Comment analysez-vous l’évolution du marché immobilier au cours de ces trois dernières années?
Romain Muller. – «Le sujet numéro un est bien entendu le logement qui fait pleinement partie du socle de l’économie luxembourgeoise. Si le logement ne fonctionne pas, nous perdons de l’attractivité par rapport à d’autres pays. Par le passé, le déséquilibre entre l’offre et la demande a fait que les prix ont fortement augmenté. Et ce principalement pour deux raisons : le coût du foncier et les coûts de construction qui ont continuellement augmenté ces dix dernières années.
Puis tout le marché a été freiné par l’augmentation des taux d’intérêt. Aujourd’hui, la capitalisation des banques au Luxembourg est devenue un sujet préoccupant. Leur frilosité à accorder des crédits, que ce soit aux promoteurs ou aux particuliers, est un véritable frein. Les banques locales suivent de manière rigide les recommandations de la BCE. La France et la Belgique sont beaucoup plus souples, avec des taux d’intérêt plus favorables.
Par conséquent, certains promoteurs luxembourgeois font le choix de développer des projets immobiliers résidentiels non plus dans le pays, mais à la frontière belge ou française, car on y trouve les salaires luxembourgeois pour les acheteurs et des conditions bancaires plus favorables. Les marges de développement y sont supérieures et les exigences de construction souvent moins élevées.
Alors que, ces dernières années, on a vu plutôt l’effet inverse, des promoteurs et développeurs étrangers, belges notamment, qui développaient des antennes au Luxembourg.
«Oui, mais aujourd’hui pour le résidentiel, c’est le mouvement inverse. Actuellement, les taux d’intérêt commencent à diminuer, ce qui est une bonne chose, même s’ils restent plus chers qu’en France et en Belgique. Là où on a toujours un sujet, ce sont les prêts pour les ventes en futur état d’achèvement (Vefa) et le financement d’un crédit relais sur une Vefa. En 2008, les banques ont été soutenues quand elles ont traversé la crise, mais aujourd’hui, elles ne font pas d’effort pour soutenir le secteur de la construction.
Est-ce que LuxReal a interpelé l’ABBL à ce sujet?
«Oui, nous avons échangé à plusieurs reprises avec Jerry Grbic. Cela a permis notamment un assouplissement des conditions d’accès au SPV Prolog.
Les difficultés rencontrées avec certaines faillites de sociétés de promotion ont mis au jour des questions complexes liées aux garanties d’achèvement et/ou de remboursement dans le cadre des Vefa, notamment avec l’exclusion de la quote-part terrain de la garantie. C’est aussi un des freins à l’obtention des financements bancaires, car les risques sont jugés trop forts.
«Oui, cela devrait être une obligation imposée par le gouvernement que la garantie d’achèvement, qui peut être transformée en garantie de remboursement, inclue aussi le terrain. Si on veut protéger les acquéreurs et donner de la confiance pour les Vefa, il faut légiférer là-dessus et créer un cadre légal adéquat et contraignant.

Romain Muller: «C’est certainement dans le développement mixte qu’il y a le plus d’opportunités pour les investisseurs, avec des projets qui comprennent du coliving, des espaces de bureaux, des services et commerces.» (Photo: Eva Krins/Maison Moderne)
Au Luxembourg, l’immobilier de bureaux est un autre marché très important, qui a aussi été secoué récemment. Quelle est votre analyse?
«Le marché a été touché tout d’abord par l’absence des investisseurs. Avec l’augmentation des taux d’intérêt, les taux de rentabilité souhaités par les acquéreurs étaient nettement plus hauts que ceux proposés par les vendeurs, ce qui a créé un immobilisme. Aujourd’hui, les projets sur le marché sont ceux de promoteurs qui ont acheté des terrains entre 2019 et 2021, au plus haut de la courbe des prix, mais avec des taux bas. Maintenant que les taux ont remonté, ils se retrouvent avec un business plan qui ne tourne pas, même en ayant signé un contrat de bail à long terme.
