La compétitivité peut se définir comme l’aptitude d’un pays à faire face à la concurrence. (Photo: Shutterstock)

La compétitivité peut se définir comme l’aptitude d’un pays à faire face à la concurrence. (Photo: Shutterstock)

Face à une productivité qui stagne de manière structurelle, comment augmenter la compétitivité du pays? En jouant sur les coûts de production d’un côté et sur l’attractivité de l’autre. Face à une problématique multi­dimensionnelle, le gouvernement agit tous azimuts. Avec en moment clé la simplification administrative, la baisse de l’imposition des entreprises et la flexibilisation des horaires de travail.

La compétitivité, d’accord. Mais pour quoi faire? L’Union européenne la définit comme la capacité d’un pays à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants, et à leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale, dans un environnement de qualité.

Comment la mesurer? Si la compétitivité peut se définir comme l’aptitude d’un pays à faire face à la concurrence, elle dépend de deux facteurs intimement liés: les coûts de production d’un côté – on parle de compétitivité prix –, et de l’autre, la compétitivité hors prix ou structurelle, concept qui recouvre l’attractivité du pays pour les investisseurs. Un volet multidimensionnel dans lequel figure en bonne place la question du logement, des infrastructures et de l’attraction-rétention des talents.

Une multidimensionnalité qui se retrouve dans l’accord de coalition. La compétitivité englobe la solidité financière, la réduction des obstacles administratifs, l’innovation, l’accès à des ressources compétitives, et un environnement favorable aux entreprises. Ce qui renvoie aux éléments suivants: le maintien du triple A, la réduction des charges administratives pour les entreprises, assurer au niveau international des conditions de concurrence équitable, un prix de l’énergie compétitif, un soutien au développement de l’industrie et à ses efforts de décarbonisation et de digitalisation des processus de production et le maintien de la stabilité du secteur financier. Autant de domaines dans lesquels le gouvernement a lancé des initiatives législatives. Initiatives résumées dans la rubrique «Feuille de route» de ce PolitRadar.

Classements internationaux – Compétitivité. (Source: IMD)

Classements internationaux – Compétitivité. (Source: IMD)

Le juste coût

Où en est-on aujourd’hui? Si on regarde la compétitivité prix, la position du Luxembourg apparaît comme contrastée. D’un côté, la productivité du Luxembourg reste haute – le Luxembourg est 1,5 fois plus productif par heure travaillée que la moyenne des pays de la zone euro –, mais elle stagne. Depuis 2010, relève le Conseil national de la productivité – le successeur de l’Observatoire de la compétitivité –, le niveau de la productivité réelle évolue en dents de scie depuis 2010, fluctuant autour d’un taux de croissance de -0,2% en moyenne.

La productivité du travail reste élevée au Luxembourg. En 2023, la valeur ajoutée brute par heure travaillée s’élevait à 128,8 dollars, exprimée en parité de pouvoir d’achat (PPA) et en prix courants. Ce qui place le Grand-Duché largement devant les autres pays. Cependant, l’évolution de la productivité réelle du travail au Luxembourg au fil du temps est cependant moins positive. La productivité réelle par heure travaillée a largement stagné depuis 2010 et affiche même une tendance à la baisse entre 2021 et 2023.

Dans le même temps, les principaux partenaires commerciaux du pays ont vu leur productivité réelle par heure travaillée globalement progresser. Autrement dit, l’avantage comparatif du Luxembourg en matière de productivité du travail par heure travaillée diminue de plus en plus. Une situation intenable sur le long terme si on veut maintenir l’actuel niveau de protection sociale.

Coût moyen par heure travaillée selon les secteurs en 2022. (Source: Statistiques.lu)

Coût moyen par heure travaillée selon les secteurs en 2022. (Source: Statistiques.lu)

Les pistes pour un rebond

Face à ces statistiques, le ministre de l’Économie, , a demandé au CNP en janvier 2024 d’élaborer des recommandations afin de relancer la croissance de la productivité.

Sa première recommandation est de faire de la productivité une priorité politique en sensibilisant tous les milieux, la société civile comprise, quant aux impacts qu’une stagnation prolongée de la productivité engendre. Il conviendrait ensuite de jouer sur les leviers généraux en faveur de la productivité.

Le premier est, selon le Conseil, un cadre réglementaire assoupli – sans pour autant remettre en question les objectifs de base des régulations (protection de l’environnement, protection des travailleurs…) et sa qualité. Un levier au cœur de l’actualité en Europe – on vient de le voir avec la présentation par la Commission européenne de son projet de directive Omnibus sur la réduction de la charge administrative des entreprises – et au Luxembourg. Le Premier ministre, , le rappelait lors de son discours sur l’état de la Nation de juin 2024: «Pour renouveler notre compétitivité, nous avons avant tout besoin de deux choses: un cadre juridique et fiscal compétitif et des stratégies pour les écosystèmes dans des secteurs spécifiques.»

Concrètement, le CNP fait de la digitalisation des procédures et de l’introduction du principe du once only la première étape pour gagner en efficience. La ministre de la Digitalisation, , a déposé un projet de loi qui pose les bases du principe. Principe qui sera étendu à toutes les administrations au fur et à mesure de son déploiement.

