Le secteur de l’industrie, notamment manufacturière, a des défis à combattre face à l’urgence climatique.  (Photo: Shutterstock)

Le secteur de l’industrie, notamment manufacturière, a des défis à combattre face à l’urgence climatique.  (Photo: Shutterstock)

Parmi les nombreuses problématiques auxquelles les entreprises industrielles doivent faire face, celle de la décarbonation est un sujet majeur. Au-delà des ambitions nationales et européennes, beaucoup d’industriels prennent les devants. Tour d’horizon.

Selon le bilan provisoire des émissions de gaz à effet de serre de l’année 2023 publié fin juillet par le ministère de l’Environnement, du Climat et de la Biodiversité, le secteur des industries au sens large (manufacturières, de l’énergie et de la construction) a émis 533 tonnes de gaz à effet de serre, en hausse de 30,7% sur an, alors que l’objectif de réduction fixé à ce secteur pour 2030 comparé aux émissions de 2005 est de diminuer de 45%. Le secteur de l’industrie, notamment manufacturière, s’il n’atteint pas des taux d’émissions comme les transports (4.096 tonnes de CO2), a toutefois des défis à combattre face à l’urgence climatique.

En la matière, Peintures Robin, qui fêtera ses 100 ans en 2027, fait partie des entreprises luxembourgeoises pionnières. «Notre site de production est basé à Useldange, la rivière coule juste à côté donc une de nos priorités a toujours été le respect de ce bel environnement», explique Catherine Heinrichs, directrice RH & QHSE, qui a commencé sa carrière au sein de l’entreprise il y a 26 ans.

Nous avons des clients qui sont suffisamment responsables et qui sont prêts à payer un petit peu plus pour la qualité d’un acier décarboné.
Henri Reding

Henri Redingcountry managerArcelorMittal Luxembourg

«Depuis plus de 25 ans, nous avons décidé de supprimer et substituer au fur et à mesure les produits dangereux par des produits plus respectueux de la santé et de l’environnement. Au début des années 2000, parallèlement à la reconstruction de l’usine, nous avons mis au point une gamme de produits à l’eau pour remplacer la gamme de produits à base de solvants aux propriétés équivalentes, notamment des primaires et laques pour diverses applications sur tous supports (bois, métal…). Actuellement, pour les particuliers, nous ne vendons plus que des  produits à base d’eau. L’objectif à terme de l’entreprise est même de sortir de l’ère fossile pour ne produire qu’avec du renouvelable; nous développons depuis plus d’une dizaine d’années notre gamme Robingreen, dont le premier produit, le Verdello, peinture mate murale, est fabriqué à base de 100% de matières premières biosourcées», précise Catherine Heinrichs.

Peintures Robin, qui emploie plus de 100 personnes, a réalisé un chiffre d’affaires supérieur à 30 millions d’euros en 2023 et produit environ 4.000 tonnes de peinture par an, l’entreprise vend 65% de ses produits au Luxembourg. «Notre mot d’ordre est: pour les particuliers pas de danger, et pour les professionnels : interdiction d’entrées de nouveaux CMR (pictogramme qui identifie des agents chimiques cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, ndlr) et recherche permanente de solutions conformes à nos valeurs d’écologie, de sécurité et de santé.»

SDK et Luxinnovation

Peintures Robin a notamment remporté quatre fois le Prix de l’environnement de la Fedil. La dernière fois, fin 2021, avec le produit RobinLoop issu du recyclage de peintures et laques provenant des centres de tri de la SuperDrecksKëscht (SDK). La SuperDrecksKëscht est un acteur public incontournable depuis plus de trente ans dans la gestion des déchets et a «deux missions principales: conseiller les entreprises et les labelliser, et collecter des déchets spécifiques ou problématiques», explique Romaine Stracks, coordinatrice adjointe pour les activités complémentaires et conseillère pour entreprises à la SDK. En 2023, près de 3.500 entreprises avaient obtenu le label SDK fir Betriber.

Autre acteur public qui soutient les entreprises dans la transition énergétique et le développement durable: Luxinnovation, à travers plusieurs de ses clusters. «La crise énergétique est un des grands défis de manière générale pour les industriels aujourd’hui. Le prix de l’énergie et donc le défi financier de pouvoir payer les factures sont un gros problème pour les entreprises et en particulier celles du secteur de l’industrie, car elles sont souvent énergivores», confirme Caroline Muller, manager du cluster Materials & Manufacturing.

