Le Premier ministre s’est voulu très clair: «Les contribuables n’ont subi aucun préjudice suite à la disparition de 61 millions d’euros des caisses de Caritas.»
«Une fraude horrible», comme la qualifie . Cela ne veut pas dire que c’est le cas pour l’État. Cinq millions d’euros versés pour financer les actions de Caritas International ont effectivement disparu. Cinq millions que le gouvernement va déduire des sommes qu’il doit à l’association. Selon les décomptes faits par les services de l’État, ce dernier doit donc encore 1,5 million à Caritas «sur la base des prestations réellement fournies», déduction faite donc de ces cinq millions disparus.
Selon le bilan 2023, validé en mai 2024, par l’auditeur Grant Thornton, Caritas avait sur ses comptes, fin 2023, 30,7 millions d’euros. 14,9 millions de fonds propres, dont une subvention d’investissement en capital de 5,3 millions (3,8 millions provenant de l’État) et 15,8 millions de fonds dédiés. Les fonds dédiés, particularité du monde associatif, sont des fonds liés à son objet social. C’est cet argent qui a disparu. Somme à laquelle il convient d’ajouter 30 millions de lignes de crédit auprès de deux banques de la Place que Caritas conteste.
Au début de l’été, Luc Frieden avait été clair en annonçant que plus aucune somme d’argent ne serait versée sur les comptes de Caritas «parce que nous n’avons plus confiance dans le management actuel». Officiellement, le management n’a à ce jour pas changé. Mais le Premier ministre explique que l’objectif premier du gouvernement est que les activités de l’association faites pour le compte de l’État puissent continuer. Et les financements de l’État sont indispensables au bon fonctionnement de l’association. Ce sont 4 millions d’euros par mois versés trimestriellement qui lui sont alloués pour financer les activités. Pour mémoire, l’action de Caritas est menée via quatre structures en charge respectivement de l’accueil et de la solidarité, de la précarité, des enfants, des jeunes et des familles, des réfugiés et des migrants, et de l’action internationale.
Les crèches et les maisons relais fonctionneront en septembre
Comment donc faire survivre l’activité?
«Avec la nouvelle Caritas», détaille Luc Frieden. Nouvelle Caritas qui n’est pas encore mise en place, le seul interlocuteur de l’État étant actuellement le Comité de crise présidé par Christian Billon – ex-secrétaire général de la gestion du patrimoine du Grand-Duc Henri et ancien de PwC – entouré de Marie-Josée Jacobs, Marc Hengen, Nathalie Frisch, de Philippe Sylvestre et de Tiphaine Gruny. Comité de crise qui travaille à la mise en place de nouvelles structures.
Lorsque ces nouvelles structures seront mises en place, toutes les conventions liant l’État à l’association seront annulées et renégociées avec des mécanismes de contrôles renforcés. La structure en charge des enfants, des jeunes et des familles – structure jugée saine – n’est pas touchée par cette remise à plat. «Il semble à ce stade qu’il n’y ait pas eu de fraudes», indique Luc Frieden. Les crèches et les maisons relais fonctionneront donc en septembre. Ce qui va changer, c’est que les financements passeront par d’autres banques «pour bien montrer la séparation».
Pour les trois autres structures, le modus operandi sera précisé dans les semaines à venir. Ce qui est sûr, c’est qu’aucun versement ne sera fait «sans des contrôles renforcés». L’objectif du gouvernement est que les sous-traitants de Caritas – pour la plupart des PME – soient payés «afin d’éviter un effet boule de neige».
Les 5 millions disparus dans la structure «action internationale» qui fonctionnait sur la base de préfinancements ne seront par contre pas reversés.
La réforme de cette branche de l’asbl s’annonce compliquée.
Pour ce qui est des salaires, ils seront versés en septembre. Après, «l’État signera de nouvelles conventions avec la nouvelle Caritas afin de permettre le paiement des salaires».
Quels seront les contours de cette nouvelle Caritas et qui sera aux commandes? Luc Frieden renvoie à l’association elle-même. «Ce qui est important pour nous, c’est de ne plus avoir d’interlocuteurs issus de l’ancienne Caritas. Nous souhaitons travailler avec une nouvelle direction.»
La CSSF saisie
Sur les conséquences judiciaires de l’affaire, Luc Frieden renvoie à la justice et à la CSSF. «Il y a beaucoup de choses dans cette affaire que je ne comprends pas», confesse le Premier ministre. Il n’est pas le seul dans ce cas. «Il est clair qu’il y a eu de nombreux manquements au sein de Caritas.» S’il veut laisser faire la justice, le gouvernement ne reste pas inactif. Les ministres des Finances et de la Justice, et ont été chargés de voir si une réforme de la gouvernance des asbl issue de la loi du 7 août 2023 peut être renforcée, notamment pour les asbl qui reçoivent beaucoup de fonds publics.
«J’ai pris connaissance de la proposition de loi déposée par le LSAP. Pas sûr que cela soit pertinent. Chacun des virements et des demandes de crédits émis par Caritas avaient bien deux signatures. Étaient-ce des signatures autorisées? », s’interroge Luc Frieden.
La CSSF a été également sollicitée par le gouvernement via le ministère des Finances afin de pointer d’éventuels manquements des banques. Deux des banques citées dans l’affaire ont dans leurs conseils d’administration des représentants de l’État actionnaires. Ceux-ci vont également demander des comptes.
Si, sur le court terme, la survie de Caritas et surtout ses actions semblent stabilisées, l’affaire aura des retombées politico-judiciaires importantes. Luc Frieden l’assure: «Je ne compte pas en rester là.»