Pour se maintenir, le système actuel des pensions aurait besoin d’une croissance annuelle de 5%. Utopique selon experts. (Photo: Shutterstock)

Pour se maintenir, le système actuel des pensions aurait besoin d’une croissance annuelle de 5%. Utopique selon experts. (Photo: Shutterstock)

La Fondation Idea organisait ce jeudi matin une «Matinale» autour du thème des pensions, en se demandant si «la situation est si désespérée». Un sujet qui ne laisse personne indifférent.

La pension, comme l’a souligné le senior economist de la Fondation Idea Michel-Edouard Ruben en guise d’introduction du débat matinal organisé jeudi matin, c’est pour chaque salarié la récompense attendue au bout d’une vie consacrée au travail. Sauf rares exceptions, cela concerne donc tout le monde.

Le sujet est clivant au Luxembourg et très souvent au-devant de l’actualité. En simplifiant à l’extrême, il y a d’une part ceux qui estiment que tout va bien et que, si demain cela va un rien plus mal, on dispose d’assez d’outils pour faire face. Et d’autre part, ceux qui tirent la sonnette d’alarme, plaident pour que l’on regarde la réalité en face et que l’on agisse rapidement. Sous peine de grandes difficultés. «Les pensions, c’est un peu comme un traîneau lancé sur une pente de plus en plus raide», a notamment indiqué Muriel Bouchet, directeur de la Fondation Idea. «Il est toujours plus facile de freiner quand la vitesse n’est pas trop forte, la pente encore douce... Sinon, quand il faut s’arrêter d’urgence, le risque d’accident est plus grand.»

9% du PIB en 2018, 18% en 2070

Dans son rôle d’agitatrice d’idées et d’animatrice du débat public, la Fondation Idea a donc étudié les chiffres pour proposer un plan de réforme des pensions. «Le premier constat est que les prestations sociales représentent environ 10 milliards d’euros au Luxembourg, mais les pensions seulement 50% de l’ensemble. Et au sein du régime général de pension, la pension vieillesse représente 66,4% de l’ensemble.»

Ce qui inquiète, c’est l’évolution de la charge des pensions en fonction du PIB. Selon le groupe de travail européen sur le vieillissement, le taux du Luxembourg passera de 9% actuellement à 18% en 2070. «C’est un cas unique en Europe, lié notamment au vieillissement de la population, au phénomène des travailleurs frontaliers...», souligne Muriel Bouchet. «La difficulté est d’imaginer à quoi ressemblera le Luxembourg en 2070.»

La réforme de 2012 n’était pas antisociale.

Jean OlingerConseil national des finances publiques

Toujours est-il que pour soutenir le régime actuel des pensions il faut une croissance annuelle du PIB à hauteur de 5%. Or, la moyenne depuis 2000 est de 2,6%. «Une croissance de 5% durant 30 ans cela ne s’est jamais vu car cela n’existe pas», a fait valoir , chargé d'études «veille socio-politique» chez Caritas Luxembourg.

Réformer en ajustant les paramètres qui existent

La Fondation Idea a donc imaginé une réforme du système des pensions tenant compte d’une croissance, déjà très et même trop optimiste pour certains, de 3%. «Au Luxembourg, le pensions se décomposent en trois parties: une partie forfaitaire, une majoration proportionnelle, une allocation de fin d’année», développe Muriel Bouchet. «La pierre angulaire de notre réforme est appelée ‘Plan 50 + 1’, et consiste à conserver l’actuel calcul des pensions, en diminuant graduellement la partie proportionnelle aux revenus cotisables et en augmentant la partie forfaitaire, qui est la plus importante pour les petites pensions.» La réforme telle que pensée par Idea tiendrait aussi compte d’un coefficient de longévité, d’une adaptation sociale aux salaires réels, du maintien de l’allocation de fin d’année pour les petits revenus. C'est en soi un ajustement de la réforme de 2012, une évolution plutôt qu’une révolution.

«Notre proposition joue en effet essentiellement sur des paramètres existants, visant à calibrer ces derniers afin de renforcer la résilience financière du système des pensions», conclut Muriel Bouchet. Qui ne croit pas, par contre, à une augmentation des cotisations comme solution au problème: «ce serait en réalité la mesure la moins équitable».

Est-ce encore le rôle d’un Etat de payer des pensions de plus de 8.000 euros?

Robert UrbéCaritas

Les calculs développés par Idea et la mise en œuvre de la réforme suscitent différentes réactions. Pour membre du Conseil national des finances publiques et ancien Inspecteur des finances, c’est «presque un système communiste qui est proposé». Selon lui il faut bien cerner le débat et ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. «Les petites pensions sont-elles suffisantes? C’est au ministère de la Famille d’étudier cela, pas à celui en charge des pensions. De même, je défends la réforme des pensions de 2012, qui n’était pas anti-sociale et qui a été votée très largement. Il ne faut pas paniquer car à court et moyen terme on disposera encore des excédents, puis des revenus de la réserve.» Robert Urbé estime pour à part «que ce sera une grave erreur de ne pas réagir de suite. Il faut trouver de nouvelles sources de recettes et baisser les dépenses du système social».

D’autres pistes sont envisagées

Et les pistes sont nombreuses à ce propos. Instaurer une nouvelle taxation pour une prise en charge totale des pensions par l’État? Réformer la possibilité de faire valoir ses années d’étude dans le calcul? Supprimer l’allocation de fin d’année? Revoir l’âge de la pension, qui est prise en moyenne à 61 ans alors que l’âge légal de départ est de 65 ans? Demander plus d’effort à ceux qui touchent les pensions les plus fortes?

Cette matinée  éloigne le débat du comportement luxembourgeois qui consiste à nier le problème. 

Jean-Jacques RommesCES

«La question du plafonnement des pensions est aussi à étudier. Est-ce encore le rôle d’un État de payer des pensions de plus de 8.000 euros à certains?», se demande Robert Urbé. Qui souligne encore que «la réforme de 2012 prévoit également une baisse des pensions. C’est la jeune génération qui va donc payer la note.»

Sensible, le débat sur les pensions ne fait sans doute que débuter. s’est d’ailleurs félicité «que cette matinée nous éloigne du comportement luxembourgeois qui consiste à nier le problème. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il y a un problème. On attend de voir maintenant qui aura le courage politique de prendre le dossier. La difficulté est qu’il faut rétablir un système en prenant des mesures qui apparaîtront évidemment comme asociales.»

Et d‘avancer encore, en jetant un regard vers les travailleurs frontaliers, qui seront de plus en plus nombreux, et évidemment directement impactés par l’avenir des pensions: «la profonde injustice voulue par le politique est là: que ce soient des non-électeurs qui paient pour des électeurs».

La conclusion? La situation n'est pas si désespérée. Mais il va falloir oser débattre des pensions sur le fond. Et, sans doute, prendre des mesures radicales et, pour certains, douloureuses.