«L’Union européenne doit faire preuve de leadership dans la protection des droits humains, de l’environnement et du climat, et prévenir tout recul dans la responsabilité des entreprises», s’indignent 172 organisations civiles, dont le Mouvement écologique ou l’Initiative pour un devoir de vigilance. (Photo: Shutterstock)

«L’Union européenne doit faire preuve de leadership dans la protection des droits humains, de l’environnement et du climat, et prévenir tout recul dans la responsabilité des entreprises», s’indignent 172 organisations civiles, dont le Mouvement écologique ou l’Initiative pour un devoir de vigilance. (Photo: Shutterstock)

Annoncé lors de la cérémonie des vœux de la Fedil par le Premier ministre, Luc Frieden, le gel de la procédure autour de la transposition de la directive CSRD s’inscrit dans un mouvement qui veut alléger la réglementation à laquelle les entreprises sont soumises… Mais une partie des acteurs ne l’entend pas de cette oreille et les ONG sont vent debout contre toute remise en question.

Omnibus, pas omnibus. Pause ou pas pause. Mise à jour du calendrier ou pas. Actualisation des obligations de reporting ou pas. Rien ne sera clair avant le 26 février et l’annonce attendue des intentions de la Commission européenne autour des règlementations sur

• la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) – pour renforcer et standardiser les obligations des entreprises en matière de reporting extra-financier, notamment sur les questions liées à l’environnement, au social et à la gouvernance;

Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD) – pour instaurer des obligations légales pour les entreprises afin de prévenir, d’atténuer et de remédier aux impacts négatifs de leurs activités sur les droits humains et l’environnement tout au long de leurs chaînes de valeur;

• le règlement sur la taxonomie.

Dans son discours, très applaudi, jeudi dernier, le président de la Fedil, , a invité la Commission européenne à une pause réglementaire de trois ans, le temps de digérer la multiplication des règlementations des dernières années, tandis que le Premier ministre, (CSV), annonçait un gel de la procédure de transposition de la CSRD en attendant les décisions européennes.

Ce mardi soir, à la Fédération des artisans, là encore à l’occasion des vœux pour 2025, son président, , s’est aussi inquiété des conséquences de ces réglementations sur les plus petits acteurs de cette «chaîne de valeur» qui vont se retrouver, tôt ou tard, obligés eux aussi d’être en règle avec ces principes sous peine de se voir fermer des marchés potentiels.

Tous s’inscrivent dans la foulée de différentes déclarations, dont celle de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, le 8 novembre, ou celles sur France Inter, de son vice-président en charge de la prospérité et de la stratégie industrielle, Stéphane Séjourné. «On a des annonces à partir du 26 février sur un choc de simplification qui sera massif. On garde les objectifs, climat notamment, mais on change le parcours pour les entreprises pour y arriver, avec une suppression du reporting. On va changer énormément de choses dans la bureaucratie», y a-t-il dit, mettant en ébullition ceux qui étaient pour et ceux qui étaient contre ces textes…

Mais est-ce que tout le monde est contre? Est-ce que tout le monde dénonce ces deux directives et la taxonomie, considérant qu’elles sont trop coûteuses et trop compliquées à mettre en œuvre? Non.

Ferrero, L’Oréal, Primark ou EDF contre un gel

Le 17 janvier, quelques poids lourds, dont Ferrero, Primark, Nestlé ou L’Occitane, ont envoyé une lettre à tout le collège des commissaires européens pour les «exhorter, à ce moment critique, à concentrer vos efforts sur la mise en œuvre pratique et nécessaire de ces règles. L’investissement et la compétitivité reposent sur une certitude politique et une prévisibilité juridique. L’annonce par la Commission européenne d’une initiative «omnibus» qui pourrait inclure une révision de la législation existante risque de compromettre ces deux éléments.»

«Nous sommes préoccupés par le risque que ce processus soit utilisé par d’autres pour demander une réouverture de la législation à des renégociations politiques. Une partie de cette législation est déjà en vigueur, et les entreprises ont déjà investi des ressources significatives pour se préparer et répondre aux nouvelles exigences. La prévisibilité est essentielle pour permettre à tous les acteurs, y compris les entreprises, de prendre des décisions éclairées», disent-elles, en proposant leur collaboration «pour tirer parti des avantages potentiels de l’approche européenne en matière de devoir de vigilance et de reporting, notamment en créant des conditions de concurrence équitables pour récompenser et reconnaître des performances commerciales robustes et holistiques.»

