Lionel De Broux, chief investment officer, et Jade Marie Bajai, investment strategist à la Bil. (Photo: BIL)

Lionel De Broux, chief investment officer, et Jade Marie Bajai, investment strategist à la Bil. (Photo: BIL)

Les actions européennes ont retrouvé le devant de la scène en 2025, défiant les attentes et surpassant leurs homologues américaines. L’Europe Stoxx 600 a grimpé d’environ 9% depuis le début de l’année, tandis que le DAX allemand a bondi de près de 16%. Le marché américain, en revanche, est dans le rouge au moment où nous écrivons ces lignes. 

Plusieurs facteurs clés ont alimenté la remarquable ascension des actions européennes, des prémices d’une stabilisation économique aux développements géopolitiques… 

Évolution comparée du S&P 500 (en noir) et de l’Europe Stoxx 600 (en gris). Source: Bloomberg,  BIL , au 5 mars 2025. Données rebasées à 100.

Évolution comparée du S&P 500 (en noir) et de l’Europe Stoxx 600 (en gris). Source: Bloomberg, BIL , au 5 mars 2025. Données rebasées à 100.

L’administration américaine se distancie des droits de douane universels

L’absence d’imposition immédiate de droits de douane lors de la prise de pouvoir de Donald Trump a été l’un des grands catalyseurs de ce rebond, le Canada, le Mexique et la Chine étant les premiers pays visés. Lorsqu’il s’est avéré plus tard que l’Europe n’y échapperait pas, les marchés ont malgré tout trouvé du réconfort dans la préférence de la Maison-Blanche pour une approche ciblée fondée sur la «réciprocité» au lieu de droits de douane universels généralisés.

Dans la mesure où le différentiel des tarifs douaniers de l’UE avec les États-Unis se situe tout juste à 1,2%, cette proposition semble gérable. On notera toutefois que le Département du commerce se réserve le droit d’inclure également dans ses calculs des barrières non douanières, telles que la TVA. Le cas échéant, l’Europe pourrait devoir faire face à des restrictions commerciales plus sévères.

Pour l’heure, toutefois, les marchés demeurent dans l’expectative et tentent tant bien que mal de distinguer la posture politique des réels changements.

L’optimisme économique en hausse

Le sentiment croissant que les indicateurs économiques ont atteint leur plus bas niveau contribue également à la dynamique actuelle. Des mesures clés telles que l’enquête du ZEW, l’indice IFO en Allemagne et l’indicateur de sentiment économique de la Commission européenne, montrent toutes les premiers signes d’une reprise. Qui plus est, un début de rebond des PMI (Indice des directeurs d’achat) du secteur manufacturier suggère que le cycle économique pourrait avoir enfin atteint son point bas.

Si ces données subjectives (sondages) se veulent encourageantes, le véritable test se situe au niveau des données réelles. La production industrielle, l’investissement des entreprises et les dépenses de consommation doivent suivre cette embellie du sentiment pour qu’une reprise durable se confirme.

On notera aussi que l’Allemagne, qui faisait jadis figure de locomotive économique de la zone euro, montre également de timides signes d’éclaircie. Son indice PMI Composite est remonté en territoire expansionniste après avoir passé la majeure partie de 2024 dans la zone rouge. Les résultats des dernières élections ont dopé l’optimisme concernant la relance budgétaire; la nouvelle coalition n’a pas de temps à perdre pour revitaliser la croissance.

Développements géopolitiques

La guerre en Ukraine a constitué une menace majeure pour les actions européennes ces trois dernières années, poussant de nombreux investisseurs à sous-pondérer la région. La perspective d’un cessez-le-feu potentiel a dans un premier temps fait revenir les investisseurs les plus réactifs sur le marché, dans l’espoir d’une baisse des primes de risques sur les actions européennes, d’un regain de confiance et, au final, d’une accélération de la croissance économique. Des acteurs institutionnels plus importants commencent seulement à reconsidérer leurs expositions. Si les grands gérants d’actifs mondiaux adoptent progressivement un positionnement plus neutre sur l’Europe, cela pourrait suffire à inonder les marchés de liquidités, et à alimenter encore davantage le rebond.

