Un sujet (la gouvernance), quatre intervenants, autant de regards et vécus. De gauche à droite: Carlo Thill (Cardif Lux Vie), Raymond Schadeck (UNature asbl), Adèle Rousseau (Chambre de commerce) et Marc Molitor (Doctena). (Photo: Charly Petit/Chambre de commerce)

Un sujet (la gouvernance), quatre intervenants, autant de regards et vécus. De gauche à droite: Carlo Thill (Cardif Lux Vie), Raymond Schadeck (UNature asbl), Adèle Rousseau (Chambre de commerce) et Marc Molitor (Doctena). (Photo: Charly Petit/Chambre de commerce)

Démarcation entre le stratégique et l’exécutif, conflit d’intérêts, réglementation, philosophie du CA… La pérennité d’une entreprise ne saurait s’affranchir d’une gouvernance réfléchie et pertinente, a-t-il été démontré lors des Entrepreneurs’ Days proposés par la House of Entrepreneurship.   

«Extrapolons… Avec l’explosion des technologies, la seule chose qui va rester dans les entreprises, c’est la gouvernance. Tout le reste sera remplacé par des robots et des machines!» C’est avec cette boutade aux accents de science-fiction orwellienne que le professeur émérite à l’Institut européen d’administration des affaires (Insead), Ludo van der Heyden, a introduit la table ronde sur la gouvernance, concoctée dans le cadre des Entrepreneurs’ Days qu’organisait, à la Chambre de commerce, la House of Entrepreneurship, ce jeudi 7 novembre. Enfin… on présume qu’il s’agissait d’une boutade!

Dans son propos liminaire, le Belge Ludo van der Heyden a comparé la gouvernance à «une question existentielle». «Vous pouvez perdre votre entreprise à cause d’une mauvaise gouvernance», a-t-il lancé aux dizaines de chefs d’entreprise venus l’écouter. La Banque mondiale classe toutefois le Luxembourg au cinquième rang des pays de l’Union européenne pour la qualité de sa gouvernance, a-t-il aussi été rappelé.

Le passé et les risques

Trois hommes et une femme composaient le panel sollicité durant une heure sur les défis à relever en matière de gouvernance, des TPE/PME aux grandes sociétés.

«Dans beaucoup d’entreprises, on passe trop de temps à évoquer le passé, et pas assez à parler du futur», a déploré le président d’UNature asbl, , par ailleurs ancien CEO d’EY et aujourd’hui administrateur indépendant. «Le premier point à l’agenda des boards», a-t-il poursuivi, «ce sont souvent les chiffres du trimestre passé. Moi, c’est un point que je programmais en tout dernier…»

Pour lui, la taille de l’organisation est un véritable sujet: «Si je compare avec les sociétés cotées par exemple, les PME se projettent davantage sur le moyen et le long termes. Les grandes entreprises, elles, consacrent trop de temps à tout ce qui est lié aux risques et à la réglementation. Être entrepreneur, c’est pourtant prendre des risques… Je n’ai pas aimé être CEO d’une grande entreprise. C’est presque un job juridique. Le conseil d’administration a toujours en arrière-plan des pensées liées aux risques.»

Couler des fondations

La fluidité des relations «entre le CA et le pouvoir exécutif» est un autre point sur lequel Raymond Schadeck a insisté. «Et c’est dans les PME», a-t-il encore appuyé, «que se crée la meilleure confiance entre les deux entités».

À l’intérieur du CA, «il faut définir chaque rôle, en assignant telles compétences et tel pouvoir à chaque administrateur», a souligné la governance and compliance advisor de la Chambre de commerce, Adèle Rousseau. Qui invite à faire des efforts en matière de documentation: «Plus vous justifiez et documentez vos actions passées, plus vous pouvez aller de l’avant», a-t-elle résumé.

