Smartphones, voitures, satellites et matériels militaires de précision, systèmes de soins de santé, infrastructures énergétiques et solutions de mobilité, technologies de communication, transition écologique: les microprocesseurs sont partout et l’Europe nulle part.
Trois ans après le Chips Act, la Cour des comptes européennes publie un rapport de 77 pages qui pointe les nombreux problèmes qui se posent avant que l’Europe ne puisse espérer se rapprocher de ses ambitions. Des critiques qui n’ont appelé qu’une réponse en six pages: pas possible de réviser la stratégie avant juin 2026, un siècle au rythme actuel des évolutions technologiques.
Un objectif ambitieux, mais déconnecté de la réalité
Le Chips Act repose sur trois piliers: renforcer la recherche et l’innovation, sécuriser l’approvisionnement en semi-conducteurs, et mettre en place un mécanisme de suivi et de gestion des crises. Pour soutenir cette stratégie, l’UE prévoyait de mobiliser 86 milliards d’euros d’investissements publics et privés. Cependant, la Commission européenne ne contrôle directement qu’environ 5% de ces fonds, le reste dépendant des États membres et du secteur privé.
La Cour des comptes européenne estime que l’objectif de 20% est «hors de portée» et «déconnecté de la réalité». Selon les projections actuelles, la part de l’UE dans la production mondiale de semi-conducteurs atteindrait seulement 11,7 % en 2030, contre environ 10 % en 2020. Pour atteindre l’objectif initial, la capacité de production devrait quadrupler, ce qui semble irréalisable au rythme actuel.
- Un financement insuffisant et mal coordonné: le Chips Act prévoit de mobiliser 86 milliards d’euros d’investissements publics et privés. Cependant, la Commission européenne ne contrôle directement qu’environ 5% de ces fonds, le reste dépendant des États membres et du secteur privé. Cette fragmentation du financement entraîne un manque de coordination et de transparence, rendant difficile l’évaluation de l’efficacité des investissements.
- Une concentration des investissements risquée: la majorité des investissements sont concentrés sur une poignée de projets et d’entreprises. Cette concentration rend l’ensemble du plan vulnérable: l’échec ou le retard d’un seul projet pourrait compromettre l’atteinte des objectifs globaux. Par exemple, le projet d’Intel en Allemagne a été suspendu, et d’autres initiatives peinent à se concrétiser.
- Dépendance aux importations: l’UE reste fortement dépendante des importations de matières premières essentielles pour la fabrication de semi-conducteurs.
- Coûts énergétiques élevés: la production de puces est énergivore, et les coûts de l’énergie en Europe sont supérieurs à ceux d’autres régions.
- Pénurie de main-d’œuvre qualifiée: le secteur souffre d’un manque de personnel formé, ce qui freine le développement des capacités de production.
Une concurrence mondiale féroce
Les États-Unis, avec leur propre Chips and Science Act, ont déjà alloué plus de 52 milliards de dollars pour soutenir leur industrie des semi-conducteurs. Des entreprises comme Intel ont annoncé des investissements massifs, bien que certains projets, comme celui de Magdebourg en Allemagne, aient été reportés.
En Asie, Taïwan, la Corée du Sud et la Chine continuent de dominer le marché. La Chine, en particulier, devrait devenir le premier producteur mondial de semi-conducteurs d’ici 2030, avec une part de marché estimée à 22%.
L’UE a certes attiré quelques projets d’envergure, comme la méga-usine de semi-conducteurs en France ou l’usine prévue à Dresde en Allemagne. Mais ces initiatives restent isolées et insuffisantes pour atteindre l’objectif fixé. De plus, la dépendance à l’égard des subventions publiques soulève des questions sur la viabilité à long terme de ces projets.
Vers une révision de la stratégie? Face à ces constats, la Commission européenne prévoit une évaluation formelle du Chips Act d’ici septembre 2026 avec un point d’étape en juin. Des ajustements sont déjà envisagés, notamment l’accélération de certains projets et la proposition d’un troisième projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) dans les technologies avancées de semi-conducteurs. Cependant, sans une coordination plus efficace et des investissements plus conséquents, l’UE risque de rester à la traîne dans cette course technologique cruciale.