(Nous rediffusons cette interview réalisée début septembre dans un autre contexte. Eric Lux a été désigné personnalité de l’année à nos Real Estate Awards, ce mercredi soir, awards dont ).
Pouvez-vous faire un point sur l’avancée du projet de reconversion urbaine Rout Lëns que vous avez initié à Esch-sur-Alzette?
. – «Cela fait cinq ans que nous avons débuté le travail sur le terrain de Rout Lëns et nous avons réussi dans un temps record à obtenir les autorisations, à savoir réaliser un PAG, puis un PAP et signer une convention d’exécution. De plus, le terrain a été dépollué et les travaux préparatoires ont été réalisés. Le 22 septembre, nous allons lancer les travaux d’infrastructure, c’est-à-dire la construction des routes du projet. Pour la partie développement, nous allons lancer la commercialisation du premier ensemble de logements, dénommé Liicht, et qui fait à peu près 20.000m². Environ 5.000m² sont vendus à la Ville d’Esch-sur-Alzette et nous commençons par la commercialisation d’environ 5.000m². Les travaux de cette résidence commenceront probablement en juin 2024. En parallèle, nous travaillons sur un autre bloc qui est une résidence pour personnes âgées et étudiants, ainsi que différents types d’habitations.
Pour la commercialisation de ces premiers 5.000 mètres carrés de la résidence Liicht, vous pratiquez une politique de prix relativement basse. Est-ce dû à la crise? Seriez-vous en train de revoir vos prix de Vefa à la baisse?
«, la réflexion commerciale est totalement différente d’une résidence unique. Nous lançons ici environ 3% de la totalité des logements construits sur Rout Lëns. Par le passé, nous avons déjà lancé de nouveaux projets de grande envergure, comme le funiculaire à Differdange, et nous avions déjà eu cette approche de pratiquer des prix d’appel pour inciter les gens à venir. Ces ‘early movers’ peuvent alors profiter de prix intéressants. À Differdange, par exemple, nous avions commercialisé les premiers appartements à 2.400€/m². Pour les plus petites unités, nous arrivions à 100.000€. Pour Rout Lëns, les unités sont un peu plus grandes qu’à Differdange, mais le studio est proposé à 267.000€, le une-chambre à 379.000€ et le deux-chambres à 545.000€. Les prix dépendent bien entendu de l’étage, de l’exposition, de la taille des terrasses… Donc non, ce ne sont pas des prix revus à la baisse, mais des prix qui font partie d’une politique commerciale globale.
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Si je comprends bien, les prix des prochains lots seront progressifs?
«C’est l’objectif, en effet. C’est le même système que pour les billets de train ou d’avion. Plus tôt vous achetez, moins cher vous payez. Nous avons une telle masse à produire que notre volonté est d’aller vite. Nous ne souhaitons pas retenir les produits, mais au contraire les faire tourner le plus rapidement possible. Le taux d’intérêt et le capital bloqué sont tellement énormes que nous n’avons, en général, aucun intérêt à retenir nos produits. Et plus on bloque un projet, plus on bloque un potentiel autre développement. Lorsque l’on calcule l’IRR – le taux de rendement interne –, nous avons tout intérêt à vendre rapidement.
Mais est-ce que cela signifie que ces appartements qui sont vendus à prix d’appel sont des produits de moins bonne qualité?
«Nous avons défini au début du projet des objectifs de qualité de vie et environnement très élevés. Nous avons maintenu, intégré, voire amélioré ces objectifs lors du développement, car nous ne pouvons plus et nous ne voulons plus construire comme nous le faisions auparavant. Donc non, ces logements ne sont pas de moins bonne qualité, au contraire. C’est un effort que nous pouvons faire sur un équilibre général et grâce au volume global que nous allons construire dans ce quartier.
À l’image d’E.Leclerc, par exemple, qui a décidé cet été de vendre dans ses supermarchés certains produits de première nécessité à prix coûtant pour faire face à l’inflation, êtes-vous prêt à vendre vos appartements à prix coûtant, puisqu’il s’agit aussi de produits de première nécessité?
«Le logement est en effet un bien de première nécessité pour tous les ménages, qu’ils soient pauvres ou riches. Se loger dignement est un besoin primaire dans la pyramide de Maslow. Face à ce constat, la conclusion à tirer n’est pas qu’il faut tomber dans le bénévolat, mais qu’il appartient aux pouvoirs publics et opérateurs de rendre ce marché aussi efficient que possible. E.Leclerc peut vendre ses produits à prix coûtant parce qu’il a encaissé son argent avant de devoir payer son fournisseur, et il fera son gain sur le placement à terme de son excédent de fonds de roulement. L’immobilier génère en revanche un besoin chronique et important de fonds de roulement. La situation n’est donc pas comparable.
Comment avez-vous fixé ces prix, alors? En fonction des prix statistiques par commune?
