S’il s’est essayé à la raclette suisse, Bernard Ries reste attaché aux spécialités luxembourgeoises, comme la Bouneschlupp ou le Baamkuch, qu’il fait découvrir à ses amis helvétiques. (Photos: DR)

S’il s’est essayé à la raclette suisse, Bernard Ries reste attaché aux spécialités luxembourgeoises, comme la Bouneschlupp ou le Baamkuch, qu’il fait découvrir à ses amis helvétiques. (Photos: DR)

Le nouveau magazine Paperjam, en kiosque ce mercredi 26 mars, est consacré aux Luxembourgeois qui réussissent à l’étranger. C'est le cas de Bernard Ries, vice-recteur de l’Université de Fribourg. En Suisse, il ne perçoit pas une « quête constante de toujours vouloir plus », comme c’est le cas au Luxembourg.

Au 1er janvier 2024, 2.859 Luxembourgeois résidaient en Suisse, selon le Statec. Cela en fait la sixième destination des expatriés luxembourgeois, derrière les États-Unis mais devant le Royaume-Uni. Établi dans le pays alpin depuis dix ans, Bernard Ries, 45 ans, «n’imagine pas retourner au Luxembourg un jour» pour l’instant. Après avoir étudié à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), ce diplômé en mathématiques a travaillé comme chercheur aux États-Unis, puis comme professeur en Angleterre et en France, avant de revenir en Suisse en 2015. Professeur au département d’informatique de l’Université de Fribourg, il en est également vice-recteur depuis 2019.

Pourquoi êtes-vous parti?

Bernard Ries. – «J’ai choisi de partir pour mes études. À l’époque, il n’existait pas de cursus complet au Luxembourg, car l’Université du Luxembourg n’avait pas encore été créée. Par la suite, la question pour moi était plutôt : pourquoi ne pas retourner au Luxembourg pour y travailler ? Comme je souhaitais rester dans le milieu universitaire, l’Université du Luxembourg était ma seule option. Cependant, les postes de professeur y sont rares, et rien n’indiquait qu’un poste dans mon domaine de recherche s’ouvrirait prochainement. Parallèlement, mes expériences à l’étranger m’avaient beaucoup plu. J’ai donc préféré rester hors du pays.

La Suisse était-elle votre premier choix?

«Absolument. Le système universitaire y est particulièrement bien développé, avec d’excellentes universités et écoles polytechniques. De plus, la qualité de vie y est exceptionnelle, entre montagnes et lacs. Par chance, un poste correspondant à mon domaine de recherche s’est ouvert en 2015 à l’Université de Fribourg. J’ai donc décidé de postuler.

Quitter le Luxembourg n’a donc pas été une décision difficile?

«Oui et non. D’un côté, mon épouse et moi étions conscients que cela signifiait nous éloigner de notre famille et de nos amis. D’un autre côté, nous savions que la Suisse n’était pas très loin et, surtout, nous y avions déjà vécu, ce qui nous permettait d’anticiper notre nouvelle vie. Nous étions donc impatients d’y retourner. L’expérience que nous y avions eue précédemment nous avait marqués très positivement. De plus, une telle opportunité, avec ce poste à Fribourg, ne se représenterait probablement pas.

À Fribourg, à la Saint-Nicolas, les enfants ne reçoivent que des biscômes.
Bernard Ries

Bernard Riesvice-recteurUniversité de Fribourg

Comment vous êtes-vous intégré en Suisse?

«À notre arrivée à Fribourg, nous ne connaissions pratiquement personne. Au début, on échange principalement avec ses collègues de travail, mais en dehors de l’environnement professionnel, on peut se sentir seul. Cependant, nous avons rapidement tissé des liens. Comme nos enfants sont nés en Suisse et vont à l’école ici, cela nous a permis de rencontrer d’autres parents et d’élargir notre cercle social. Notre engagement associatif et nos activités sportives ont également facilité les rencontres.

Fribourg est une ville passionnée par son équipe de hockey sur glace. Étant moi-même fan de ce sport, j’ai assisté à des matchs dès que possible, ce qui m’a permis de rencontrer de nouvelles personnes. En fin de compte, je pense que l’intégration n’a pas été trop difficile. Il a simplement fallu faire le premier pas vers les autres.

Quelles opportunités avez-vous rencontrées en tant que Luxembourgeois?