Donc nous sommes dans une situation d’attente que le taux de capitalisation remonte (le taux de capitalisation est le rapport entre les revenus perçus au titre de la location d’un immeuble et sa valeur vénale, ndlr). Ce qui est en train d’arriver, puisqu’à l’échelle européenne le taux était autour de 1,5 % et nous sommes de nouveau plutôt à 4 % dans plusieurs villes. Généralement, Luxembourg est un marché qui freine tôt et qui reprend tard par rapport aux autres capitales européennes. Nous allons encore subir une certaine inertie, mais c’est en train de s’améliorer. D’ici six mois à un an, nous allons revoir des taux de capitalisation meilleurs.
Le Luxembourg ne conserve-t-il pas un atout pour l’immobilier de bureaux qui est une présence des équipes au bureau plus importante que dans d’autres pays ?
«Si, tout à fait. Le système de la double imposition fait que nous sommes limités dans la possibilité de faire du télétravail, assurant de fait une certaine occupation physique des bureaux et donc un besoin en surfaces. C’est bien aussi pour fédérer l’intégration des jeunes talents, la communication à l’intérieur des sociétés et soutenir le business entre les départements. La compétitivité du Luxembourg par rapport à l’étranger est renforcée par cette présence des employés, car la qualité de service est accrue. Cela bénéficie aussi à l’économie locale à travers des achats effectués au Luxembourg pendant le temps de présence des salariés.
À cela, il faut ajouter une croissance d’occupation et donc des demandes de surface. Il y a aussi une demande pour des bureaux de meilleure qualité, répondant aux critères ESG des entreprises, ou des surfaces mieux desservies par les transports en commun. Les immeubles placés sur le tracé du tram, par exemple, ont pris beaucoup de valeur.
Où se trouvent actuellement les opportunités d’investissement en matière d’immobilier au Luxembourg ?
«C’est certainement dans le développement mixte qu’il y a le plus d’opportunités pour les investisseurs, avec des projets qui comprennent du coliving, des espaces de bureaux, des services et commerces. Il y a aussi un marché assez important au niveau des maisons de retraite et en particulier les résidences où il est possible d’acheter son propre appartement, comme une copropriété dans une maison de retraite, organisée avec une société de service.
C’est un produit qui n’existe pas encore au Luxembourg et pour lequel il faut créer le cadre légal pour en permettre le développement. Tout comme pour le coliving qui manque encore de solidité. Quand on parle de ce type de projet dans une due diligence avec des avocats, ils confirment que c’est aujourd’hui toléré, mais que c’est encore un cas fragile. Les cadres légaux sont parfois trop en retard par rapport à la réalité du marché. Nous avons des promoteurs qui souhaitent se lancer dans ce genre de constructions, on a de l’intérêt de la part des investisseurs, la demande est là, mais le cadre légal n’est pas en phase.
« Il faudrait aussi rendre le marché résidentiel accessible aux investisseurs institutionnels.
Le Luxembourg peut-il encore rester une place stratégique sur le marché de l’investissement à l’échelle européenne?
«Absolument. Les investisseurs ont gardé un fort intérêt pour le Luxembourg, même si des choses ont changé ces dernières années. Grâce à la stabilité politique et un contexte social favorable, les investisseurs internationaux continuent de regarder attentivement le marché luxembourgeois. Beaucoup de fonds investissent à travers la planète en étant basés au Luxembourg.
Intialement, ces fonds sont venus ici pour le régime fiscal favorable, les accords sur la double imposition ou encore la flexibilité réglementaire, mais au fur et à mesure des années ils ont eu envie d’avoir aussi de l’investissement immobilier au Luxembourg. Ils ont alors regardé le Luxembourg autrement que comme une place financière qui a des compétences pour la gestion de leurs fonds, mais aussi comme un pays qu’ils apprécient et où ils souhaitent avoir des assets. C’est un développement vraiment intéressant à observer.
Au vu des secousses que connaissent actuellement l’immobilier de bureau et le marché résidentiel neuf, est-ce que d’autres marchés immobiliers se développent au Luxembourg, comme la logistique?
«Développer de la logistique est un marché très spécifique. JLL a réalisé une grosse transaction récemment avec MG Real Estate et Vodafone pour leur nouveau centre logistique à Bettembourg. Mais peu d’acteurs européens sont dans ce milieu-là et il faut aussi avoir un certain cadre législatif pour permettre ce type de développement.
