Lotfi Khalfat, 48 ans, s’est fait un nom dans le sport à travers le tennis. Une porte d’entrée pour s’attacher les services d’anciens champions, qui à ses côtés se font speakers lors d’interventions en entreprise. (Photo DR)

Lotfi Khalfat, 48 ans, s’est fait un nom dans le sport à travers le tennis. Une porte d’entrée pour s’attacher les services d’anciens champions, qui à ses côtés se font speakers lors d’interventions en entreprise. (Photo DR)

Entre Euro de foot et JO de Paris, notre série en cinq épisodes consacrée aux liens étroits entre sport et affaires. Aujourd’hui: le boom des conférenciers, avec le fondateur de Sportsvision, Lotfi Khalfat. Sa jeune société propose au Luxembourg un catalogue d’anciens champions internationaux aux parcours inspirants.

L’ancien meilleur rugbyman de la planète Jonny Wilkinson, le footballeur champion du monde Marcel Desailly, le judoka star des Jeux Olympiques David Douillet, le sprinteur canadien Bruny Surin… Scroller le catalogue en ligne des speakers de Sportsvision, c’est un peu tourner les pages d’un album réunissant, d’une discipline à l’autre, quelques-unes des plus belles réussites sportives de ces 10, 15 ou 30 dernières années. Nostalgie…

En activité depuis l’an passé au Luxembourg, mais également en France et en Belgique, cette société organisatrice de conférences et de formations en entreprise (pas moins de 25 modules au programme) s’appuie sur une quarantaine d’ex-champions entraînés, est-il promis, pour réaliser les mêmes prouesses, micro en main, devant un public professionnel, qu’autrefois dans les stades, sous les vivats.

À la tête de la structure, on retrouve un Belgo-Tunisien de 48 ans, Lotfi Khalfat. Affable, passionné, Lotfi Khalfat connaît d’autant mieux les sportifs de haut niveau qu’il en a entraîné quelques-uns. Son dada, c’est le tennis. Diplômé en Belgique et en France, il a coaché durant un an aux États-Unis. Un épais carnet d’adresses (il a également travaillé pour le compte d’Adidas par le passé) et quelques idées claires sur ce que le monde de l’entreprise pourrait avoir à apprendre de l’univers sportif l’ont conduit à se lancer, bien entouré.

Clarifions tout de suite: en quoi un sportif n’ayant jamais été manager, voire n’ayant même jamais posé un pied en entreprise, est-il véritablement qualifié pour intervenir devant un public de managers et d’entrepreneurs justement?

Lotfi Khalfat. – «En fait, votre postulat de départ n’est pas le bon. Car les sportifs de haut niveau gèrent leur carrière comme s’ils étaient eux-mêmes leur propre entreprise. Énormément de choses sont sous-traitées, ils ont à gérer un grand nombre de personnes. Kiné, ostéopathe, préparateur mental… pour l’aspect médical. Sans compter tout le volet financier. De la même manière qu’un entrepreneur le fait avec son comptable, son avocat, des sous-traitants, il leur faut s’entourer des meilleurs pour performer au maximum. En ce sens, il y a un parallèle entre sport et entreprise.

Concrètement, qu’a à apporter le champion?

«En entreprise, il peut y avoir une mise sous pression par rapport à des objectifs. Dans le sport de haut niveau, tout cela est vécu de manière décuplée et de façon beaucoup, beaucoup plus intense. Un sprinteur dispose de 10 secondes pour établir la performance qu’il prépare depuis quatre ans. Interdit de se louper. Le niveau de stress est incomparable avec celui qui existe dans le monde du travail. Les sportifs ont des stratégies de gestion du stress ou de visualisation. Ils sont très polyvalents, sans d’ailleurs forcément l’avoir objectivé. C’est tout à fait transposable.

Mais pour partager ce vécu, il faut savoir s’exprimer en public, construire un discours, des arguments… Or, et allons-y pour le cliché, les sportifs ne sont pas toujours réputés pour être des foudres en matière de communication.

«Je vous donne ce chiffre: pour disposer de 40 athlètes dans mon catalogue, j’en ai auditionné 200! Avec certains, en effet, la marche était trop haute. Mais ceux ayant de l’éloquence ont une réelle capacité à faire passer leur message. Et à vous emporter avec eux d’une manière qui n’a rien à voir avec un formateur ‘’de base’’. Les idées reçues, elles passent vite à la trappe.

Le besoin de transmettre est très prégnant chez les sportifs.
Lotfi Khalfat

Lotfi Khalfatfondateur et gérantSportsvision

En dehors de l’aspect pécuniaire dont nous allons reparler, quel intérêt poursuivent ceux qui vous rejoignent?

«Pour les sportifs, dont la carrière est très courte, c’est un moyen d’opérer une reconversion, tout en restant dans leur domaine de prédilection. Le sport, c’est de la transmission. Et eux-mêmes ont ‘’reçu’’. Là, ils ont l’occasion de transmettre à leur tour. Discutez-en avec eux. Ce besoin de transmettre est très prégnant chez eux.

À qui s’adressent vos services?

«Je les ai orientés vers les entreprises, à l’occasion d’événements particuliers comme l’anniversaire d’une société ou le lancement d’un produit. Ce n’était pas prévu, mais je suis également sollicité par des clubs sportifs ou des fédérations. Un club de première division luxembourgeoise de football m’a contacté pour la venue de Ruud Gullit, dans le cadre d’une sorte de team building.