Une semaine plus tôt, un autre groupe de 400 entreprises françaises, dont, là encore, des poids lourds comme Bouygues, EDF, Amundi, l’Oréal, Carrefour, Véolia, Lagardère, s’étaient elles aussi fendues de leur petite lettre avec une approche légèrement différente. «Pour maximiser le potentiel de ces réglementations tout en évitant les inefficacités bureaucratiques, nous recommandons une mise en œuvre progressive, qui conserve l’essence des actes législatifs actuels, tout en permettant aux entreprises de se concentrer sur leurs priorités stratégiques. Cela nécessite de commencer par une communication claire et simplifiée des exigences», peut-on lire dans cette lettre. 

«Il est crucial que la Commission européenne clarifie que les entreprises ne sont tenues de déclarer que sur des éléments matériels, bien moins nombreux que les 850 points de données potentiels, et que la charge juridique n’est pas transférée aux PME, car les grandes entreprises peuvent utiliser des normes volontaires simplifiées pour les PME et reporter sur l’engagement des fournisseurs au terme de la période de transition de trois ans», préconisent ces 400 Chiefs of sustainability.

Pour eux, «en réalisant des analyses de double matérialité, les 42.500 entreprises concernées par la CSRD peuvent identifier, évaluer et prioriser leurs impacts tout en se préparant aux risques liés au changement climatique, aux défis environnementaux et aux tensions géopolitiques.»

Le Meco redoute une «course vers le bas»

«L’Union européenne doit faire preuve de leadership dans la protection des droits humains, de l’environnement et du climat, et prévenir tout recul dans la responsabilité des entreprises», s’indignent 172 organisations civiles, européennes et mondiales, parmi lesquelles on retrouve des acteurs luxembourgeois comme le Mouvement écologique ou l’Initiative pour un devoir de vigilance. «Malgré les appels clairs du commissaire au Climat, Wopke Hoekstra, et de la vice-présidente exécutive, Teresa Ribera Rodríguez, pour protéger l’héritage du Green Deal européen, ainsi que l’engagement du commissaire à la Justice, Michael McGrath, à ‘garantir une mise en œuvre rapide et efficace’ de la CSDDD lors de son audition de confirmation, la présidente Ursula von der Leyen prend le risque de compromettre des protections clés en rouvrant ces dossiers avec la loi Omnibus. Cela génère une incertitude considérable pour les pays qui ont déjà entamé leur processus de transposition et récompense les entreprises qui n’ont pas pris de mesures pour se conformer à ces législations. Une ‘course vers le bas’ des normes applicables aux chaînes de valeur risque d’augmenter la pression sur l’industrie manufacturière européenne et entraînera davantage d’exploitation humaine et de dommages environnementaux à travers le monde», disent-elles encore.

«Plusieurs pays en dehors de l’UE ont déjà adopté ou sont en train d’introduire des lois obligatoires sur le devoir de vigilance en matière de droits humains ou des législations spécifiques sur l’esclavage moderne et le travail des enfants. Ces pays incluent: le Royaume-Uni, la Suisse, la Norvège, l’Australie, la Corée du Sud, le Mexique, le Brésil, le Japon et le Canada», assure le collectif.

Le Centre de recherche néerlandais Somo ajoute trois autres éléments. Sur le nombre d’entreprises potentiellement concernées par CSDDD, Somo ramène le chiffre européen (7.000) à 3.400, ce qui fait, selon ses propres données – puisque les statistiques ne sont pas harmonisées de la même manière partout, 0,1% des entreprises européennes. Le centre note aussi que «la CSDDD entrera en vigueur en trois phases: 31% des groupes d’entreprises identifiés par Somo devront se conformer à la CSDDD en 2027, suivis de 18% en 2028. Plus de 50% des groupes d’entreprises ne répondront aux critères de seuil qu’en 2029, ce qui leur laissera pas moins de 4,5 ans pour se préparer à se conformer à la loi.» Ce sont principalement dans les secteurs de la fabrication (24,6%), des services (19,1%) et du commerce de gros et de détail (16,2%), dit-il.

Enfin, sujet qui peut avoir un intérêt supérieur pour le Luxembourg, «il convient de noter qu’une entreprise sur cinq qui devra se conformer à la CSDDD est un fournisseur de services financiers, bien que les sociétés holding de nombreux groupes d’entreprises soient incluses dans cette catégorie. La CSDDD exempte en grande partie les institutions financières telles que les banques et les assureurs de l’obligation de procéder à une vérification diligente des impacts négatifs associés à leurs investissements et services financiers, ce qui rend le nombre total de groupes d’entreprises directement concernés par les obligations de la CSDDD encore plus faible dans la pratique.»

89 entreprises au Luxembourg

Selon le centre de recherche, 89 entreprises sont concernées au Luxembourg par les obligations de CSDDD, dont les acteurs connus comme ArcelorMittal, SES, Intelsat ou Landewyck, mais aussi Mangrove, Ferrero ou Solutions 30.