Dans sa keynote, le professeur émérite à l’Insead Ludo van der Heyden (à gauche) a mis les chefs d’entreprise devant leurs responsabilités. (Photo: Charly Petit/Chambre de commerce)

Dans sa keynote, le professeur émérite à l’Insead Ludo van der Heyden (à gauche) a mis les chefs d’entreprise devant leurs responsabilités. (Photo: Charly Petit/Chambre de commerce)

«Dans une start-up, cela s’envisage dès le commencement», l’a rejointe le cofondateur (avec ) de , Marc Molitor. «Vous vous lancez avec deux ou trois associés, et il faut déjà se mettre d’accord. Comme dans un mariage, il faut clarifier les grands principes. Moi, je conseille à tout entrepreneur de conclure un pack actionnaires. Qu’importe si le document fait trois, 30 ou 300 pages… Si la situation se présente, comment se sépare-t-on par exemple? Entre autres réponses, celle-ci doit être apportée. Cela pose des fondations.»

«La gouvernance doit être réfléchie en amont», a confirmé Adèle Rousseau. Des mandats aux clauses de sortie, «il faut penser à toutes les étapes».

Qui décide quoi?

Autre élément soulevé par Marc Molitor: «La séparation entre le ‘day to day’ et le stratégique.» «Chez Doctena», a-t-il témoigné, «nous avons veillé à avoir des conseils d’administration formels, durant lesquels nous prenons de véritables décisions stratégiques. On ne reste pas entre deux chaises. Car là sont les grandes questions auxquelles répondre: comment prend-on les décisions? Qui les exécute? Et ensuite, qui contrôle?»

«Avant 2008, les conseils d’administration fonctionnaient de manière très différente», s’est souvenu le président du CA de Cardif Lux Vie, , notamment ancien responsable pays de BNP Paribas et président du comité exécutif de BGL BNP Paribas. «C’était le management qui décidait. Je prenais des décisions, puis je convoquais un conseil d’administration à onze heures du soir. Après 2008 (et consécutivement à la crise financière qui avait ébranlé la planète, ndlr), la gouvernance a été mise en place par le politique et le régulateur. Depuis, nous assistons peut-être à un mouvement de balancier, les règles sont devenues très strictes.»

«Mélange des casquettes»

«La loi au Luxembourg est flexible, il y a une large palette d’options», a cependant nuancé la governance and compliance advisor de la Chambre de commerce, Adèle Rousseau. «La gouvernance doit s’adapter au modèle d’entreprise, il n’y a pas un profil unique», a réagi Carlo Thill.

«Autre règle importante», a-t-il mentionné, «celle d’avoir des compétences diverses au sein d’un CA. On ne peut pas être spécialiste en tout. C’est [depuis 2008] ce qui a fondamentalement changé».

Sur le sujet, Adèle Rousseau recommande pour sa part de ne pas hésiter à faire appel à des administrateurs indépendants. «Pour sortir de sa seule vision des choses.»

Préconisation faisant écho au message de prévention passé par les intervenants quant aux menaces de conflits d’intérêts ou de «mélange des casquettes», ainsi que l’a qualifié le cofondateur de Doctena, Marc Molitor.

Chères valeurs…

«Il faut, aujourd’hui, veiller à ne pas mélanger son portefeuille et celui de son entreprise. Il y a dix ans, on ne parlait pas d’abus de biens sociaux. Maintenant, si. C’est pour cette raison qu’il faut séparer le conseil d’administration et le pouvoir exécutif. Sinon, cela peut coûter cher», a conclu Carlo Thill, lorsque chaque participant a été invité à livrer un dernier mot.

«Les entreprises sont une personne morale. L’enjeu central, c’est: comment assurer la pérennité de cette personne?», a résumé Marc Molitor, tandis qu’Adèle Rousseau, de la Chambre de commerce, terminait sur cette note: en matière de gouvernance, «il convient de trouver le bon équilibre entre flexibilité et sécurité», a-t-elle esquissé.

Quant au président d’UNature Raymond Schadeck, 69 ans, il a porté son regard au loin: «La gouvernance», a-t-il synthétisé, «c’est là où l’on crée, développe et porte les valeurs d’une entreprise. En interne comme en externe. Or, on se trouve dans une phase où ces valeurs constituent un facteur déterminant pour les jeunes générations.» Du moins si elles ne sont pas effacées par les robots et autres technologies, soit…