Les acteurs du marché de la livraison au Luxembourg critiquent les pratiques salariales de Wedely. Reste à savoir si le nouveau venu, Goosty, respectera l’approche sociale qu’il met en avant, ou non. (Photo: Shutterstock)

Les acteurs du marché de la livraison au Luxembourg critiquent les pratiques salariales de Wedely. Reste à savoir si le nouveau venu, Goosty, respectera l’approche sociale qu’il met en avant, ou non. (Photo: Shutterstock)

Goosty vient de lancer sa plateforme de livraison pour les restaurants au Luxembourg, qui compte bien se démarquer de la concurrence grâce à sa technologie et son approche sociale. Sur laquelle ses concurrents émettent des doutes. Chacun défendant sa part du gâteau, dans un marché en pleine expansion.

Nouvelle fermeture des restaurants oblige, le secteur des livraisons de repas est plus que jamais stimulé, autant qu’il est observé à la loupe. Au Luxembourg comme dans d’autres pays, ses pratiques et la multiplication de ses acteurs font couler beaucoup d’encre. Alors que le marché semble de plus en plus dominé par l’enseigne Wedely en cette fin 2020, un petit nouveau a décidé de se lancer…

Techno et socio

Ce louveteau dans la meute de la livraison, c’est Goosty, toute jeune entreprise fondée à l’aube du premier confinement par trois amis d’école de commerce: Hadrien Branca, Alexandre Mithouard et Alexandre Roderich. L’idée de base était pourtant bien différente, comme l’a confié ce dernier à Paperjam: «Nous voulions créer une ‘ghost kitchen’ qui rassemblerait au sein d’une même cuisine dédiée à la livraison des restaurateurs ayant cessé leur activité, temporairement ou définitivement. C’est un modèle qui marche bien dans de grandes villes européennes, mais que nous n’avons finalement pas réussi à concrétiser au Luxembourg.»

Un terrain peu fertile qui pousse les trois associés à repenser leur modèle économique, même si l’idée reste dans un coin de leur tête pour plus tard. Ils décident donc de se lancer dans un nouveau service de livraison, avec deux atouts principaux pour se démarquer de la concurrence: une application performante tout d’abord, qui manque effectivement aux autres spécialistes luxembourgeois, et une démarche plus «social oriented» que celle des autres marques. «Notre commission est de 19%, donc bien inférieure aux plus ou moins 30% pratiqués par les grands groupes internationaux et à celle de nos concurrents locaux.»

Le facteur ‘confiance’ nous paraît vraiment important.
Alexandre Roderich

Alexandre RoderichCofondateurGoosty

Mais cette démarche sociale, inspirée selon Alexandre Roderich par le cursus dispensé dans son école de commerce, s’étend aussi à son pool de livreurs, comme il le précise: «Nos livreurs ne sont pas salariés et sont donc des prestataires en grande majorité indépendants, comme dans de nombreux services de livraison, mais nous mettons un point d’honneur à leur fournir des plannings efficaces et organisés en fonction des besoins de la plateforme et à créer un esprit d’équipe autant que possible. On les connaît et ils nous connaissent, et le facteur ‘confiance’ nous paraît vraiment important.»

L’exclusivité comme obstacle principal

Si les trois jeunes hommes ont déjà dans leur portefeuille de restaurants des références très en vogue, comme Bazaar, Scott’s, Strogoff, Mamacita ou Brasserie Schuman, ils sont déjà conscients que les conditions d’abonnement de nombreux établissements auprès de service concurrents, et notamment de Wedely, qui incluent a priori parfois des clauses d’exclusivité et des pénalités en cas de départ, les empêchent de rejoindre librement la plateforme Goosty. Interrogée à ce sujet, la direction de Wedely n’a pour l’instant pas souhaité répondre à nos questions.

Les trois fondateurs de Gootsy, qui compte bien se faire une place sur le marché de la livraison au Luxembourg. (Photo: Gootsy)

Les trois fondateurs de Gootsy, qui compte bien se faire une place sur le marché de la livraison au Luxembourg. (Photo: Gootsy)

Rentable et légal, une équation compliquée

D’autres acteurs du secteur surveillent de près l’arrivée de ce nouveau venu. C’est le cas de Foostix, qui a du mal à croire à un concept socioresponsable avec des livreurs indépendants. Elle a elle-même dû abandonner son système de livraison de repas fin 2019, car, «en respectant la loi, qui permet de travailler avec les free-lances de manière très restrictive, il est impossible d’être profitable», a calculé , son fondateur. «Il aurait fallu demander plus de cinq euros par livraison et plus de 30% de commission.» Alors, «l’arrivée de nouveaux acteurs nous pousse à relancer nos actions en cours», dit-il, en référence à une demande faite à l’ITM de vérifier les contrats de travail dans le secteur de la livraison. «Nous n’avons pas encore relancé, mais ça ne saurait tarder», dit-il.

