Des informations «fragmentées et peu fiables», des «activités de lobbying et de sensibilisation des ONG qui ne sont pas clairement affichées». Alors que l’Union européenne a accordé 7,4 milliards d’euros à des organisations non gouvernementales (ONG) entre 2021 et 2023 dans le cadre de ses politiques internes, la Cour des comptes européenne déplore une opacité excessive dans ces financements, dans un rapport publié ce lundi 7 avril.
«S’il y a du mieux, l’information sur les financements européens des ONG actives dans les politiques internes des Vingt-Sept reste imprécise et incomplète. La Commission européenne n’a pas correctement divulgué certaines activités de sensibilisation financées, telles que du lobbying. De plus, l’absence de vérification active du respect des valeurs européennes par les ONG bénéficiaires risque d’entacher la réputation de l’UE», alerte ainsi la Cour des comptes européenne dans son rapport, qui dénonce un manque de transparence.
Les suites du «Qatargate»
«Les décideurs publics sont tenus de rendre des comptes, et les citoyens doivent savoir à qui et dans quel but des fonds de l’UE sont octroyés, mais aussi comment ils sont utilisés et si leurs destinataires respectent les valeurs de l’Union. L’intérêt du public pour le renforcement des exigences de transparence imposées aux ONG s’est d’ailleurs accru depuis le scandale du “Qatargate” en 2022», insiste l’institution européenne basée au Luxembourg, qui constate toutefois que la Commission a progressé dans la collecte d’informations sur les financements européens accordés aux ONG depuis son dernier audit en 2018, axé sur la politique extérieure.
Pour réaliser son rapport, la Cour des comptes européenne a examiné la transparence des appels à propositions de 90 ONG et a évalué les informations mises à la disposition du public. «La Commission vérifie le respect des principaux aspects de la définition du terme “ONG”, mais pas de façon exhaustive. Nous avons constaté que plus de 90% — c’est-à-dire plus de 70.000 — des entités auxquelles des paiements ont été effectués dans le système comptable pendant la période 2021-2023 ne figuraient ni dans la catégorie des ONG ni dans celle des entités autres que des ONG, car ce champ était resté vide et était facultatif pour les destinataires», a expliqué Laima Andrikienė, membre de la Cour des comptes européenne responsable du rapport, lors d’une conférence de presse ce lundi 7 avril.
La définition du terme «ONG» varie également d’un pays de l’UE à l’autre et est rarement inscrite dans la législation nationale. En 2024, l’UE a défini, en substance, une ONG comme étant une organisation sans but lucratif, indépendante des pouvoirs publics. «Cette définition marque une avancée, mais ne saurait à elle seule assurer une classification correcte des ONG dans le système de transparence financière de l’Union. En effet, les entités déclarent sur l’honneur si elles sont des ONG, et la Commission européenne ne vérifie pas d’importants aspects de leur statut (par exemple, si des pouvoirs publics exercent une grande influence sur leurs instances dirigeantes ou si elles servent les intérêts commerciaux de leurs associés). Un important institut de recherche a ainsi été enregistré en tant qu’ONG alors que son instance dirigeante était exclusivement composée de représentants des pouvoirs publics», note également la Cour des comptes européenne dans son rapport.
Un premier aveu de la Commission européenne
Certaines des subventions de fonctionnement accordées par l’UE à des ONG «peuvent servir à financer des activités de sensibilisation, telles que du lobbying. Dans notre échantillon, nous avons trouvé deux cas de subventions de fonctionnement financées au titre du programme Life, qui portaient sur des activités de sensibilisation auprès de décideurs politiques. Les deux ONG concernées étaient inscrites dans le registre de transparence de l’UE en tant que représentants d’intérêts, mais les informations figurant sur le portail “Financements et appels d’offres” ne font état d’aucune activité de ce type. Même si aucune exigence légale n’impose la divulgation des activités de sensibilisation à réaliser pour obtenir les subventions de fonctionnement destinées à des ONG, nous considérons qu’en raison de leur caractère sensible, davantage de transparence s’impose pour ces activités lorsqu’elles sont financées par l’UE», étaye encore le rapport.
Hasard du calendrier, cette publication intervient quelques jours seulement après que la Commission européenne a reconnu avoir indirectement financé des ONG pour mener des activités de lobbying politique… à son propre égard, notamment via le «programme Life», un instrument de financement pour l’environnement. «La Commission reconnaît que, dans certains cas isolés, des actions militantes spécifiques et des activités de lobbying indues ont figuré dans les programmes de travail présentés par les ONG et annexés aux conventions accordant des subventions de fonctionnement. La Commission a fait en sorte que de telles situations ne se présentent plus à l’avenir et prendra des mesures supplémentaires pour renforcer la transparence et prévoir des garanties adéquates», a-t-elle admis dans un communiqué publié le 1er avril.