Avoir une législation relative aux actifs dormants n’est pas qu’une coquetterie. Au moment du dépôt du relatif aux comptes inactifs, aux coffres-forts inactifs et aux contrats d’assurance en déshérence, (DP), alors ministre des Finances, insistait sur le fait qu’une Place moderne et transparente ne pouvait pas se permettre de ne pas avoir un tel dispositif et parlait d’une loi «opportune pour l’image de la Place». D’autant plus opportune que l’existence d’une telle réglementation est l’un des points que prend en compte le Groupe d’action financière (Gafi) lors de ses visites périodiques pour évaluer les législations anti-blanchiment.
Une visite qui approche et qui inquiète pas mal de professionnels.
Lire aussi
Le point de blocage dans la législation et qui explique pour partie la longueur de la procédure résidait dans le fait que la Caisse de consignation se montrait très sélective avant de consigner le moindre avoir dormant, alors même que la consignation est obligatoire pour les banques et les assureurs. Une obligation qui se trouve dans la loi de 1999 sur la Caisse de consignation. Une obligation interprétée par cette dernière comme relative. Pour elle, accepter des consignations n’est pas automatique, et banquiers et assureurs doivent en pratique pour les comptes et contrats postérieurs à 1993 – date des premières réglementations anti-blanchiment – prouver avoir mené toutes les démarches nécessaires pour s’assurer de la légitimité de ces comptes. Et au moindre doute sur la légitimité – comprendre à la moindre opération suspecte –, la Caisse des consignations refuse les fonds. La moindre déclaration de suspicion (STR, pour suspicion transaction report) déposée au Parquet est synonyme de refus. Même si cette déclaration ne débouche sur aucune suite judiciaire.
Et pour les comptes et contrats antérieurs à 1993, le refus est systématique.
Ce point de blocage a été soulevé dans leurs avis rendus par le Conseil d’État et la Chambre de commerce.
La fin du refus discrétionnaire?
Un blocage dépassé, pour (DP), président de la commission des finances et du budget de la Chambre des députés et rapporteur du projet de loi. Selon lui, «il ressort des discussions en commission qu’une consignation ne peut qu’être refusée si l’établissement ne peut pas fournir les pièces demandées figurant à l’annexe 1 ou 2 (l’annexe 1 concerne les banques, et l’annexe 2 les assureurs, ndlr). Il s’agit ici d’informations dont l’établissement doit disposer de toute façon. Aujourd’hui, les banques utilisent des logiciels qui leur permettent de gérer les données de leur clientèle, et de garder une trace des échanges avec leurs clients.» Pour lui, «si une consignation est refusée, l’établissement peut introduire une nouvelle demande dès que l’établissement a réuni les informations requises».
Au final, André Bauler estime que «tout doute quant à l’efficacité du dispositif en raison d’un ‘refus à sa guise’ de la Caisse de consignation a donc été écarté».
Qu’en pense la Caisse de consignation? Elle se réjouit de se voir désormais dotée «d’une base légale pour pouvoir accepter la consignation de ces dossiers respectifs».
Mais pour ce qui est du mécanisme d’acceptation, elle revendique le droit de pouvoir refuser les consignations qui lui semblent douteuses. «Il est pourtant essentiel que la Caisse de consignation puisse refuser une demande de consignation lorsque les dispositions de la loi du 30 mars ne sont pas respectées ou lorsque les informations transmises par l’établissement s’avèrent incomplètes, inexactes ou fausses. L’article 29(4) dote la Caisse de consignation d’une possibilité de refuser des dossiers de consignation dans les conditions énumérées ci-dessus. Les voies de recours habituelles contre ces décisions administratives restent bien évidemment possibles.» Pour la Caisse, «la loi telle que votée a été élaborée en concertation avec le ministère de la Justice et constitue une solution équilibrée prenant à la fois en compte les besoins des établissements bancaires et assureurs de pouvoir consigner des comptes dormants ou contrats d’assurance en déshérence, tout comme la possibilité à la Caisse de consignation, et, in fine, à l’État luxembourgeois de pouvoir refuser des dossiers non conformes aux dispositions de la loi».
Des professionnels pas convaincus
Les professionnels se montrent, eux, plutôt circonspects.
S’ils se disent satisfaits qu’une procédure législative claire s’applique désormais quant à la définition des avoirs dormants et à leur traitement, certains parlent d’un texte inachevé.
C’est le cas de l’ABBL. «Cette loi, attendue par les membres de l’ABBL, et qui apporte un cadre légal dans un but de sécurité juridique tant pour les déposants que pour les établissements concernés, ne résout cependant pas toutes les difficultés liées aux comptes inactifs. Elle a un goût d’inachevé, car certaines considérations formulées par l’ABBL, mais aussi par la Chambre de commerce, ainsi que par la CNPD, n’ont pas été prises en compte par le législateur en leur totalité. Il reste à voir quelles en seront les conséquences lors de sa mise en œuvre.»
Si l’association des banquiers luxembourgeois ne veut pas donner plus de détails sur les dispositions qui la gênent, elle renvoie à l’avis de la Chambre de commerce.
Pour qui la Caisse de consignation reste toujours libre d’accepter ou non librement toute demande de consignation.
«L’Aca accueille favorablement ce nouveau cadre légal qui donne désormais des normes à la Place pour prévenir, mais également agir sur les contrats en déshérence. Cette nouvelle loi apporte plus de sécurité juridique à notre secteur, en particulier parce qu’elle apporte une définition de ce qu’est un contrat en déshérence et parce qu’elle prévoit une réelle procédure à suivre par l’assureur lorsqu’un contrat est qualifié comme tel», commente le représentant des assureurs. Sans s’étendre sur le problème des consignations.
L’ABBL et l’Aca, en partenariat avec la Trésorerie de l’État, organisent pour leurs membres, ce 11 mai, une séance d’information sur la procédure de consignation.