Quels sont les premiers souvenirs liés à la cuisine que vous avez de Louis?
Louis Linster (Louis L.) – «Je devais avoir deux ou trois ans, je courais dans la cuisine et je me souviens surtout d’aller partout, de tout regarder.
Léa Linster (Léa. L.) – «Une fois à Pâques, j’ai fait un test de cuisson d’une pointe d’asperge verte dans une grande marmite d’eau pour le restaurant. J’ai utilisé cette même eau qui était déjà bouillonnante pour cuire les Kniddelen que Louis aimait tant. Il est allé voir ma mère – sa grand-mère – pour lui dire que j’avais osé cuire les Kniddelen dans l’eau de l’asperge! Je n’étais pas du tout fâchée, même très heureuse de voir qu’il avait déjà son avis. [En feuilletant ses livres de cuisine dans lesquels on trouve plusieurs photos de Louis lorsqu’il était enfant.] Louis a toujours fait partie de l’histoire, il était toujours présent au restaurant, où il se promenait en tricycle. Il y a aussi fait ses premiers pas.
Qu’est-ce que Louis aimait manger quand il était petit?
Léa L. – «Il avait du plaisir à goûter à tout. Son plat préféré, c’était les cuisses de grenouilles parce qu’il pouvait jouer avec les os comme avec ses petits soldats. Une fois, quand il était tout petit, on nous avait amenés dans un restaurant à Remiremont, où on a mangé des cuisses de grenouilles. Il a adoré! Mais, après, on a eu des râpés vosgiens de pommes de terre. Louis a dit: ‘’Comment c’est possible que ça soit la même personne qui ait cuisiné? Les cuisses de grenouilles, c’est excellent, mais les râpés vosgiens, c’est dégueulasse!’’ On lui disait: ‘’Chut, chut!’’ Mais il insistait en nous disant qu’il ne fallait pas les manger. On a goûté et c’était effectivement dégueulasse, parce que l’appareil avait viré et était devenu aigre. À deux ans et demi, il avait raison!
Louis, comment perceviez-vous le métier de votre mère, qui devait être très occupée?
Louis L. – «J’étais petit et j’ai grandi dans cette situation. Je n’en connaissais pas d’autre, c’était normal pour moi. léa l. Il avait une nounou qui venait au restaurant, ça se passait très bien. Ma mère était là aussi. Je ne voulais pas que Louis ressente le restaurant comme une barrière. louis l. C’est quand même un peu ce que j’ai ressenti vers 18 ans. Quand on a grandi dans le même environnement, au bout d’un moment, on en a marre et on veut voir autre chose.
Vous avez fait vos études supérieures à HEC Lausanne. La cuisine faisait-elle toujours partie de votre vie à ce moment-là?
Louis L. – «Oui, je faisais à manger tous les jours et je cuisinais peut-être mieux que l’étudiant de base. La seule chose qu’on allait manger dans un restaurant, c’était une pizza et elle était déjà à 40 euros [rires]. léa l. De temps à autre, je ramenais du crémant rosé pour faire des Aperol Spritz. Louis avait la réputation d’avoir les meilleurs Aperol Spritz de Lausanne!
Ressentiez-vous une pression pour reprendre l’affaire familiale?
Louis L. – «Pas du tout, je n’y pensais pas. Quand on est jeune, on ne sait pas vraiment ce que l’on veut faire. léa l. On ne voulait pas lui mettre la pression, la phrase n’a jamais été prononcée. C’est normal de ne pas avoir la notion de «génération» quand on est jeune. On y pense quand on vieillit.
J’ai l’impression que c’est de la cuisine de la mamie dont se rappellent le plus les enfants.
Quand avez-vous décidé de finalement devenir cuisinier?
Louis L. – « Je suis revenu au Luxembourg faire ma dernière année d’études et j’étais de nouveau souvent au restaurant. C’est à ce moment que j’ai eu envie de faire de la cuisine. léa l. Au restaurant de la Banque de Luxembourg, je disais aux banquiers que mon fils faisait HEC et pas l’école hôtelière, que c’était eux qui allaient finir par l’engager plutôt que moi. Au début, je pensais qu’il allait être manager du restaurant, mais seulement trois ans après son retour, il a dit qu’il voulait être chef. Depuis ses 16 ans, j’avais vu qu’il en était capable. Pour rigoler, je lui disais: «Même si je tombe sous une moissonneuse-batteuse demain, toi, tu pourras reprendre les affaires.»
