La Cour d’Appel réaffirme la non-immixtion des juridictions dans la gestion des entreprises.  (Photo: Pexels.com)

La Cour d’Appel réaffirme la non-immixtion des juridictions dans la gestion des entreprises.  (Photo: Pexels.com)

Une décision de la Commission européenne imposant à un groupe bancaire une liquidation faute de privatisation contribue à légitimer les licenciements pour motif économique, sans que la CSSF n’ait à donner son accord préalable à une telle décision.

La jurisprudence réaffirme la non-immixtion des juridictions dans la gestion des entreprises en matière de licenciement économique répondant à l’exigence de motivation, et confirme l’absence de nécessité d’un accord préalable au licenciement de la part de la Commission de Surveillance du Secteur Financier (ci-après « CSSF »), incompétente en la matière.

Rares sont les jugements rendus par les tribunaux en matière de licenciement pour motifs économiques prononcés par un établissement bancaire de la place financière du Luxembourg. L’arrêt rendu le 10 février 2022 par la Cour d’appel siégeant en matière de droit du travail, n° 23/22, mérite donc que l’on s’y arrête. En l’espèce, un groupe bancaire bénéficiait, à la suite de la crise des « subprime » de 2008, d’une aide de l’Etat allemand à laquelle la Commission européenne a mis un terme par une décision du 18 juillet 2011, contraignant ainsi la banque soit à s’auto-liquider, soit à se privatiser. C’est dans ce contexte que le salarié fut licencié pour motif économique fondé sur l’obligation pour la filiale luxembourgeoise de ce groupe bancaire de réduire ses effectifs en raison de la décision de la Commission européenne précitée. Après un échec en première instance à voir le licenciement jugé abusif, le salarié interjeta appel devant la Cour d’appel et soutint que son licenciement était abusif car les mesures décidées par la Commission européenne visaient la société de contrôle du groupe bancaire et non la banque luxembourgeoise. Le salarié prétendait également que la CSSF n’aurait pas autorisé préalablement et expressément la réduction de l’effectif au sein de la banque. Même si, subsidiairement, le salarié présenta des demandes fondées sur le statut de salarié conventionné et sur un prétendu harcèlement moral, toutes deux rejetées faute de preuve apportée par le salarié, l’intérêt de cet arrêt est de rappeler quels sont les principes applicables aux licenciements pour motif économique, y compris au sein du secteur financier.

Les motifs du licenciement économique doivent être précis, réels et sérieux.

L’énoncé des motifs de licenciement doit être suffisamment précis, non seulement pour permettre le contrôle des juges mais aussi pour permettre au salarié de vérifier le bien-fondé des motifs invoqués et de rapporter, le cas échéant, la preuve de leur fausseté. La Cour rappelle le principe qui découle du pouvoir de direction selon lequel l’employeur dispose, dans la gestion de son entreprise, d’un large pouvoir afin de prendre toutes les mesures qui s’imposent afin de garantir la rentabilité économique de la structure. En matière de licenciement fondé sur un motif économique, l’employeur doit indiquer, à la demande du salarié, les mesures concrètes de restructuration et leur incidence sur le poste supprimé, et ne peut se contenter ni de motifs sommaires, ni de motifs vagues, ni de formules de style, ni de la seule évocation de la baisse du chiffre d’affaires. En l’espèce, il résultait d’une décision de la Commission européenne relative à l’aide d’Etat accordée par la République Fédérale Allemande qu’il était interdit à un groupe bancaire de développer de nouvelles activités dès réception de cette décision. Cette interdiction s’appliquait aussi aux filiales de ce groupe bancaire, et donc à la banque établie au Luxembourg. La banque était ainsi considérée comme une entité destinée à la liquidation, sans possibilité d’exercer de nouvelles activités, sauf en cas de privatisation. Faute pour le salarié d’établir une telle privatisation, la banque était donc engagée dans un processus de liquidation et de cessation progressive de ses activités.

La CSSF n’a pas à donner son accord préalable au licenciement.

La Cour juge qu’aucune disposition du Code du travail n’impose un accord préalable de la CSSF en cas de décision d’un employeur de procéder à un ou plusieurs licenciements dans le cadre d’une externalisation d’une activité d’un établissement financier. Le fait que la CSSF ait informé par courrier la banque de l’absence d’objections de sa part en ce qui concerne la suppression, jusqu’au 31 décembre 2018, de six postes dans le cadre de ce processus de « wind-down », est sans effet pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement. En réponse au salarié qui soutenait que la banque aurait délocalisé certains de ses services vers sa maison mère en Irlande, conformément à sa jurisprudence en matière de groupe de sociétés, la Cour a fait application du principe de non-immixtion des juridictions dans la gestion économique des entreprises jugeant « …il n’appartient pas aux juridictions du travail de vérifier si les mesures décidées aboutissant à une suppression de poste étaient appropriées… ».

En résumé : la motivation a été jugée précise car il ressortait, à la lecture du courrier de licenciement, que la raison du processus de liquidation de la banque et la nécessité de réduire le nombre de salariés y avaient été détaillées à suffisance. A l’évidence, la décision de la Commission européenne a grandement facilité la reconnaissance par la Cour de la cause réelle et sérieuse du licenciement.

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Voir la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier

Cour de Cassation, 12.11.1992, Poggi s.à.r.l c/ Trisciani

Cour d’appel, 22.06.2000, n°23191

Cour d’appel 11.11.1993, n° 14335

Cour d’appel 15.05.1997, n° 19897

Cour de cassation 16.01.1997, n°1325

Cour d’appel 22.05.2008, n° 32745

Cour d’appel 19.10.2006, n° 30087

Cour d’appel 16.03.2006, n° 28845

Cour d’appel 11.07.2013, n° 38187 ; contra 01/03/2012, n° 37078