Martine Gerber-Lemaire (Dentons Luxembourg). (Photo: Martine Gerber-Lemaire/Dentons Luxembourg)

Martine Gerber-Lemaire (Dentons Luxembourg). (Photo: Martine Gerber-Lemaire/Dentons Luxembourg)

Martine Gerber-Lemaire, Head of Real Estate et Managing Partner chez Dentons Luxembourg, partage ses insights sur les tendances qui façonnent l’avenir du secteur immobilier, à l’occasion du «Paperjam 10x6 – Key Takeaways from Mipim 2025», organisé par le Paperjam Club le mercredi 23 avril.

Face à la crise du logement abordable en Europe, quelles solutions innovantes ont été mises en avant au Mipim et peuvent-elles être appliquées au Luxembourg?

– «Le Luxembourg, explore des solutions innovantes en plus des mesures déjà initiées pour encourager les communes à devenir des promoteurs de logements abordables, en leur offrant notamment des aides financières significatives. Le ministre du Logement, Claude Meisch, a mis en avant l’importance des partenariats public-privé (PPP) pour augmenter l’offre de logements abordables au Luxembourg.

Les leçons tirées des pays limitrophes soulignent les défis à relever, en particulier l’importance de mettre en place un cadre juridique clair et des mécanismes de financement attractifs pour encourager la participation du secteur privé. 

En France, les PPP ont été utilisés pour la production de logements sociaux et abordables. Les structures partenariales incluent des sociétés d’économie mixte (SEM) et des contrats de partenariat public-privé conventionnels. Les SEM, par exemple, permettent une coopération entre les collectivités territoriales et les opérateurs privés pour la construction et la gestion de logements sociaux. Ces structures bénéficient d’avantages fiscaux et de subventions spécifiques, ce qui les rend attractives pour les collectivités locales. Les effets apparaissent toutefois mitigés. Certes, les PPP ont permis d’accélérer la production de logements sociaux et de diversifier les sources de financement. Il n’en demeure pas moins que la complexité des règles de passation des marchés et les contraintes juridiques ont parfois dissuadé les acteurs publics de s’engager dans ces partenariats.  Il nous faut donc un cadre législatif pour les PPP plus souple.

En Belgique, les PPP ont également été utilisés pour accélérer la production de logements publics.  La Société wallonne du logement (SWL) a créé des sociétés d’économie mixte pour faciliter ce processus. Ces sociétés permettent de combiner les ressources publiques et privées pour financer et construire des logements sociaux.  Les PPP en Belgique ont permis de créer des logements plus rapidement en optant pour des procédures de marchés publics allégées, tout en faisant face aux mêmes contraintes que la France en termes de coordination et de gestion de risques.

En Allemagne, le défi majeur a été de réguler sur le long terme la gestion du parc immobilier abordable et de ne pas laisser au privé un champ libre aboutissant à remettre les logements en location pour le privé à l’instar de Deutsche Wohnen à Berlin qui a transformé le parc immobilier public à l’issue de la période stricte de location abordable en une machine à cash privée.

Les PPP devront donc être flexibles, et souples dans leur mise en œuvre mais permettre au pouvoir public de les contrôler sur le long terme.

L’IA transforme-t-elle réellement le secteur immobilier ou en est-on encore aux promesses? Quels sont les cas concrets que vous avez observés?

«L’intelligence artificielle (IA) a commencé à transformer le secteur immobilier de manière significative, bien que certaines promesses soient encore en cours de réalisation. Voici quelques cas concrets où l’IA a déjà un impact tangible :

(a) Évaluations immobilières avancées: les modèles d’IA améliorent les évaluations immobilières en analysant de grandes quantités de données, y compris des données historiques sur les prix, les tendances du voisinage, les conditions actuelles du marché et des données comparables.  Cela permet des évaluations plus précises et efficaces, offrant des mises à jour en temps réel qui reflètent les conditions du marché et des analyses solides pour des décisions d’investissement éclairées.

(b) Analyse des tendances du marché: l’IA est utilisée pour l’analyse des tendances du marché grâce à la reconnaissance des formes et à l’analyse des sentiments.  Les algorithmes d’apprentissage automatique identifient des tendances dans la demande du marché, les mouvements de prix et la popularité de certaines caractéristiques des biens immobiliers.  L’analyse des sentiments évalue le sentiment public à partir des articles de presse, des médias sociaux et d’autres données textuelles, servant d’indicateur principal des tendances du marché.

(c) Maintenance prédictive: l’IA facilite la maintenance prédictive dans la gestion immobilière en analysant les données de maintenance antérieures et les relevés des capteurs des appareils intelligents.  Cette approche proactive prédit les défaillances potentielles de l’équipement avant qu’elles ne se produisent, permettant une maintenance préventive, réduisant les réparations coûteuses et minimisant les temps d’arrêt pour les locataires.