Lorsque les entreprises se lancent dans la transition énergétique, cela représente également souvent de lourds investissements, mais sont-ils forcément rentabilisés? «Cela dépend de l’investissement. Changer sa chaudière, par exemple, peut être relativement rapide, mais quand on investit dans l’installation de panneaux photovoltaïques ou d’éoliennes, l’amortissement sera forcément beaucoup plus long. Pour les PME, qui constituent la majeure partie des entreprises industrielles du pays, elles sont beaucoup plus mitigées que de grands groupes comme ArcelorMittal. Elles démarrent souvent par des mesures d’isolation. Une société qui utilise des fours, par exemple, va devoir gérer les déperditions de chaleur et avant d’investir dans un nouveau four électrique qui consommerait beaucoup d’énergie, en plus de constituer un coût important, l’entreprise sera déjà tentée d’investir dans l’isolation du four», poursuit Caroline Muller.

Le secteur des industries au sens large au Luxembourg (manufacturières, de l’énergie et de la construction) a pour objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 45% en 2030 par rapport aux émissions de 2005. (Visuel: Maison Moderne)

Le secteur des industries au sens large au Luxembourg (manufacturières, de l’énergie et de la construction) a pour objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 45% en 2030 par rapport aux émissions de 2005. (Visuel: Maison Moderne)

Pour soutenir ces entreprises, le gouvernement a mis en place, depuis le 1er janvier 2024, un nouveau régime de bonification d’impôt pour investissement. Mesure qui vise à soutenir les entreprises dans la transformation digitale et la transition environnementale de leurs activités. La nouvelle mesure permet aux entreprises de bénéficier, sous certaines conditions, d’une bonification d’impôt à hauteur de 18% des investissements et des dépenses d’exploitation qu’elles supportent pour accompagner leur transformation digitale ou réduire leur impact environnemental.

«Pour beaucoup de PME, la priorité est simplement de garder leurs clients et de rester compétitives notamment à travers la maîtrise de leur consommation énergétique. Cela passe, entre autres, par l’utilisation de capteurs, de technologies intelligentes, de logiciels de suivi de consommation… Ce sont des investissements mesurés qui ont déjà un vrai impact», complète Charles-Albert Florentin, manager du cluster CleanTech. «À l’avenir, d’autres thématiques seront intéressantes à approfondir telles que la réutilisation de l’eau, la récupération de chaleur fatale, la géothermie…, il y a du potentiel à de nombreux niveaux. Le recyclage du béton est également un sujet d’actualité. Une étude a été commanditée sur cette question au Luxembourg en vue d’évaluer l’opportunité de produire du béton recyclé dans le pays.» Chaque mètre cube de béton libère environ 280 kilogrammes de CO2.

ArcelorMittal sur tous les fronts

Huitième employeur du pays au 1er janvier 2024, ArcelorMittal (dont le siège social est aussi au Grand-Duché) possède un effectif de 3.520 personnes sur le territoire et est un des principaux producteurs mondiaux de produits longs, tels que les poutrelles et les palplanches en acier. «Notre quotidien reste de développer nos produits, notre productivité pour rester compétitifs sur le marché, en améliorant les coûts et la qualité. Mais l’environnement dans sa globalité est devenu une de nos priorités ces dernières années également», confie Henri Reding, country manager d’ArcelorMittal Luxembourg.

Le groupe investit à la fois pour réduire ses émissions de CO2 – ArcelorMittal Long Products Luxembourg a par exemple annoncé en janvier 2024 un investissement de 17,6 millions d’euros pour réduire ses émissions diffuses de poussières à Differdange de 80% – mais aussi pour produire de manière plus responsable et écologique. Les sites ArcelorMittal Long Products Luxembourg, Belval, Differdange et Rodange ont notamment vu leur certification ResponsibleSteel renouvelée l’été dernier. Dans le cadre de sa démarche de décarbonation, ArcelorMittal Luxembourg a aussi confirmé en 2023 son projet d’investir dans un nouveau four à arc électrique sur son site Long Products Luxembourg de Belval, «d’un investissement total de 100 millions d’euros, avec le soutien du ministère de l’Économie».

