«Les intentions de cet écosystème pour faire quelque chose en faveur du commerce sont à 200% louables. Mais là, ils ont créé une usine à gaz.» Dimanche 26 novembre, Carlo Kissen a jeté un gros pavé dans la mare en relayant sur les réseaux sociaux les conclusions d’un sondage portant sur la notoriété de la plateforme d’achats en ligne Letzshop, créée en 2018. Conclusions qui avaient déjà été communiquées aux autorités compétentes sous la forme d’une rapide note de synthèse.
Menée l’été dernier auprès de 1.000 répondants, cette enquête n’est le fruit d’aucune commande. Il s’agit d’une initiative de Quest, structure luxembourgeoise spécialisée dans les études de marché. «Plusieurs fois par an, on mène ce type d’opération autofinancée à titre d’auto-promotion ou parce que le sujet nous intéresse», précise à Paperjam son cofondateur et directeur général.
«Oui, je suis sévère»
Deux questions principales ont été posées. La première avait trait à la popularité de la marketplace. Il en ressort que 29% des personnes interrogées affirment ne pas connaître la plateforme, tandis que 5% d’entre elles se présentent comme des clients «relativement réguliers».
L’autre interrogation portait sur les réflexes d’achat. Près d’un tiers (32%) des «répondants» indiquent «avoir déjà visité le site, sans pourtant acheter» et 13% assurent «avoir déjà essayé, sans rester clients». «Ce sont donc 45% des gens qui n’ont pas concrétisé les intentions d’achat. Ce chiffre est le plus inquiétant», pointe Carlo Kissen.
«Le moteur de recherche ne fonctionne pas, la segmentation des produits ne fonctionne pas. Oui, je suis assez sévère», explique encore le dirigeant de Quest. Regrettant l’absence «d’indicateurs de performance» de Letzshop, il lance aux pouvoirs publics «un appel à l’action sans équivoque: soit vous corrigez le problème maintenant, soit vous envisagez de débrancher la prise». Autrement dit: mettre purement et simplement un terme à l’expérimentation Letzshop.
«Investir de l’argent public dans un projet n’est pas suffisant: il faut que ce soit couplé à une intelligence stratégique. Dans un pays riche en expertise numérique comme le Luxembourg, il est difficile de comprendre pourquoi Letzshop échoue», grince-t-il. Selon Carlo Kissen, il y a «un doute sur la valeur de la plateforme».
«Il faut accroître le taux de fidélisation.»
Pour Philippe Herremans, la pilule est amère. «Si j’ai bien compris, ils [Quest] disent que Letzshop est inutile et qu’on ne remplit pas nos objectifs. C’est faux», soupire le coordinateur de la plateforme. Sans toutefois se cacher derrière son petit doigt quant aux difficultés rencontrées.
Car certes, Letzshop revendique 460 commerçants et 450.000 produits disponibles en cette fin d’année. Certes, encore, elle affiche un portefeuille de 40.000 utilisateurs à jour d’inscription, et deux fois plus de monde utilise le site sans enregistrement. Mais les données décrivent aussi un chiffre d’affaires en repli de 2,2% par rapport à l’année dernière, en raison notamment d’un premier trimestre plombé par la quasi-disparition des chèques-cadeaux online qui avaient fait fureur lors de la pandémie de Covid-19. Ce qui fait dire à Philippe Herremans: «Il faut accroître le taux de fidélisation.»
Pour y parvenir, Letzshop dit travailler «en permanence sur des axes de progression». Au cours des derniers mois, la traduction automatique en anglais a été proposée aux résidents ne maniant ni le luxembourgeois, ni l’allemand, ni le français. D’autres projets devraient voir le jour, comme le recours à l’intelligence artificielle pour étoffer le descriptif des produits, jugé trop succinct et donc dissuasif actuellement.
Letzshop, ce n’est pas Amazon
«Si tous les commerçants avaient leur propre magasin en ligne, Letzshop n’aurait pas lieu d’être. Or, moins de 10% d’entre eux ont un shop online», rappelle Philippe Herremans. Depuis peu, Letzshop leur propose (moyennant contribution financière) des publicités ciblées ainsi que la mise en place de bons d’achat à dépenser en ligne ou directement dans les magasins physiques. «On est là aussi pour générer du trafic offline.»
Non, en matière de popularité, Letzshop ne sera jamais un ventripotent Amazon à la luxembourgeoise. «Nous n’avons pas le même business model, ce n’est pas notre objectif. Les commerçants présents chez nous ont un magasin, paient un loyer, des salariés…»
«Le défaut majeur de Letzshop, si l’on compare avec des plateformes internationales, c’est que l’on ne trouve pas tous les produits. On est conscient de cette problématique, on travaille dessus», conclut Philippe Herremans. Tout disposé à retenir quelques leçons de l’enquête de Quest: «Dans toute critique, j’essaie de prendre le positif.» Rendez-vous à la prochaine enquête.