«Nous sommes naturellement multilingues, avec de bonnes compétences en français et en allemand. Or, Fribourg, située à la frontière entre la Suisse romande et la Suisse alémanique, est une ville bilingue, tout comme son université. Mes compétences linguistiques m’ont ainsi ouvert des portes, notamment celle du poste de vice-recteur de l’Université. Lors de nos réunions, chacun parle sa langue préférée, français ou allemand. Cela ne gêne en rien ma compréhension et m’aide à coordonner les discussions.

Quelles différences culturelles entre la Suisse et le Luxembourg vous ont le plus marqué ?

«Ce qui m’a frappé avant tout, c’est le lien profond que les Suisses entretiennent avec la nature. Ils sont très fiers de leurs paysages. Le week-end, les quais des gares débordent de monde: les gens prennent le train pour aller à la montagne, se détendre près d’un lac ou skier en hiver. Il ne se passe pas une semaine sans que les Suisses ne soient en contact direct avec la nature, en dehors de chez eux.

Un autre aspect qui m’a impressionné, c’est l’omniprésence des transports publics et du vélo. Le réseau ferroviaire est excellent et les trains sont d’une ponctualité remarquable.

Quelles traditions luxembourgeoises avez-vous gardées à l’étranger?

«Nous célébrons la Saint-Nicolas à la luxembourgeoise: les enfants reçoivent des cadeaux. À Fribourg, la Saint-Nicolas est la fête principale – c’est le saint patron de la ville – mais ici, les enfants ne reçoivent que des biscômes (ndlr: pains d’épices traditionnels suisses).

Nous restons également attachés aux spécialités luxembourgeoises, comme la Bouneschlupp ou le Baamkuch, et nous aimons les faire découvrir à nos amis suisses.

La qualité que je valorise probablement le plus, c’est notre multilinguisme.
Bernard Ries

Bernard Riesvice-recteurUniversité de Fribourg

Quel regard votre entourage local porte-t-il sur le Luxembourg?

«Je dois avouer que les gens de notre entourage connaissent très peu le Luxembourg. Ils l’imaginent comme un petit pays où la qualité de vie est proche de celle de la Suisse, mais au-delà de cela, leurs connaissances restent limitées. Sauf peut-être sur un point: le fait que les transports publics y sont gratuits pour tout le monde. D’ailleurs, l’ancien ministre François Bausch a été invité une fois à l’Université de Lausanne pour parler de cette innovation, ce qui a marqué pas mal de personnes. Mais la plupart n’ont jamais mis les pieds au Luxembourg.

Pour vous, quels stéréotypes ou idées reçues sur le Luxembourg mériteraient d’être corrigés?

«Quand je vivais en France, j’entendais souvent dire que tout le monde au Luxembourg est riche et ne paie pas d’impôts.

Dans quelle mesure vous sentez-vous un ambassadeur du Luxembourg?

«Je suis toujours fier de mon pays d’origine. Je n’hésite pas à dire que je suis Luxembourgeois lors de discussions. Comme beaucoup de gens connaissent mal ce pays, j’aime partager des informations et les inviter à découvrir notre petit coin de monde.

Quelles qualités mettez-vous en avant pour représenter positivement le Luxembourg?

«La qualité que je valorise probablement le plus, c’est notre multilinguisme naturel. C’est un atout considérable, dont j’ai moi-même bénéficié, tout comme mon épouse. Parfois, on ne réalise pas à quel point cela peut ouvrir des opportunités. C’est une richesse qu’il est crucial de préserver dans notre système éducatif.

Qu’avez-vous appris dans votre pays d’accueil que vous aimeriez voir appliqué au Luxembourg?

«Ce lien fort avec la nature et le respect qu’on lui porte m’ont profondément marqué. Je ne l’ai retrouvé nulle part ailleurs jusqu’à présent. Même si le Luxembourg ne possède pas de montagnes, ce rapport à la nature pourrait néanmoins être davantage développé.

De plus, les Suisses sont bien plus conscients de vivre dans un pays prospère. Ils en sont reconnaissants et savent se contenter de ce qu’ils ont. Au Luxembourg, j’ai souvent l’impression que ce n’est pas le cas. On ne prend pas toujours conscience de la chance qu’on a, et il y a cette quête permanente de vouloir toujours plus.

Avez-vous envie de revenir vivre au Luxembourg un jour?

«On dit souvent qu’il ne faut jamais dire jamais, mais honnêtement, pour l’instant, je ne nous imagine pas retourner au Luxembourg un jour. Nous nous sentons très bien en Suisse, tout comme nos enfants. Comme ils y sont nés et y ont toujours vécu, je pense d’ailleurs qu’ils se sentent plus Suisses que Luxembourgeois.»