Le Luxembourg s’apprête à s’aligner sur l’Allemagne à un taux de nicotine dans les sachets de nicotine largement inférieur à ce que certains acteurs voudraient. (Photo: Shutterstock)

Le Luxembourg s’apprête à s’aligner sur l’Allemagne à un taux de nicotine dans les sachets de nicotine largement inférieur à ce que certains acteurs voudraient. (Photo: Shutterstock)

Philip Morris s’est lancé dans une vaste opération de lobbying au Luxembourg pour convaincre que le taux maximal pour la concentration en nicotine retenu dans le projet de loi sur les nouveaux produits du tabac est trop bas. Si l’industriel est parvenu à rallier certains députés à sa position, la ministre reste campée sur ses choix initiaux.

«Promis», Philip Morris a entamé une mue «vertueuse» pour tourner le dos à la «clope» et a consacré 12,5 milliards de dollars en recherche et développement pour ce «soft ending» de la cigarette. En 2023 déjà, les produits du tabac qui ne se fument pas étaient à l’origine de plus de 38% des revenus du géant mondial, qui truste aussi 72,9% du marché américain des sachets de nicotine. Le 16 janvier, comme une victoire, la Food and Drug Administration américaine a autorisé le marketing autour de 20 produits de sa gamme, Zyn, dosés entre 3 et 6 milligrammes de nicotine par sachet. 

Mais avec ce dosage, les sachets de PMI seraient de facto exclus du marché luxembourgeois, selon la limite fixée dans le projet de loi qui suit son processus à la Chambre des députés.

Revenons dans le temps: octobre 2023, avant de quitter son ministère, (LSAP) dépose un projet de loi sur les nouveaux produits du tabac, projet de loi amendé, en mai 2024, par celle qui lui a succédé, Martine Deprez. Dans les amendements arrive une proposition de réglementation sur les sachets de nicotine, dont la concentration maximale en nicotine est fixée à 0,048mg, comme en Allemagne. Et le chiffre allemand n’est pas venu de nulle part: il émane des recommandations de l’Agence européenne de sécurité alimentaire, qui établit le seuil maximal de nicotine ingérable par jour à 0,0008mg/kg de masse corporelle, soit 0,048mg pour une personne de 60kg.

Une approche «hypocrite»

Le chiffre avait recueilli l’assentiment des députés en commission avant que certains, comme l’ancien ministre de la Santé et député,  (LSAP), ne revoient leur copie et ne le remettent en cause. «L’orateur considère l’approche adoptée par le gouvernement comme hypocrite dans la mesure où la limitation du taux de nicotine à 0,048 milligramme par sachet de nicotine revient à une interdiction de fait. Étant donné que la vente des sachets de nicotine est interdite en Belgique et que la France entend également s’engager dans cette voie, l’orateur estime que le gouvernement a l’intention de créer une nouvelle niche fiscale afin de pouvoir prélever des droits d’accise aux dépens de nos pays voisins. Il rappelle à cet égard que le ministère des Finances a introduit un droit d’accise sur les sachets de nicotine avant même que le ministère de la Santé et de la Sécurité sociale n’ait soumis les amendements gouvernementaux visant la réglementation de ces produits», dit le procès-verbal de la réunion.

Ou comme (ADR) qui proposait de relever ce taux à 20mg comme dans d’autres pays, l’équivalent d’une cigarette sans les produits nocifs ni les effets négatifs de la fumée.

«Nous sommes en faveur d’une réglementation réfléchie et inclusive», défend la senior communication manager de Philip Morris, Ellen Boydens, soulignant que les alternatives à la cigarette sont peu nombreuses pour ceux qui voudraient arrêter de fumer, qu’ils se sentent exclus, faute de pouvoir fumer dans des lieux publics et dans certains pays même à l’extérieur et que cela n’aide pas à modifier leurs comportements.

Le marché noir y gagnerait

«Sans une démarche inclusive, tout le monde va perdre», se risque la lobbyiste qui vise 16,6mg. «Les consommateurs vont louper une opportunité de réduire l’impact du tabac sur leur santé. Et comme le besoin est là, la demande va se reporter sur le marché noir avec tout ce que cela signifie…» est beaucoup plus nuancée que cela sur les risques pour la santé.

Au niveau financier, tant (déi Greng) que Gérard Schockmel (DP) ou (LSAP) avaient au préalable insisté à la commission Santé de la Chambre des députés pour que le taux d’accise soit dissuasif. Ce à quoi la ministre de la Santé et de la Sécurité sociale, , a précisé dans sa réponse que le taux d’accise spécifique s’appliquant aux sachets de nicotine s’élève à 22 euros par 1.000 grammes et que le taux de TVA est fixé à 17%. Soit 30% de plus que les accises sur le tabac à chauffer.

«Le conseil de gouvernement est rapidement tombé d’accord pour emprunter la voie de la réglementation plutôt que de procéder à une interdiction des sachets de nicotine, étant donné que ces produits sont en vente libre dans les régions limitrophes et donc accessibles aux consommateurs luxembourgeois», a répondu le représentant de la ministre aux députés, non sans rappeler qu’il est prévu d’interdire la vente de sachets de nicotine et leur distribution à titre gratuit aux mineurs âgés de moins de 18 ans accomplis, et la consommation de sachets de nicotine dans les établissements scolaires, dans les locaux destinés à accueillir ou à héberger des mineurs âgés de moins de 16 ans accomplis, ainsi que dans les aires de jeux et les enceintes sportives accueillant des mineurs de moins de 16 ans accomplis, y exerçant une activité sportive.

Position qui n’a plus bougé depuis fin novembre et le deuxième avis du Conseil d’État.

Pas de goûts comme ceux aimés par les jeunes Américains

Philip Morris, qui «se positionne en tant que leader dans la lutte contre le tabagisme» – dit son argumentaire de trois pages – propose de relever le plafond de nicotine raisonnable à 16,6mg par sachet, d’interdire les sachets dont le goût évoque les bonbons, desserts ou boissons sucrées, afin de réduire leur attrait pour les jeunes, d’augmenter les coûts associés à la notification pour soutenir les contrôles réglementaires dans les points de vente, y compris des visites-mystères ou encore de mettre en place un emballage à l’épreuve des enfants pour prévenir tout accès accidentel.

De la même manière qu’ils ont été accueillis par un représentant de la ministre de la Santé, dans le cadre d’une délégation de trois industriels emmenés par la Chambre de commerce, les représentants de Philip Morris ont aussi été reçus par la commission de la santé, un échange jugé plus constructif. Mais c’est à la fin du bal qu’on paie l’orchestre et cette fin s’approche sans que le gouvernement n’ait cédé, tandis que Heintz van Landewyck commercialise déjà ses produits, profitant que ces produits ne tombent pas sous le coup de la législation en vigueur actuellement.