Louis est officiellement devenu responsable de la cuisine du restaurant en 2017. Comment s’est passé le passage de relais?
Léa L. – « Au tout début, quand il est arrivé au restaurant, je me suis quand même demandé s’il savait cuisiner. J’avais dit à Korbi (Korbinian Wolf, qui était le sous-chef de Léa Linster, ndlr): ‘’Dis à Louis que je t’ai donné trop de travail et que tu as besoin qu’il te donne un coup de main.’’ Après le service, je lui ai demandé comment ça s’était passé et il a dit: ‘’Louis sait tout faire, je n’avais même pas besoin de lui montrer.’’ On parlait de transmission depuis 2015, lorsque j’ai eu 60 ans. À cet âge, on ne vous fait plus de crédit. Je voulais que Louis rentre dans la société pour qu’il y ait un suivi.
Louis, comment avez-vous intégré votre cuisine à la carte du restaurant après le départ de votre mère? Comment ont réagi les clients?
Louis L. – «C’est venu petit à petit, on ne peut pas tout changer d’un coup. C’est un travail énorme qui prend du temps, surtout quand il y a toujours du monde. Au début, les habitués trouvaient ça bizarre qu’il y ait des changements, mais ils sont revenus et, maintenant, c’est eux qui réclament des nouveautés. Avant, ils avaient plutôt l’habitude de prendre toujours la même chose.
L’image de Léa est encore très attachée à celle du restaurant.
Louis L. – «Moins maintenant que je suis en cuisine. léa l. Je ne voulais absolument pas que nous soyons comparés, qu’on dise qu’il fait «presque» comme moi. Ce qu’il tient de moi, c’est son palais et le fait que nous faisons tous les deux une cuisine goûteuse.
Qu’est-ce qui distingue vos deux cuisines?
Louis L. – « L’époque, déjà. Ma mère a commencé il y a presque 50 ans. Beaucoup de choses ont changé depuis. Les gens veulent être étonnés, ce qui n’était pas spécialement le cas dans le temps. léa l. Louis n’a jamais travaillé chez un autre cuisinier, mais il a mangé chez tout le monde, c’est la meilleure école.
Et dans la façon de gérer le business?
Louis L. – «Il fallait changer. Ces quatre dernières années, tout a changé, et plusieurs fois même. Avec le Covid, la guerre, les indexations… il a fallu tout revoir. Si j’ai des questions à poser à ma mère, je lui pose, mais elle n’est plus impliquée de ce côté-là.
Est-ce que, Léa, vous venez encore souvent au restaurant?
Léa L. – «Oui, en tant que cliente. Parfois, Louis m’appelle quand des clients veulent absolument me voir, pour que je vienne les saluer. J’aime bien aller dire bonjour, ça me prend une minute, et les gens sont heureux. Si ça avance encore pour Louis, il y aura des jours où il sera engagé ailleurs et il ne pourra pas fermer le restaurant pour autant. Alors, ça sera à moi d’être présente, d’aller dire bonjour. Je lui ai dit qu’il pourrait compter sur moi.
Est-ce que vous arrivez à avoir une relation mère-fils «normale», où tout ne tourne pas autour de la cuisine?
Louis L. – «On arrive à avoir nos moments, mais c’est difficile parce que c’est une habitude. Quand j’étais petit, c’est elle qui avait beaucoup de travail et, maintenant, c’est l’inverse. On a quand même nos discussions plus privées.
Louis, vous venez d’être élu Meilleur chef de l’année. Comment avez-vous accueilli cette distinction? Qu’est-ce que cela change pour le restaurant?
Louis L. – «Ça a été une belle surprise. Cette année était aussi ma première en tant que papa et j’ai eu beaucoup de travail ces derniers mois. Je ne pensais pas forcément que cette année allait être la bonne. léa l. J’ai toujours été fière de Louis, même pour toute autre chose. louis l. Depuis, j’ai plein d’interviews, c’est un bon coup de pub. On a déjà beaucoup de monde, mais on voit qu’il y a encore plus de réservations. Beaucoup de demandes pour des fêtes de famille.
