Comme le sparadrap du capitaine Haddock, les «anciennes pratiques» collent au doigt de . Pendant la campagne des législatives, les concurrents du Spëtzekandidat CSV l’ont désigné responsable du chemin de croix imposé au Luxembourg, depuis 10 ans, en matière financière et fiscale. En témoigne cette saillie de (DP) lors de la avec les principales têtes de liste des élections, dans les locaux de PwC.
«Je suis dans un établissement, ici, qui a beaucoup souffert de l’ancienne politique», lance Bettel à Frieden devant un auditoire médusé. L’ancien ministre des Finances fait mine de ne pas comprendre. Le candidat DP et Premier ministre sortant insiste: «J’ai dû changer [les règles], je suis désolé, on était blacklisté, il y a une question de réputation.» Et d’enfoncer le clou: «Croyez-moi, la place financière luxembourgeoise serait morte aujourd’hui si on n’avait pas fait les changements qui étaient nécessaires.»
Il a fallu un nouveau gouvernement pour que les pratiques changent au Luxembourg.
Loin de se repentir, Luc Frieden défend alors les rulings fiscaux, soulignant leur contribution à la prospérité de la Place. Sur le secret bancaire, il aurait aussi pu rappeler que c’est lui, ministre des Finances, qui a brisé le tabou de l’échange automatique d’informations au printemps 2013. Avec cette déclaration, un fameux dimanche d’avril, dans la Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung: «La tendance internationale va vers un échange automatique d’informations bancaires. Nous n’y sommes plus strictement opposés.»
Le tabou brisé, reste à lancer le mouvement vers la conformité. Accusé par ses partenaires de traîner les pieds, Luc Frieden quitte finalement la scène en décembre 2013, à la faveur du changement de gouvernement. «Il a fallu ce nouveau gouvernement, puis le scandale LuxLeaks en novembre 2014, pour que les pratiques changent au Luxembourg», se souvient l’ancien directeur fiscal de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Pascal Saint-Amans, auteur d’un livre récent sur ce changement de paradigme («Paradis fiscaux. Comment on a changé le cours de l’histoire», éd. du Seuil).
Pas de zèle vis-à-vis de l’UE
Dix ans plus tard, Luc Frieden est de retour aux affaires. Cette fois comme Premier ministre. L’ancien champion du particularisme financier et fiscal fait mine de vouloir jouer le jeu de la conformité internationale. Mais sans faire de zèle, en particulier vis-à-vis de l’UE. «Dans le cas des directives européennes, le gouvernement s’engage à procéder selon le principe ‘toute la directive et rien que la directive’», lit-on dans l’accord de coalition.
Cette posture , qui reprochait à (DP) de faire du «gold plating» durant son passage de presque 10 années au ministère des Finances. Un exemple de surtransposition? Secrétaire général de l’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL), cite les obligations concernant l’identification et la vérification de l’identité des bénéficiaires effectifs: «Dans ce cadre, le Luxembourg a initialement obligé les banques à identifier systématiquement tous les dirigeants de sociétés intermédiaires dans les chaînes de détention, se montrant ainsi plus prescriptif que le texte européen. C’est un échange avec la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) qui a finalement permis de revenir, plus justement, à une approche fondée sur les risques.»
Il a pu y avoir un ressenti, sur la Place, du fait d’une approche trop prescriptive.
Le principe «toute la directive et rien que la directive», perçu comme un facteur de compétitivité, est généralement respecté dans le domaine financier, reconnaît Camille Seillès. «Nous encourageons le nouveau gouvernement à poursuivre sur cette voie.» Mais pour le représentant des banques, le reproche de la surtransposition ne vient pas de nulle part: «Il a pu y avoir un ressenti, sur la Place, du fait d’une approche parfois trop prescriptive dans l’application des textes et de la part des personnes en charge de contrôler leur application.»
On l’aura compris: pas de révolution à attendre du gouvernement Frieden sur ce plan. Reste qu’il sera confronté, dans certains domaines, à une volonté d’aller plus loin qu’une transposition stricto sensu des directives européennes. Exemple avec le projet de loi sur la comptabilité – déposé en juillet dernier à la Chambre des députés – qui transpose la directive comptable de l’UE, mais élargit son champ d’action et son périmètre et entend combler certaines lacunes. La nouvelle majorité l’entendra-t-elle de cette oreille?
Nervosité vis-à-vis du Gafi
Entre conformité minimale et mise en œuvre appliquée, Luc Frieden devra, en particulier, se positionner sur les (Gafi) en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. L’été dernier, l’organisme intergouvernemental s’est déclaré satisfait du Luxembourg, tout en l’appelant à mieux surveiller le secteur non financier. Un rapport de suivi est attendu en 2026.
La nervosité reste grande, comme en témoigne la note au formateur du procureur d’État, Georges Oswald. Les mesures nécessaires, écrit-il, «sont à mettre en place de toute urgence et de préférence dès 2023, alors que la période d’observation à l’occasion de la prochaine évaluation, rappelons-le, a d’ores et déjà commencé». Et de mettre en garde le gouvernement: «Si le statu quo est maintenu ou si seulement des améliorations minimes sont apportées dans ce court délai, le Grand-Duché de Luxembourg sera placé sur la liste grise du Gafi avec ce que cela comporte comme impact en termes de perte du triple A, pour la pérennité de la place financière et pour la stabilité des finances publiques et de l’économie dans son ensemble.»
Le Luxembourg s’est beaucoup rapproché des systèmes allemand et belge.
Avocate aux barreaux de Bruxelles, Genève et Luxembourg, la fiscaliste Typhanie Afschrift juge pour sa part que «le Luxembourg est devenu très rigide en matière de blanchiment». Elle appelle Luc Frieden à résister: «Les exigences du Gafi sont devenues vraiment excessives. Quelle que soit l’importance de la lutte contre le blanchiment d’argent, on ne peut pas tout subordonner à cet objectif. M. Frieden devrait essayer de fédérer un groupe d’États pour faire pression sur le Gafi.»
Las! Le Luxembourg ne rêve aujourd’hui plus que de conformité en matière financière et fiscale, se désole l’avocate belge: «Là où la Suisse, par exemple, a conservé des spécificités, le Luxembourg s’est beaucoup rapproché des systèmes allemand et belge – exception faite de quelques micro-niches dans le domaine financier.»
Luc Frieden l’avait compris en 2013: pour ceux qui veulent un Luxembourg différent sur le plan réglementaire, la partie est perdue. À la tête d’un pays rentré dans le rang, le nouveau Premier ministre est-il prêt à rejouer la bataille du particularisme? En a-t-il seulement envie?