Un secteur en particulier s’est fortement redressé en Europe: la défense. Face au refus américain de fournir des garanties de sécurité concernant l’Ukraine, le changement radical de la politique budgétaire européenne pourrait bien changer la donne pour le bloc. 

Les risques susceptibles de faire dérailler la reprise européenne

En dépit d’un optimisme renaissant, différents risques majeurs pourraient encore enrayer la reprise et ébranler la confiance des investisseurs.

Tout d’abord, l’avenir des échanges commerciaux demeure imprévisible. Donald Trump a évoqué une taxe de 25% sur les «voitures et d’autres choses», ravivant les craintes d’un nouveau conflit commercial transatlantique. Si un tel scénario venait à se matérialiser, il pourrait perturber les chaînes d’approvisionnement, miner la fragile reprise du secteur manufacturier européen et peser sur les bénéfices des entreprises.

S’agissant des développements géopolitiques, un accord de paix en Ukraine est loin d’être acquis, et même s’il se concrétise, son impact économique demeure incertain. Si certaines entreprises européennes sont susceptibles de tirer parti de la reconstruction de l’Ukraine, la charge financière qui l’accompagne pourrait peser sur les finances publiques des États de l’UE et absorber des fonds destinés aux investissements dans les infrastructures, la numérisation et d’autres projets créateurs de valeur.

Et bien que la guerre en Ukraine ait été le catalyseur de la crise énergétique en Europe, celle-ci ne disparaîtra pas du jour au lendemain à la faveur d’un accord de paix. À ce stade, une reprise totale des flux énergétiques russes semble peu probable. Les entreprises européennes pourraient dès lors continuer de faire face à des coûts énergétiques plus élevés que leurs homologues américaines, et grevant leur compétitivité.

Enfin, n’oublions pas que la BCE est elle aussi toujours engagée dans un délicat numéro d’équilibriste. Alors que les marchés intègrent deux baisses de taux supplémentaires cette année, une menace plane toujours sur la campagne d’assouplissement de l’institution de Francfort. Si la Fed est contrainte de maintenir ses taux à des niveaux plus élevés à plus long terme, la BCE ne dispose en effet pas d’une telle marge de manœuvre, au risque d’affaiblir la monnaie unique (avec à la clé une possible poussée d’inflation).

L’Europe, le juste équilibre?

Bien que des risques persistent, l’évolution du sentiment est indéniable, et si les fondamentaux continuent de s’améliorer, les actions européennes pourraient en effet encore progresser.

De nombreux investisseurs commencent seulement à reconsidérer leurs expositions, ce qui, conjugué au fait que les valorisations restent bon marché en termes relatifs, suggère qu’un potentiel haussier est toujours bien présent.

Pour éviter que le soufflé ne retombe, trois ingrédients doivent toutefois être réunis:

- les données économiques réelles doivent confirmer l’optimisme perçu à travers les enquêtes de sentiment;

- la BCE doit continuer à baisser ses taux d’intérêt;

- la dynamique bénéficiaire doit se poursuivre.

Aucun de ces facteurs n’est garanti, alors que les cours reflètent déjà une bonne partie du potentiel haussier.

Lorsque l’on mange un gâteau, on nous avertit parfois «un moment sur les lèvres, une éternité sur les hanches». Les investisseurs en quête d’une part plus grande du gâteau européen dans leur portefeuille penseront donc aussi au long terme, plutôt que d’espérer des gains faciles et rapides. Chacun sait à quel point il est difficile de prédire le point d’entrée idéal et la marge de fluctuation des marchés reste relativement importante, même si l’économie européenne a réellement atteint un plancher.