«Les méthodes de calcul des prix dans les statistiques sont très hétérogènes et ne prennent pas du tout en compte la même chose d’un calcul à l’autre. Donc nous partons plutôt d’un calcul qui prend en compte combien une personne, pour un certain segment de la population, peut payer pour acquérir son logement. Et nous travaillons très minutieusement nos produits: nous proposons différents types d’appartements pour une même catégorie de logement. Par exemple, pour un appartement avec une chambre à coucher, nous construisons des appartements où l’espace est optimisé pour offrir tout le confort nécessaire en un minimum d’espace. Cela permet d’avoir des appartements à des prix accessibles. Et d’autres appartements à une chambre seront plus spacieux, pour ceux qui ont plus de moyens.
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Mais pour proposer ces logements «optimisés», c’est-à-dire des petites surfaces avec une bonne qualité d’espace intérieur, encore faut-il avoir un règlement qui vous le permette. Or, on sait que beaucoup de communes imposent des densités de logement qui ne permettent pas cette approche pour les petites surfaces.
«La position des politiques n’est en effet pas très claire à ce sujet. D’un côté, ils disent que nous devons construire plus de logements, mais de l’autre, ils nous imposent des densités de logement qui ne nous permettent pas d’avoir cette approche d’optimisation de l’espace. Les tendances démographiques montrent pourtant que nous avons de plus en plus de petits ménages: les jeunes qui débutent leur carrière, les ménages divorcés, les seniors… Pour Rout Lëns, parce que le PAG n’existait pas, nous avons initié des analyses très poussées pour évaluer la densité possible. Les experts ont estimé qu’il était possible de réaliser 1.600 logements, en tenant compte bien évidemment de la mixité nécessaire à la réalisation d’un bon quartier. Or, au moment de la procédure, une personne au ministère a décidé que ce serait 1.300 logements, pour la même surface constructible. Donc moins de logements de petite taille. Mais en diminuant le nombre de logements, on augmente la valeur du terrain, et donc par ricochet le prix de vente des logements. Et ce n’est pas bon écologiquement parlant, car on va devoir utiliser du terrain ailleurs pour construire ces 300 logements supprimés, alors qu’on aurait pu le faire sur ce terrain…
Ne me comprenez pas mal, je ne suis pas en train de réclamer des cages à poules, mais je maintiens qu’il est possible de proposer des logements de qualité avec des surfaces plus modestes.
Pour vous donner un autre exemple, nous réalisons actuellement un autre projet à 150 unités. La plus petite unité est de 45m² et avec une imposition d’un certain pourcentage d’appartements bi-orientés… Je comprends la dynamique des personnes qui exigent cela, mais nous ne pouvons pas tout régler avec des ratios. Il faut décider plus finement en fonction du contexte. Ne me comprenez pas mal, je ne suis pas en train de réclamer des cages à poules, mais je maintiens qu’il est possible de proposer des logements de qualité avec des surfaces plus modestes. Et ceci n’est qu’un exemple facile à changer parmi d’autres pour construire plus de logements sans utiliser plus de terrain.
On connaît actuellement les difficultés des ventes en Vefa. Pendant combien de temps pouvez-vous tenir sans vente avant de franchir le point de non-retour?
«Nous sommes un groupe diversifié, avec des activités au Luxembourg et à l’étranger. Nos revenus ne proviennent donc pas uniquement de la vente du résidentiel. La vraie question n’est pas combien de temps nous pouvons tenir, mais combien de temps le Luxembourg peut tenir avant de franchir le point de non-retour. Et pour moi, ce point est déjà franchi puisque nous n’arrivons plus à loger ni les nouveaux arrivants étrangers, ni même les Luxembourgeois eux-mêmes. Pour améliorer la situation actuelle, il faudrait certainement une période de sept à dix ans, en augmentant drastiquement la quantité de logements produits chaque année. Mais vu que nous sommes en train de tuer l’outil de production, c’est-à-dire les entreprises de construction, nous n’y arriverons pas, sauf en cas de miracle politique.
Qu’attendez-vous des politiques alors?
«Que nous puissions travailler tous ensemble. Oui, il y a de mauvais élèves chez les promoteurs, comme dans toutes les professions. Mais le fléau ne vient pas que de cette profession et la main publique ne pourra pas régler seule la situation. Contrairement à ce que laisse croire l’étude du Liser, les promoteurs ne font pas du ‘landbanking’. Les entreprises professionnelles de l’immobilier ne possèdent que 17% des terrains. Les deux tiers des terrains constructibles sont entre les mains de personnes privées… Pourtant, nous parvenons quand même, avec ces 17% de terrains, à produire beaucoup plus de logements que les autres, c’est-à-dire les promoteurs publics, mais surtout les privés. La politique ne s’intéresse pas, volontairement ou involontairement, à qui livre le plus d’habitations dans ce pays. Je suis certain que les développeurs font partie de la solution et ne sont pas la cause de la pénurie. Le jour où la politique voudra accepter ces faits, une discussion sérieuse pourra être initiée et un partenariat public-privé permettra de faire émerger des solutions, car nous sommes en réalité très complémentaires et si nos rôles respectifs ne sont pas les mêmes, nous devrions quand même pouvoir trouver une convergence d’intérêt.
