Les marchés mondiaux ont accusé le coup après l’annonce par le président américain Donald Trump de , allant de 10% à 50%, sur les importations en provenance de plus de 100 pays. Paul Jackson, d’Invesco, souligne que ces droits de douane – fondés sur des calculs erronés – sont fondamentalement malavisés et pourraient alimenter l’inflation, menaçant ainsi la stabilité économique tant nationale qu’internationale. Dans une interview accordée à Paperjam le 3 avril, il souligne que le marché boursier américain subissait déjà des pertes immédiates et tangibles.
Raisonnement économique erroné
Paul Jackson estime que la justification sous-jacente de ces droits de douane est profondément erronée. Il affirme que certains décideurs politiques américains pensent à tort que les déficits commerciaux existent parce que les pays étrangers «trichent», alors qu’en réalité, ces déficits reflètent un déséquilibre entre l’épargne et l’investissement nationaux. Selon lui, un moyen efficace de réduire le déficit commercial serait d’augmenter l’épargne nationale, même si cela ralentirait la croissance économique. À l’inverse, les droits de douane créent des pressions inflationnistes tout en perturbant les relations commerciales mondiales.
Il remet en question la méthodologie utilisée pour le calcul des droits de douane, la qualifiant d’arbitraire et d’économiquement bancale. Il exprime également ses préoccupations quant au fait que l’administration américaine conçoit des «» basés sur les droits de douane étrangers existants, mais en s’appuyant sur des méthodes douteuses pour établir ces chiffres.
Les marchés reflètent ces incertitudes. Les contrats à terme sur les actions américaines indiquent de nouvelles baisses, tandis que le moral des consommateurs se détériore. L’indice de confiance des consommateurs de l’université du Michigan met en lumière des inquiétudes croissantes liées à l’inflation, la confiance ayant reculé pour le troisième mois consécutif. Jackson observe que les ventes d’automobiles aux États-Unis atteignent un pic en mars, les consommateurs se précipitant pour acheter des véhicules avant l’entrée en vigueur des hausses de prix liées aux droits de douane. Il indique également que les importations aux États-Unis augmentent fin 2024 et début 2025, ce qui pourrait peser négativement sur les chiffres du PIB au premier trimestre. Parallèlement, les dépenses de consommation montrent des signes de faiblesse, les ventes au détail ayant reculé en janvier.
Stratégie de l’UE
L’Union européenne exprime son intention de privilégier la négociation avant de mettre en œuvre des mesures de rétorsion. Elle accorde ainsi un délai de quatre semaines avant d’imposer des droits de douane sur les importations d’automobiles américaines. Selon Paul Jackson, ce délai poursuit un double objectif : permettre à l’UE de contester les calculs erronés à l’origine de ces droits de douane, tout en laissant à l’administration américaine le temps d’en ressentir les conséquences économiques directes.
Il souligne qu’un malentendu courant dans la politique commerciale américaine réside dans la croyance erronée que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) européenne fonctionnerait comme un droit de douane. «Cette hypothèse est totalement fausse», affirme-t-il, ajoutant que, si tel était le cas, les taxes locales et d’État aux États-Unis devraient également être considérées comme des droits de douane sur les produits européens.
Paul Jackson observe que l’Union européenne est déterminée à corriger ces idées fausses, tout en se préparant à d’éventuelles contre-mesures. L’UE a déjà annoncé des droits de douane de 26 milliards de dollars à titre de représailles, sans toutefois viser directement les exportations automobiles américaines. Il rappelle que si l’Europe enregistre un excédent commercial de marchandises avec les États-Unis, elle maintient en revanche un déficit dans les services financiers et d’autres secteurs de services. Selon lui, ce déséquilibre pourrait jouer un rôle central dans la réponse européenne, avec des mesures de rétorsion potentielles ciblant les services numériques, le tourisme, ou encore les entreprises financières américaines opérant en Europe.
Risques économiques et probabilité de récession
Paul Jackson prévoit que si ces droits de douane sont pleinement mis en œuvre et restent en place tout au long de l’année 2025, la probabilité d’une récession américaine dépasse les 50%. Il reconnaît que la baisse des taux d’intérêt et la progression des salaires réels peuvent soutenir l’activité économique, mais souligne que l’incertitude reste élevée.
Il indique que plus de 60 banques centrales ont réduit leurs taux en 2024, dont 30 rien qu’au cours du premier trimestre 2025. Toutefois, il met en garde contre d’autres risques, tels que l’instabilité politique, les fermetures potentielles de l’administration fédérale américaine, ou encore les déportations massives, qui pourraient accentuer les tensions économiques.
En revanche, il observe que l’Europe bénéficie de mesures de relance budgétaire, notamment dans les domaines de la défense et des infrastructures. Il estime que l’économie allemande, en stagnation depuis cinq ans, pourrait renouer avec la croissance grâce à l’augmentation des investissements publics.
Politique monétaire de la BCE
La Banque centrale européenne réduit ses taux d’intérêt à 2,5%, mais de nouvelles baisses restent incertaines dans un contexte de forte volatilité des marchés. Paul Jackson estime que la BCE attendra probablement des données plus claires sur l’impact économique des droits de douane avant d’envisager toute nouvelle décision. «Si les droits de douane provoquent une hausse de l’inflation, les réductions de taux pourraient être reportées. En revanche, si l’économie ralentit significativement, la BCE pourrait être contrainte d’agir plus tôt que prévu», explique-t-il.
Il souligne que, confrontée à des défis similaires, la Réserve fédérale américaine dispose d’une marge de manœuvre plus large pour réduire ses taux que la BCE. Si l’économie américaine s’affaiblit plus tard dans l’année, la Fed pourrait procéder à une baisse agressive des taux, malgré les préoccupations actuelles liées à l’inflation.
Paul Jackson conclut que les politiques tarifaires de l’administration américaine pourraient involontairement renforcer la résilience économique de l’Europe. En accélérant les efforts du continent vers une plus grande autonomie dans les domaines du commerce et de la fabrication de matériel de défense, ces mesures pourraient engendrer des transformations structurelles durables de l’économie mondiale. Selon lui, si des perturbations à court terme sont inévitables, c’est la réponse stratégique de l’Europe qui déterminera sa capacité à s’adapter à un paysage en mutation.
Cet article a été rédigé initialement en anglais, traduit et édité pour le site de Paperjam en français.