Dans mes intervenants, certains sont ‘’spécialisés’’: un champion du monde de karaté qui a énormément travaillé dans le secteur hospitalier, un rugbyman titulaire d’un master en aéronautique et qui a travaillé comme manager dans une entreprise active dans ce domaine… Entre autres exemples.

Pour vos clients, comment s’opère le choix du conférencier?

«Ma société compte 40 conférenciers, mais des agences en France en ont 200, 300… Lorsque vous faites une demande, on vous fait dresser une liste de trois, quatre, ou cinq noms. Et c’est peut-être un sixième nom qui va vous être attribué! Chez moi, vous demandez un nom, et vous l’avez. Mais mon rôle, ce n’est pas de faire de la vente sur catalogue. Je connais les sportifs, j’ai beaucoup discuté avec eux, je sais quels conférenciers seront plus opportuns que d’autres en fonction de la thématique retenue. Il y a aussi des intervenants très polyvalents. Je citerais notamment David Douillet. Un profil super intéressant parce qu’il a été sportif de haut niveau, mais aussi politicien (ministre des Sports en France, en 2011-2012). Le choix peut aussi s’effectuer en fonction de la personnalité plus ou moins clivante du conférencier. On peut jouer là-dessus.

Plus son palmarès est épais, plus un champion va montrer de l’appétit question tarifs?

«Très souvent, en effet, les prix sont indexés sur le palmarès des sportifs. Mais ils le sont aussi sur leur expérience en tant que conférenciers et sur la vision qu’ils ont d’eux-mêmes, même si ce point n’est pas toujours très objectif.

Quelle est la gamme de prix?

«Pour donner un ordre d’idée, on peut naviguer entre 3.000 euros pour l’intervention de sportifs les moins ‘’réputés’’ ou les plus jeunes et 30.000 euros pour d’autres. Cela peut être plus cher, mais je ne propose rien de tel, car cela concerne trop peu d’entreprises. L’ancienne joueuse de tennis Martina Navratilova, par exemple, est à plus de 100.000 euros pour une journée.

Ma vraie difficulté n’est pas de recruter les footballeurs, mais des athlètes féminines.
Lotfi Khalfat

Lotfi Khalfatfondateur et gérantSportsvision

Chez vous, qui sont les athlètes les plus demandés?

«Ici, au Luxembourg, ce sont… les Français. Alors que j’aimerais tellement pouvoir ‘’placer’’ un tennisman local comme Gilles Muller. Mais il y a beaucoup de Français dans les entreprises. David Douillet est fort demandé, on a des demandes aussi pour Marcel Desailly.

Vous parlez de l’ancien défenseur des Bleus, Desailly. Les footballeurs ne sont pas si nombreux dans votre catalogue. Y a-t-il quelque chose à en déduire?

«L’un d’eux va nous rejoindre prochainement: Paul-José M’Poku, attaquant international congolais ayant évolué au Standard de Liège et à Tottenham. Pas le plus connu. Mais très intéressant sur de nombreux domaines. Si votre question est de savoir si les footballeurs sont de moins bons conférenciers que d’autres, la réponse est non. C’était peut-être vrai auparavant. Mais, aujourd’hui, ils sont beaucoup mieux encadrés durant leur carrière. Beaucoup ont même des coaches en communication.

En fait, ma vraie difficulté n’est pas de recruter les footballeurs, mais de recruter des athlètes féminines. La volonté existe. Mais peu d’entre elles se proposent… Cela tient peut-être au fait qu’elles ont un profil plus discret à la base. Je ne sais pas. Il y a des exceptions, comme l’ancienne tenniswoman belge Dominique Monami. Elle est excellente. Vous l’amenez sur une présentation, et c’est des sourires et du bonheur pendant deux heures.

Expliquez-nous… Comment les approchez-vous, ces sportifs? Le joueur de rugby anglais Jonny Wilkinson, par exemple. Il est champion du monde, et c’est une immense star sur la planète rugby! 

«Rien de compliqué. De par ma carrière d’entraîneur, j’ai eu dans le passé beaucoup de contacts avec d’autres entraîneurs. Ainsi qu’avec des préparateurs physiques de haut niveau. Ce sont des touche-à-tout, puisqu’ils couvrent de nombreuses disciplines. Ces gens-là m’ont mis en contact très facilement avec des sportifs qu’eux-mêmes connaissaient. Quand j’ai lancé la société, j’ai ‘’eu’’ une vingtaine d’athlètes par ce truchement. Ensuite, il y a le bouche-à-oreille. Par certains athlètes, par certains managers. Si vous avez la porte d’entrée, ce n’est pas si difficile.

Pour finir, de quel champion rêveriez-vous d’avoir la ligne directe pour le convaincre de vous rejoindre?

«Il y a un sportif qui, en son temps, était peut-être mal-aimé, mais qu’il serait très intéressant d’entendre: Ivan Lendl. Pour moi, il a révolutionné le tennis de haut niveau au niveau moderne. Sur la préparation physique, personne ne faisait rien avant lui. Pareil pour la nutrition. C’est le premier à avoir eu un diététicien à ses côtés. Il se faisait livrer ses raquettes préparées par son propre cordeur… Dans la mise en place d’éléments de professionnalisme, il était à l’avant-garde. Je l’ai rencontré une fois, lorsque j’étais plus jeune. Il m’avait bluffé.»

Demain (4/5). Damien Chasseur-Henri Leconte, champions de la complicité