Il semble qu’on a bien affaire à un cas important – même s’il faut faire valoir la présomption d’innocence – de contournement du droit du travail. Et l’ITM se doit de réagir.
Dan Kersch

Dan Kerschministre du Travail

Le ministre du Travail (LSAP) : «Des plaintes ont déjà été déposées en 2018 et 2019. Un certain nombre de contrôles ont déjà été effectués par l’ITM. Ainsi, il m’a été confirmé que sept dossiers ont été transmis au Parquet et qu’un travail intensif est mené sur ceux-ci. Il semble qu’on a bien affaire à un cas important – même s’il faut faire valoir la présomption d’innocence – de contournement du droit du travail. Et l’ITM se doit de réagir.»

Depuis fin 2019, Foostix ne propose donc plus la livraison, mais simplement la mise en relation sur sa plateforme entre les clients et les restaurateurs. Sa commission de 10% comprend les frais de transaction en ligne et le programme de fidélité, et elle assure ne demander aucune exclusivité aux établissements. Si elle a «perdu la moitié de son trafic d’un jour à l’autre», l’importante demande durant la crise l’a aidée à revenir à son niveau avec entre 150 et 160 restaurants partenaires. Elle a constaté un pic à +30 à 50% de demande en avril, retombé, depuis, et qui revient depuis la seconde fermeture de l’horeca.

Malgré une baisse attendue de son chiffre d’affaires en 2020, qui s’élevait «au-dessus d’un demi-million» en 2019, Marc Neuen affirme que «oui, le nouveau business model fonctionne». Le site a été refait récemment, de manière à «laisser la possibilité après de faire une application», projette-t-il.

Tous veulent une appli

L’exemple de Grouplunch, qui se dit rentable en travaillant avec une trentaine de livreurs, tous en CDI, pourrait donner tort aux calculs économiques de Foostix. Son CEO, Pierre V. Pereira da Silva, l’explique par des investissements dans la technologie, «notamment un système de consolidation des commandes», et un important volume avec «des milliers de commandes par jour».

Le groupe s’était spécialisé depuis plusieurs années dans la livraison en entreprise, mais il a changé son fusil d’épaule face au télétravail en masse imposé par la crise sanitaire, qui a fait chuter la demande (de près de 50% en ce moment, même si ce chiffre fluctue énormément). En lançant en juillet la version bêta de Foozo, sa plateforme de livraison pour les particuliers. Les deux devraient être intégrées sur un même site, Foozo.lu, avant la fin de l’année. Il se veut «mobile-friendly», en attendant le lancement d’une application «courant 2021».

Le service que nous proposons est de haut niveau. Ce qui explique notre succès sur le marché corporate.

Pierre V. Pereira da SilvaCEOFoozo et Group Lunch 

Une offre similaire à celle du nouveau Goosty, donc. «Nous regardons cela avec attention. Il est vrai que nous jouons sur le même terrain. Par contre, aucune autre plateforme que la nôtre au Luxembourg ne permet de commander dans plusieurs restaurants en une seule commande, sans frais», commente Pierre V. Pereira da Silva, qui met en avant l’argument «qualité» pour se démarquer. «Le service que nous proposons est de haut niveau. Ce qui explique notre succès sur le marché corporate.» Avant d’ajouter: «Il y a aussi l’argument de l’engagement sur le plan social et environnemental. C’est une différenciation très importante, car Goosty emploie la technique ‘livreurs Kleenex’, tout comme Wedely, en les payant à la tâche», dénonce-t-il. «Avoir l’humain comme variable d’ajustement résiduelle nous semble un modèle sans avenir.»

Chez Foozo, la commission est de 30%, sans contrat d’exclusivité. Mais elle propose en revanche une quasi-exclusivité à ses restaurateurs, avec «par exemple pas plus de deux ou trois italiens. Chacun a donc plus de clients chez nous et est assuré de ne pas perdre d’argent en ne livrant que quatre ou cinq commandes par jour». Ils sont 30 au total, dont seulement un tiers présent sur les deux plateformes, Foozo et Grouplunch. Un chiffre que Pierre V. Pereira da Silva espère voir passer à 50 en fin d’année, grâce à un marché de la livraison en expansion, afin de rattraper la chute du corporate. Pour l’instant, «difficile» pour lui d’estimer son chiffre d’affaires pour 2020. Il était de 3 millions d’euros en 2019 sur le Luxembourg.