Passionnés et acheteurs impatients correspondent peu ou prou aux deux tiers de la clientèle des boutiques d’occasion.  (Photo: Shutterstock)

Passionnés et acheteurs impatients correspondent peu ou prou aux deux tiers de la clientèle des boutiques d’occasion.  (Photo: Shutterstock)

Le marché de la seconde main est en train de conquérir les passionnés. C’est le moyen de mettre la main sur quelques belles pièces. Cela peut aussi, pour certains, être le moyen de faire un beau coup financier.

C’est le lieu de rencontre de passionnés qui recherchent souvent un modèle, une année ou une édition en particulier et d’acheteurs «impatients» qui n’hésiteront pas à payer une «prime d’immédiateté» pour mettre la main sur des modèles neufs introuvables dans les boutiques officielles des marques où elles ne sont disponibles que sur liste d’attente. Quand elles existent… Les montres les plus recherchées sont les «professionnelles acier» de Rolex – les Submariner, Daytona et GMT-Master – et les Patek Philippe Nautilus et Audemars Piguet Royal Oak. Pour ces modèles, la «prime d’impatience» peut atteindre 150% du prix catalogue. Voire plus. Bien qu’elle ne représente que 10% des ventes d’occasion, cette catégorie de montres à «prime» a pris de l’importance sur le marché, au point de représenter 40% des revenus générés.

Passionnés et acheteurs impatients correspondent peu ou prou aux deux tiers de la clientèle des boutiques d’occasion. Le reste est constitué d’acheteurs voulant acquérir des articles qu’ils ne peuvent se permettre d’acheter au prix fort et d’un jeune public. Au niveau mondial, environ 30% des adolescents à revenus élevés ont visité un magasin de montres d’occasion, relève McKinsey. Un potentiel de croissance à ne pas négliger.

Trois enseignes dans la capitale

On compte à Luxembourg-ville trois magasins spécialisés répartis dans un tout petit espace géographique situé entre la place d’Armes et le Palais grand-ducal. Soit, par ordre d’apparition, Le Collection’Heure, Watchour et My Old Watch by Noël. Des magasins qui ont su se faire une place. Ce qui n’allait pas de soi, tant le marché de l’horlogerie au Luxembourg a longtemps été un marché du neuf. Ce que confirme Jacques Molitor, directeur de la maison Molitor. Qui a développé une activité de montres d’occasion destinée à rendre service à des clients qui souhaitent acquérir de nouveaux modèles et devant pour cela se séparer d’autres. Une activité accessoire, en quelque sorte. Pierre Rossy, directeur de Schroeder 1877, rend aussi ce service à ses clients. «Lorsqu’on a investi dans un objet d’un certain prix et qu’on désire le changer, on ne va pas le mettre à la poubelle. Cet objet garde une valeur, pourra faire plaisir à d’autres clients, permettre à des gens de faire leurs premiers pas dans l’horlogerie. Quand je réfléchis, de ce point de vue là, je vois le marché de l’occasion d’un très bon œil. Et nous-mêmes, nous avons un certain nombre de bijoux et certaines montres que nous proposons en occasion comme service et je trouve ça tout à fait légitime.»

Où s’arrête la passion et où commence la spéculation?

La question qui divise est de savoir si ces échoppes sont des lieux de passion ou de spéculation.

Dans l’achat d’une montre d’un certain niveau, la dimension investissement a toujours existé, mais restait accessoire. L’objectif était plus de protéger son capital que de réaliser une plus-value. La tendance spéculative s’est accélérée au fur et à mesure que l’offre sur certains modèles ne suivait pas la demande. Et elle devrait perdurer.

Pour les spécialistes de la seconde main, la vague est telle qu’il est dur de refuser d’y participer. De plus, le fait d’avoir de tels modèles en vitrine, même de manière éphémère, procure de la visibilité et du buzz. Mais ce n’est pas forcément sur ces produits qu’ils font leur marge. Face à des vendeurs «hyper gourmands», elle serait en effet quasi nulle. Ce qui motive Le Collection’Heure, Watchour et My Old Watch by Noël, c’est de pouvoir partager une passion et donner une seconde vie à un objet qui a déjà vécu avec son propriétaire. Ce qui serait plus facile au Luxembourg qu’à Paris ou à Bruxelles, les clients étant ici de vrais passionnés et des collectionneurs. Il leur faut des montres dans un état quasi irréprochable, avec leur boîte et leurs papiers d’origine. Et quand on leur propose un tel produit, la discussion se fait plus sur la montre que sur le prix. Exigeants et aventureux, ils sont prêts à sortir des sentiers battus s’ils sont bien conseillés et ne se cantonnent pas aux «achats sûrs».

Jacques Molitor et Pierre Rossy estiment que ce marché est un lieu qui peut favoriser la spéculation. Mais à la marge. «La plupart de nos clients qui viennent acheter une montre ne l’achètent pas pour spéculer», estime Jacques Molitor.

Benoît Lecigne, general manager pour les boutiques Les Ambassadeurs et Omega, voit pour sa part le marché de la seconde main plus comme «un marché de spéculation qu’un marché de passionnés». Ce qu’il regrette. Pour lui, ce marché devrait être une porte d’entrée pour des amateurs qui ne peuvent s’offrir un garde-temps d’exception au prix catalogue. «Aujourd’hui, on ne trouve que des montres neuves sur un marché de seconde main.» Un comble.

Que peuvent faire les marques pour éviter cette dérive? Pour Pierre Rossy, «les marques essayent de contrer ce marché de spéculation». Selon lui, les manufactures horlogères seraient bien inspirées d’analyser leur clientèle et de refuser la vente à des personnes qui n’achètent l’objet que pour le revendre le plus rapidement possible. Ce qui semble difficile.

Robert Goeres, managing director de Goeres Horlogerie, et donc responsable de la commercialisation de Rolex et Patek Philippe au Luxembourg – deux des marques sur lesquelles se focalise la spéculation –, a conscience du phénomène et reconnaît un dommage «énorme» pour l’image de ces deux marques. Mais il insiste sur le fait que ses clients «sont avant tout des collectionneurs et des amoureux des montres, et que la plupart des modèles que nous vendons sont vendus au consommateur final». Et il met en avant «le sérieux des marques horlogères suisses qui ne prennent pas pour prétexte cette évolution pour augmenter leurs prix. Elles restent sur des prix justes.»

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de  parue le 27 avril 2022. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

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