Et c’est à Differdange que seront fondus les anneaux olympiques pour être transformés en poutrelles pour le siège mondial d’ArcelorMittal en construction au Kirchberg. «Au Grand-Duché, notre production d’acier s’appuie à plus de 95% sur de la ferraille recyclée et pour nous c’est le meilleur acier décarboné que l’on puisse trouver. Son prix est un peu plus cher que l’acier classique, de l’ordre de 5%, nous avons des clients qui sont aussi suffisamment responsables et qui sont prêts à payer un petit peu plus pour cette qualité. Cela représente environ 7% de notre production (140.000 tonnes sont produites chaque année au Luxembourg, ndlr), un chiffre qui a doublé en un an», poursuit Henri Reding.

Quels que soient leur taille, leur effectif ou leur chiffre d’affaires, toutes les entreprises industrielles du pays sont donc confrontées aux mêmes problématiques liées au climat ou à l’environnement, avec le défi de rester compétitives face à leurs concurrentes européennes et mondiales.

Un sujet majeur pour ArcelorMittal

«Notre quotidien reste de déve­lopper nos produits, notre productivité pour rester compétitifs sur le marché, en améliorant les coûts et la qualité. Mais l’environ­nement dans sa globalité est devenu une de nos priorités ces dernières années également», explique Henri Reding, country manager d’ArcelorMittal Luxem­bourg. Pour preuve, un rapport dédié au dévelop­pement est même publié chaque année côté Grand-Duché depuis 2020.

Une production 100% électrique

ArcelorMittal est engagé vers la neutralité carbone à l’échelle du groupe d’ici 2050, avec pour objectif intermédiaire d’atteindre une réduction des émissions de CO2 de 35% d’ici 2030 en Europe et de 25% dans le monde. Le nombre de projets entrepris tous les ans est vaste et varié. Par exemple, depuis 1997, la production d’acier brut au Luxembourg est 100% électrique. 98% de la matière première utilisée dans ses aciéries est issue du recyclage de déchets métalliques et l’électricité utilisée pour faire fonction­ner les fours est principa­lement d’origine décar­bonée. Le site de Bissen a, de son côté, pour ambition de devenir d’ici 2026 la première usine entièrement verte de la filiale «WireSolutions» du groupe: vert, productif, rentable.

Un parc solaire à Differdange

ArcelorMittal centre logistique euro­péen (AMCLE) à Differdange a également annoncé accueillir l’un des plus grands parcs solaires du pays avec plus de 8.600 panneaux photovol­taïques sur sa toiture, couvrant 37.500m2 de surface. «AMCLE sera ainsi auto-suffisant en électricité et le surplus sera en priorité consommé par les instal­lations industrielles d’Arcelor­Mittal au Luxembourg», explique le site du groupe. Et sachant que le secteur de l’acier est le plus grand émetteur industriel de CO2, en produisant 7% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, le groupe poursuivra ses efforts dans les années à venir.

La gestion de l’eau, un autre enjeu-clé

«Au Luxembourg, comme ailleurs, les ressources en eau sont sous pression sous l’effet combiné du changement climatique et de la croissance démographique», explique Luxinnovation. «Mieux gérer et, surtout, mettre en place des démarches de réutilisation des eaux usées, devient une nécessité pour réduire la pression sur les eaux souterraines et de surface. On estime qu’en Europe, 40% des eaux usées industrielles pourraient être réutilisées.»

C’est autour de ces thématiques qu’une quarantaine d’experts se sont retrouvés, le 10 décembre dernier, à l’occasion d’un workshop d’idéation organisé par Luxinnovation, en partenariat avec le consortium de partenaires du projet Interreg Greater Green +. «Ce qui est ressorti des discussions, c’est que techniquement, tout existe déjà. Mais les retours sur investissement de tels processus de réutilisation des eaux usées sont encore trop incertains, voire lointains, pour susciter un intérêt immédiat. Pourtant, il va bien falloir se préoccuper de la question», résume Caroline Muller, manager du cluster Materials & Manufacturing.

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de parue le 29 janvier. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.  

 

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