D’ailleurs, est-ce que vos fêtes de famille ont lieu au restaurant?
Louis L. – « Avant oui, mais plus maintenant parce qu’il faut tout ranger après [rires]. Souvent, je demande à quelqu’un d’autre de cuisiner, mais, au final, c’est quand même moi qui le fais. léa l. Le premier vrai grand repas que Louis a cuisiné, c’était pour Noël, lorsqu’il avait 14 ans. Il aimait tellement le risotto à la truffe blanche. Il voulait aussi mettre un bon vin rouge, il a choisi un Châteauneuf-du-Pape pour aller avec le ragoût de chevreuil.
Louis, vous êtes le papa d’un petit garçon, Léon. Est-ce que vous souhaitez qu’il fasse perdurer la tradition familiale?
Louis L. – «Pas forcément, il pourra faire ce qu’il veut. Il est encore tout petit, mais, en tout cas, il aime manger et il sait déjà où le chocolat est caché dans le restaurant! J’espère qu’un jour, il donnera son avis sur mes plats.
Léa L. – «Ça serait naturellement fantastique. Avec un peu de recul, je me rends compte que j’ai été la troisième génération, Louis la quatrième, et Léon pourrait être la cinquième à reprendre l’affaire familiale. C’est toujours la même maison, qui a toujours porté et porte encore le nom Linster. Aujourd’hui, Louis est le chef et le propriétaire du restaurant, ce qui est rare. Mais on ne sait pas de quoi aura l’air la gastronomie en général et luxembourgeoise dans le futur. On ne sait pas comment les restaurants vont se développer.
Louis, qu’est-ce que le fait de devenir papa à changer dans votre quotidien de cuisinier?
Louis L. – «C’est surtout le fait qu’on cuisine tous les jours à la maison pour lui, ma femme et moi. Ce qu’on ne faisait pas avant. C’est difficile d’aller au restaurant avec un bébé parce qu’il n’y a jamais de plats adaptés. Les portions sont trop grandes et ça serait dommage de gaspiller. léa l. Léon et moi sommes de très grands amis. Et je vais lui faire à manger! Je veux lui faire la mousse de poulet de Bresse. J’ai l’impression que c’est de la cuisine de la mamie dont se rappellent le plus les enfants. Les chefs mentionnent souvent la cuisine de leur grand-mère.
Louis L. – «Oui, moi-même je le dis.
Léa L. – «Et j’envisage aussi de faire un livre de cuisine avec Léon.
Quels sont vos projets et vos ambitions pour le futur?
Louis L. – «La deuxième étoile, je pense que c’est la prochaine étape. Pour l’équipe aussi, qui aimerait vraiment l’avoir. Je viens de gagner le prix de Meilleur chef de l’année, mais je considère qu’on l’a tous gagné ensemble.
Léa L. – «Moi je vais continuer à faire les meilleures madeleines du monde dans ma boutique que j’adore!»
L’épopée gastronomique de Léa et Louis Linster
Les débuts
L’histoire commence lorsque Léa rénove complètement l’ancienne station-service de son père, qui faisait à la fois bistro, jeux de quilles ou encore bureau de tabac.
L’étoile
Le Restaurant Léa Linster obtient une étoile au guide Michelin.
Consécration
Léa représente le Luxembourg au Bocuse d’Or et gagne le concours. Elle est la première femme, et la seule à ce jour, à avoir remporté ce prix.
Quatrième génération
Après ses études à HEC Lausanne, Louis, le fils de Léa, reprend finalement l’affaire familiale. Sa compagne Njomza, qui est aujourd’hui sa femme, travaille en salle.
Diversification
Les madeleines étant devenues au fil des années une des marques de fabrique de Léa, elle ouvre une boutique consacrée à cette douceur dont raffolent ses clients au restaurant.
Passage de relais
Louis prend officiellement la tête des cuisines du restaurant et devient le plus jeune chef étoilé du Luxembourg. Il fait petit à petit évoluer la carte vers la nouveauté.
Première distinction
Louis est élu Meilleur jeune chef luxembourgeois de l’année 2021 par le guide Gault&Millau.
Nouvelle reconnaissance
Louis décroche la plus haute distinction du guide Gault&Millau Luxembourg en obtenant le prix de Chef de l’année 2024.
Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de , paru le 22 novembre. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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