«Plus la position est élevée d’un point de vue hiérarchique, plus le degré de tolérance devrait diminuer, parce que le risque est d’autant plus élevé pour l’entreprise tout entière», explique Mario Di Stefano, avocat et associé fondateur du cabinet DSM. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

«Plus la position est élevée d’un point de vue hiérarchique, plus le degré de tolérance devrait diminuer, parce que le risque est d’autant plus élevé pour l’entreprise tout entière», explique Mario Di Stefano, avocat et associé fondateur du cabinet DSM. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Alors que les «marches blanches silencieuses» réunissent plusieurs milliers d’opposants, et que les messages antivax fleurissent sur les réseaux sociaux, Mario Di Stefano, avocat spécialisé en droit du travail, fait le point sur les libertés de chacun au sujet du Covid-19.

Un salarié peut-il écrire tout ce qu’il veut sur les réseaux sociaux s’il y affiche son appartenance à son entreprise?

. – «C’est une question facile et difficile à la fois. Il y a deux éléments qui sont en jeu ici: le premier, la liberté d’expression et d’opinion des salariés qui est l’un de leurs droits civiques. Mais le deuxième élément à prendre en compte est qu’ils sont salariés d’un employeur qui a aussi un droit, celui de ne pas voir son entreprise ou son activité perturbée par l’attitude des salariés.

Des paroles prononcées à l’extérieur et à l’intérieur de l’entreprise ont-elles la même portée?

«Je ne pense pas, je crois qu’il faut séparer deux choses: le comportement du salarié à l’intérieur de l’entreprise et à l’extérieur. Si, au sein des locaux, il répand des théories conspirationnistes, voire harcèle des personnes vaccinées, et de surcroît s’il a un poste assez haut placé, alors cela peut perturber le bon fonctionnement de la société.

À l’extérieur de l’entreprise, c’est moins évident. Si un salarié participe aux «marches blanches» organisées les vendredis soir à Luxembourg-ville, même s’il a des paroles antivax, normalement, cela ne regarde pas son employeur, mais il ne faut pas qu’il y ait un impact sur l’entreprise. La liberté d’opinion a ses limites et l’employeur peut estimer que répandre des théories conspirationnistes n’est pas compatible avec l’image et l’éthique de l’entreprise. Imaginons un salarié pris en photo lors d’une manifestation antivax avec un habit aux couleurs de l’entreprise, cela peut avoir un impact sur la société.

Un managing partner, par exemple, qui répandrait des théories conspirationnistes sur les réseaux sociaux ou à l’intérieur de l’entreprise, peut pousser des clients à se désengager ou perturber la cohésion des équipes, et cela mettrait son entreprise dans une situation compliquée.
Mario Di Stefano

Mario Di Stefanoavocat

Quelles sont les limites de la liberté d’expression?

«La protection des libertés peut aller loin, et l’on peut être critique sur les mesures du gouvernement, mais quelqu’un qui va commencer à comparer la campagne de vaccination à l’Holocauste, par exemple, qui mettrait une étoile jaune sur soi parce qu’il n’est pas vacciné, qui expliquerait que la pandémie est un complot mis en place par Bill Gates par exemple, là, je pense que les limites de la liberté d’expression sont atteintes.

Que peut faire un employeur face à une telle situation?

«Je dirais qu’il va déjà regarder la fonction du salarié en question, ainsi que son ancienneté. Il aura toujours plus de tolérance pour un ancien que pour un new joiner, qui se fait remarquer à défendre certaines bêtises. Pour autant, plus la position est élevée d’un point de vue hiérarchique, plus le degré de tolérance devrait diminuer, parce que le risque est d’autant plus élevé pour l’entreprise tout entière. Il faut regarder le degré de diffusion. Un managing partner, par exemple, qui répandrait des théories conspirationnistes sur les réseaux sociaux ou à l’intérieur de l’entreprise, peut pousser des clients à se désengager ou perturber la cohésion des équipes, et cela mettrait son entreprise dans une situation compliquée.

Cela pourrait donc aller jusqu’au licenciement?

«En premier lieu, l’employeur peut se dire qu’il a encore l’espoir de raisonner son salarié, et lui adresser un avertissement écrit. Il lui rappelle alors que son comportement risque de nuire à l’entreprise, de lui porter un préjudice réputationnel. Et si le salarié persiste, il devra réfléchir à le licencier avec effet immédiat pour faute grave. Et l’employeur aura peut-être d’autres motifs de licenciement.

L’employeur pourrait-il, par la suite, être poursuivi pour licenciement abusif?

«C’est un risque effectivement, mais il faut faire cet arbitrage. Est-ce qu’il vaut mieux laisser des bêtises se répandre et voir la réputation de son entreprise entachée, et saborder sa société? Il faut analyser la situation à tête reposée, et un autre problème est de prouver les propos et l’attitude du salarié que l’on souhaite licencier. Si la personne en question supprime ses posts sur les réseaux sociaux, il n’y a plus de preuves.

Idéalement, il faudrait le faire constater par huissier de justice, ou si des choses ont été dites en réunion, par exemple si un salarié harcèle ses collègues pour qu’ils signent une pétition contre la vaccination, il faut les témoignages de ces personnes. La défense que l’on voit souvent, ce sont des gens qui disent que leur compte a été hacké, une excuse aussi fréquente que peu crédible, mais il faut être préparé à cette réponse. L’employeur peut aussi se tourner vers d’autres motifs de licenciement, car si un groupe conspirationniste estime que l’un des leurs a été licencié pour leurs convictions, il peut aussi lancer une campagne de dénigrement contre l’entreprise, et cela aura encore des conséquences sur l’avenir de l’entreprise. Il faut éviter un débat qui peut être très clivant. Très souvent, les conspirationnistes disent qu’il faut respecter leur opinion, mais si ce sont des mensonges avérés, je n’ai pas à les respecter.»