les administrations, y compris via visioconférence, a également avancé plus lentement que prévu.
Une dynamique européenne en panne
Le Luxembourg n’est pas un cas isolé. À l’échelle de l’Union européenne, moins d’un tiers des jalons et cibles (31%) ont été atteints à mi-parcours de la période de mise en œuvre de la FRR, soit six points de pourcentage de moins que prévu. Dans les cinq pays analysés, près de la moitié des objectifs sont hors délai, certains ayant même été modifiés ou remplacés.
Plus globalement, la dynamique de coopération entre États membres reste timide: à peine 60 projets numériques plurinationaux ont vu le jour — soit seulement 3,3% des fonds dédiés au numérique — sur plus de 1.000 mesures recensées. Des chiffres qui traduisent la difficulté à faire coexister projets complexes et délais courts.
Dernier grief des auditeurs: l’évaluation de l’impact de la FRR reste lacunaire. Les indicateurs de performance sont jugés trop généraux, mal alignés sur la stratégie numérique de l’UE, et peu exploitables. Dans 60% des cas, les États membres n’ont pas utilisé les indicateurs communs, ou ont communiqué des données incohérentes et imprécises. «Dans ces conditions, rien ne dit qu’à terme, la FRR aura pleinement joué son rôle de catalyseur pour la transition numérique de l’UE», concluent les auditeurs.