Nous avons une carte à jouer par rapport aux réseaux européens, notamment avec le réseau ferroviaire, mais nous manquons de foncier accessible pour ce type de développement. La logistique nécessite des sites sécurisés, avec des règles incendie fortes, ce qui les rend difficilement combinables avec d’autres occupations. Le ministère de l’Économie devrait essayer de trouver des terrains pour ces développements, qui ont du succès, car il y a de la demande. Mais il faut que le gouvernement pilote ce genre de terrain, car les communes ne vont pas le faire.
Est-ce que des solutions de financement alternatif émergent?
«La nouvelle réglementation Bâle IV est un sujet depuis janvier. Des banquiers m’ont confirmé que cela va être de plus en plus difficile pour les promoteurs de financer des projets en blanc, car ils vont être plus limités dans leurs financements. À nouveau, c’est un problème de capitalisation des banques et d’inadéquation par rapport à la taille du pays. Il y a bien les financements mezzanine (prêts subordonnés à moyen terme, généralement de 7 à 10 ans, ndlr), mais qui sont généralement chers, avec des taux de 15 à 20% par an. Une autre possibilité est de convaincre des personnes privées fortunées de prêter leur argent pendant une durée donnée à un taux d’intérêt entre 8 et 10 % en fonction du risque. Mais ce sont des financements qui coûtent cher et qui réduisent la marge.
On ne peut pas exclure l’impact géopolitique, mais si rien de négatif n’arrive dans les prochains mois, nous devrions sortir du creux de la vague.
Sommes-nous au point de bascule vers une nouvelle ère immobilière ?
«On ne peut pas exclure l’impact géopolitique, mais si rien de négatif n’arrive dans les prochains mois, nous devrions sortir du creux de la vague. D’ici environ six mois, le marché devrait repartir. L’indice de confiance des consommateurs remonte aussi, ce qui est un signe encourageant. Un certain nombre de personnes ont été prudentes sur leurs dépenses ces dernières années et aujourd’hui elles ont envie d’investir. La crise du Covid et la guerre en Ukraine ont fait prendre conscience de plusieurs paramètres et ont incité des changements de comportement et de consommation. Cela se ressent dans les choix immobiliers, avec une attention plus soutenue à la consommation des énergies et un changement dans le rapport à la propriété.
On remarque en effet que les jeunes générations sont majoritairement moins attachées à la propriété, qu’elles considèrent plus le logement comme un service et moins comme un investissement, qu’elles sont plus nomades.
«Beaucoup de jeunes voient effectivement le logement comme une nécessité pour s’assurer un toit, mais aussi comme un fort risque de stress financier. Ils vont donc privilégier des surfaces plus petites pour s’assurer un pourcentage de dette plus raisonnable. Et comme la possession d’une voiture n’est plus systématique, ils privilégient les logements accessibles en transports en commun. Ce qui représente un challenge pour nos villages qui sont souvent mal desservis.

Romain Muller: «Avec des family offices qui sont devenus plus forts. Il y a donc d’autres accès au financement à travailler pour nos acteurs.» (Photo: Eva Krins/Maison Moderne)
En plus des dispositions mises en place récemment par le gouvernement pour soutenir le secteur, voyez-vous d’autres initiatives qui doivent encore être enclenchées pour améliorer la situation?
«Le retour de la TVA à 3% pour les investisseurs serait une très bonne chose, car cette mesure pourrait avoir un impact fort sur le marché de l’investissement. Il faudrait aussi rendre le marché résidentiel accessible aux investisseurs institutionnels. On se dit capitale européenne, mais on fait encore beaucoup de choses comme dans un village.
Nous sommes la deuxième place au monde pour les fonds d’investissement et, d’un autre côté, nous devons dire non aux investisseurs institutionnels qui souhaitent placer leur argent sur les assets locaux, car nous protégeons le marché pour les résidents qui souhaitent acheter pour leur utilisation propre. Si on veut être professionnels, il faut l’être sur tous les sujets. Et l’investissement dans le logement a, par ricochet, des conséquences positives sur le prix des loyers demandés. Le gouvernement devrait créer des cadres adaptés pour les investisseurs institutionnels et permettre aux jeunes de se loger à l’intérieur du pays.
Avec le ralentissement de la construction, il y a aussi le risque de la fuite de la main-d’œuvre. Comment réagissent les membres de LuxReal à ce risque?