Avec un projet comme Rout Lëns, nous avons une masse critique qui nous permet de prendre des risques qu’un plus petit projet ne nous permettrait pas.
Comment avez-vous réussi à monter, financièrement parlant, ce projet de Rout Lëns?
«Nous sommes là depuis 30 ans et nous nous inscrivons sur le long terme avec une volonté d’amélioration continue. Il y a six ans, quand nous avons lancé la réflexion sur notre futur, nous avons jeté un œil critique sur nous-mêmes et sur les tendances mondiales pour redéfinir nos règles de développement. Avec un projet comme Rout Lëns, nous avons une masse critique qui nous permet de prendre des risques qu’un plus petit projet ne nous permettrait pas. Mais nous avons aussi l’ambition de le faire et nous y avons mis beaucoup de moyens, financiers, mais aussi humains. Cela coûte, mais dans l’économie globale du projet, nous retrouvons notre équilibre.
Êtes-vous passés par la titrisation? «Non, nous finançons nos projets avec les banques luxembourgeoises de la Place.
Parmi les investissements, une partie est dédiée à l’innovation. N’est-ce pas risqué comme approche?
«Avec l’aide de notre directrice de l’innovation, qui a été spécialement embauchée pour ce projet, nous développons en effet plusieurs éléments innovants, pour la gestion des énergies ou de l’eau par exemple. Des programmes d’études sont d’ailleurs en cours avec le List. En tant que chef d’entreprise, j’ai différents choix. La première option est d’attendre, de ne pas bouger et de continuer comme on l’a toujours fait. Mais au bout du terme, cette attitude casse l’outil de travail parce qu’il n’y aura eu aucune innovation et que nos concurrents bougent. Le second choix est d’attendre que d’autres fassent les premiers pas, et de s’y mettre par la suite. Le troisième est de prendre le lead sur l’innovation et d’être précurseur en la matière. Et la quatrième option est d’être innovant, mais pas au bon moment, d’être trop en avance sur son temps. Notre philosophie est de chercher le deuxième, comme pour Wooden, ou le troisième, comme pour Rout Lëns.
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Pour Rout Lëns, vous attendez-vous à avoir des clients privés qui achètent un logement pour leur propre besoin ou plutôt des investisseurs?
«Nous recherchons la mixité de ces profils et avons conçu le programme pour cela. Dans le cadre du plan sectoriel logement dans lequel nous nous trouvons, nous devons céder 30% des logements créés à la Ville d’Esch-sur-Alzette. Dans ce cadre, la commune a choisi d’acheter les logements et d’en proposer la moitié en location abordable et sociale et le reste en logements pour personnes âgées et étudiants. En ce qui concerne Liicht en particulier, ce développement est plutôt orienté pour les particuliers. D’autres programmes à l’avenir seront plus orientés pour les besoins d’une clientèle d’investisseurs.
Il va falloir du courage politique pour que les choses changent, avec une vision du logement jusqu’en 2050.
Étant donné le contexte immobilier actuel, où très peu de ventes en Vefa se concrétisent, n’aurait-il pas été préférable d’attendre un peu?
«Nous ne sommes pas dans le très court terme. Nous n’avions rien commercialisé en résidentiel depuis deux ans, car nous n’avions pas de projet. L’immobilier est un cycle, cela va changer.
Nous n’avons jamais été dans une euphorie des prix. Certains ont acheté des terrains trop chers. Par chance, nous avons su nous arrêter avant. Notre spécialisation est devenue le développement des ‘brownfields’, c’est-à-dire du gros développement avec beaucoup de risques. Aujourd’hui, nous avons le prix des infrastructures sous contrôle. Si les prix de construction ont fortement augmenté, nous sommes convaincus que les prix des matériaux vont redescendre et rééquilibrer la balance. Si nous retenons la commercialisation, les conséquences pourraient être très négatives: réduction de notre personnel, encore moins de logements sur le marché entraînant une nouvelle flambée des prix, et des entreprises de construction obligées de déposer le bilan. Donc il faut lancer des projets de construction!
Pensez-vous que les prix du marché vont chuter?
«Le long terme du Luxembourg ne peut pas être de l’immobilier impayable. Le pouvoir d’achat pour les appartements, aujourd’hui, a baissé d’environ 40%, ce qui veut dire que la personne qui pouvait, avant la crise, se payer à taux fixe un deux-chambres ne peut aujourd’hui même plus acheter un une-chambre, mais un studio. Pour autant, une baisse des prix n’est pas directement envisageable, car le système, notamment bancaire, ne le supportera pas. Il va falloir du courage politique pour que les choses changent, avec une vision du logement jusqu’en 2050. En attendant, il faut continuer de construire du logement.»