(d) Recherche immobilière assistée par l’IA: des plateformes comme Nextimmo ont lancé des fonctionnalités de recherche immobilière assistée par l’IA, permettant aux utilisateurs d’affiner leurs recherches de manière plus intuitive et précise.  L’algorithme IA analyse en temps réel les préférences des utilisateurs, leurs critères de recherche et les tendances du marché pour suggérer les biens les plus pertinents, simplifiant et accélérant considérablement le processus de recherche immobilière.

(e) Due diligence et analyse du marché: les plateformes pilotées par l’IA comme Square Sense agrègent et analysent les données de l’immobilier commercial, rationalisant le processus de due diligence en offrant des rapports complets sur les propriétés, des données sur les ventes comparables et des analyses de marché.  Cette surveillance en temps réel du marché permet aux fonds d’investissement d’ajuster leurs stratégies en fonction des tendances actuelles du marché.

(f) Optimisation énergétique: les systèmes d’IA optimisent la consommation énergétique des bâtiments en ajustant automatiquement l’éclairage et le chauffage en fonction de l’utilisation réelle des espaces.  Cela permet non seulement de réduire les coûts, mais aussi d’améliorer l’empreinte écologique du bâtiment.

Bien que l’IA fasse des progrès significatifs dans la transformation du secteur immobilier, il reste des défis à relever, tels que la fiabilité des données et la pénurie de professionnels qualifiés. L’adoption de l’IA est progressive, et le marché n’a pas encore totalement confiance dans les modèles pilotés par l’IA. Cependant, les avancées continues et l’apprentissage devraient améliorer la précision et la fiabilité des applications de l’IA au fil du temps.

Face à l’évolution des exigences ESG, comment les investisseurs et promoteurs doivent-ils adapter leurs stratégies pour rester compétitifs?

«L’évolution des exigences ESG (Environnementales, Sociales et de Gouvernance) redéfinit le paysage pour les investisseurs et les promoteurs. Pour rester compétitifs, il est crucial que ces acteurs adaptent efficacement leurs stratégies. Cela implique de comprendre le cadre réglementaire, d’intégrer les critères ESG dans les processus décisionnels et de tirer parti des avantages des pratiques durables.

(a) Comprendre le cadre réglementaire

Les investisseurs et les promoteurs doivent se tenir informés des dernières réglementations et directives ESG. Les principales réglementations incluent le Règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité (SFDR), la Directive sur la Publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et la future Directive sur le Devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D). Ces réglementations obligent les entreprises à divulguer leurs pratiques de durabilité et à garantir la conformité aux normes ESG.

(b) Intégrer les critères ESG

1. Gestion des risques: les cadres ESG aident à identifier, anticiper et atténuer les risques potentiels liés au changement climatique, à la conformité réglementaire, aux pratiques de travail, à la gestion de la chaîne d’approvisionnement et à la diversité. En intégrant ces critères, les entreprises peuvent améliorer leurs stratégies de gestion des risques.

2. Performance financière: les entreprises qui intègrent les facteurs ESG tendent à montrer une meilleure stabilité financière à long terme, une volatilité réduite et une rentabilité accrue. Des recherches menées par la Harvard Business School montrent une corrélation entre une performance élevée en matière de durabilité et de meilleurs résultats financiers.

3. Accès au capital: les investissements axés sur l’ESG sont en hausse, les investisseurs institutionnels et les gestionnaires d’actifs prenant de plus en plus en compte les critères ESG dans leurs décisions d’investissement. L’adoption d’un cadre ESG peut rendre une entreprise plus attrayante pour les investisseurs, élargissant ainsi son accès au capital.

(c) Tirer parti des pratiques durables

1. Innovation et compétitivité: prioriser la durabilité et la responsabilité sociale permet aux entreprises d’identifier les tendances émergentes du marché, d’anticiper les changements réglementaires et de tirer parti de nouvelles opportunités commerciales. Cette approche favorise l’innovation et offre un avantage concurrentiel.

2. Engagement des parties prenantes: les cadres ESG favorisent la transparence, la responsabilité et l’engagement avec les parties prenantes, y compris les employés, les clients, les communautés, les régulateurs et les investisseurs. Cela renforce la confiance et améliore la réputation de l’entreprise.

3. Création de valeur à long terme: les cadres ESG encouragent une perspective à long terme, alignant les stratégies commerciales sur des objectifs de durabilité plus larges. Cette approche crée de la valeur non seulement pour les actionnaires mais aussi pour la société et l’environnement.»