«Nos membres essaient par tous les moyens que le ralentissement du marché de la construction résidentielle soit rééquilibré par les investissements publics, afin d’occuper le plus possible les équipes.
Si, demain, vous aviez la possibilité de rédiger un document que vous remettriez au gouvernement, qu’y aurait-il tout en haut de la liste de vos souhaits?
«Ce serait l’investissement institutionnel. À partir du moment où le promoteur a son permis de construire, un investisseur institutionnel peut être en mesure d’acheter tout le programme. Ce qui évite le problème d’invendus et les difficultés de financement pour lancer la construction.
Mais on a vu dans d’autres villes en Europe que le fait d’avoir des investisseurs institutionnels dans le logement pouvait aussi devenir un risque en ajoutant une pression supplémentaire sur les prix de vente, en augmentant régulièrement les loyers pour maximiser le rendement, ou encore créer une déconnexion avec les besoins locaux…
«Si ce n’est pas réglementé, oui, mais on peut y mettre un cadre, dire que l’investisseur institutionnel peut acheter avec des avantages fiscaux – l’amortissement accéléré, une TVA réduite à 3%, etc. – sous condition d’avoir un certain seuil de loyer et pour un certain nombre de lots. Ces investisseurs ne pourraient avoir accès qu’aux développements de grande envergure, ceux qui posent aujourd’hui des difficultés aux développeurs. On peut couvrir les besoins du marché en permettant la création de logements pour le marché locatif et aider les promoteurs avec les grands programmes qui n’existaient presque pas il y a une dizaine d’années.
Il y a donc une structuration du marché résidentiel désormais différente dans sa typologie qui permettrait l’entrée d’investisseurs institutionnels.
«Absolument. Le marché a évolué. Aujourd’hui, les programmes en construction permettent de s’adresser aux investisseurs institutionnels et leur entrée dans les projets soulagerait les développeurs en leur évitant des financements bancaires, frais qui sont répercutés sur les prix de vente des appartements.
Quelles sont les attentes du secteur pour ce Mipim ?
«Nouer de nouveaux contacts, notamment avec des investisseurs qui pourraient entrer tôt dans les projets pour porter la partie financière et ainsi profiter d’avoir un rendement plus élevé. Mais aussi dans le secteur financier, car ce marché s’est restructuré récemment, avec des family offices qui sont devenus plus forts. Il y a donc d’autres accès au financement à travailler pour nos acteurs. Ces foires permettent aussi de rencontrer des professionnels actifs sur d’autres marchés européens et de sentir les tendances. Cela donne une direction vers laquelle Luxembourg pourrait aller dans les trois, six ou neuf mois à venir.»
LuxReal
Créée en 2009, LuxReal est une association qui rassemble tous les professionnels liés à l’immobilier au Luxembourg. Sa mission est d’être un think-thank-network pour discuter des tendances de l’industrie, renforcer le secteur à travers des groupes de travail, encourager l’excellence professionnelle, générer des opportunités de croissance et représenter les intérêts des membres. Aujourd’hui, LuxReal rassemble plus de 320 membres allant des développeurs aux investisseurs en passant par les architectes, les entreprises de construction ou de service (avocat, audit, taxes). LuxReal organise aussi régulièrement des événements et des conférences.
Bâle IV
Bâle IV (ou Bâle III Endgame) est un accord international qui vise à renforcer la stabilité du système financier. Cela passe par un durcissement de l’évaluation des risques par les banques, obligeant certains établissements à augmenter leur couverture en fonds propres. Le financement de la promotion immobilière et de la construction neuve est impacté par cette évolution, car l’obtention de crédit peut se retrouver plus limitée.
Événement: Mipim 2025
Le salon du Mipim se tient tous les ans à Cannes en France. C’est un des grands rendez-vous européens pour le secteur de l’immobilier. Luxembourg y participe à travers l’organisation d’un stand national, coordonné par la Chambre de commerce. Une réception est organisée sur le stand du Luxembourg le 12 mars. Paperjam et LuxReal y seront également présents.
Du 11 au 14 mars,
Le Paperjam Club organise un , le 23 avril.
Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de , parue le 26 février. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
Votre entreprise est membre du Paperjam Club? Vous pouvez demander un abonnement à votre nom. Dites-le-nous via