Innover et bien gouverner

Le deuxième volet concerne l’innovation. Le CNP plaide pour un accroissement des dépenses de recherche et de développement et par l’adoption d’une approche fast follower. «L’État doit se donner les moyens nécessaires pour suivre les créations d’innovation au niveau international et favoriser leur diffusion à travers l’économie luxembourgeoise, résume le Conseil. En raison de la spécialisation et de la taille de l’économie luxembourgeoise, le Luxembourg n’est pas capable de faire de la R&D dans tous les secteurs. Le Luxembourg devra alors être capable de devenir un fast follower, c’est-à-dire de développer la capacité d’adopter et d’intégrer les innovations, faites à l’intérieur et à l’extérieur du pays, dans le processus de production.»

Le CNP cite ensuite la problématique de la gouvernance d’entreprise, indique que «de nombreuses études suggèrent un lien positif entre les compétences managériales au sein d’une entreprise et sa productivité» et constate que «le Luxembourg semble accuser un manque de compétences managériales en comparaison internationale». Un problème qui renvoie au thème récurrent de l’attraction des talents.

Le CNP invite ensuite le gouvernement à aider le développement des entreprises en supprimant les entreprises zombies – «dont la sortie du marché permettrait de réorienter les ressources libérées vers des emplois plus productifs» – et en favorisant la croissance des start-up en facilitant leur accès au financement et en simplifiant leur accès aux marchés internationaux.

Indice de la liberté économique. (Source: The Heritage Foundation)

Indice de la liberté économique. (Source: The Heritage Foundation)

IA, énergie et talents

Il y a d’autres leviers sur lesquels le gouvernement peut jouer. Et joue. Il l’a fait en baissant le taux d’imposition sur les sociétés. Une mesure très symbolique, notamment en matière de nation branding.

Il a ensuite joué la carte de l’intelligence artificielle. En avril, le gouvernement s’est doté d’une feuille de route stratégique en la matière. Et s’est donné comme objectifs le développement des compétences numériques de tous les citoyens, le renforcement d’infrastructures sûres et durables, l’accélération de la transformation numérique des entreprises et la numérisation des services publics. La participation au programme EuroHPC de l’Union européenne visant la construction d’un écosystème européen pour former des modèles d’AI avancés est une bonne nouvelle. Le Luxembourg se positionne ainsi sur la carte de l’AI.

Avoir des prix compétitifs en matière d’énergie est aussi un élément clé. «Le gouvernement renforcera ses efforts pour assurer l’accès aux énergies renouvelables à un prix stable et compétitif», lit-on dans l’accord de coalition. Et il y a une énergie renouvelable qui intéresse particulièrement le gouvernement et le ministre de l’Économie: l’hydrogène. Lex Delles fait du déploiement d’un réseau de transport d’hydrogène une priorité. Dans la nouvelle version du Plan national intégré en matière d’énergie et de climat, une enveloppe de 60 millions d’euros est consacrée à cela.

La question des talents est aussi à l’ordre du jour. Le constat est simple: le Luxembourg ne produit pas les talents dont il a besoin. Une situation qui était tenable tant que le pays parvenait à attirer une main-d’œuvre venant de l’étranger. On arrive aux limites de ce système. Pour répondre au problème, le gouvernement a créé en juin 2024 le Haut Comité pour l’attraction, la rétention et le développement de talents, un organe consultatif en charge de fournir au Luxembourg une stratégie marketing concrète, servant de feuille de route pour élever la nation au rang de destination internationale pour travailler et vivre.

Lors de sa deuxième réunion en décembre de la même année, le Haut Comité a fait deux propositions clés: la construction d’un écosystème numérique performant pour faciliter le parcours de délocalisation et la multiplication de la présence du pays lors d’événements internationaux majeurs (Web Summit, Vivatech, World Summit AI…). La prochaine réunion de ce comité est prévue pour le printemps.

Évolution du PIB par actif occupé et par heure travaillée. (Photo: OCDE)

Évolution du PIB par actif occupé et par heure travaillée. (Photo: OCDE)

L’impact de l’intelligence artificielle

Si l’IA promet d’accroître significativement la productivité du travail au cours de la prochaine décennie; sa diffusion dans les entreprises reste pour l’instant limitée et varie fortement en fonction des secteurs d’activité. Selon le Conseil national de la productivité, 31% des entreprises actives dans la branche de l’information et de la communication utilisent déjà au moins une technologie IA. Ce taux s’établit à 22% dans les activités spécialisées, scientifiques et techniques et à 16% dans l’industrie manufacturière. L’utilisation varie aussi fortement en fonction de la taille de l’entreprise: 41,2% des grandes entreprises l’utilisent contre seulement 19,7% des moyennes entreprises et 12,3% des petites entreprises. Un taux de diffusion qui reste supérieur à celui constaté dans l’UE.

23e

À la 23e position au classement général du World Competitiveness Yearbook 2024 de l’International Institute for Management Development (IMD), le Luxembourg enregistre son plus mauvais résultat à ce jour. En deux ans, le pays a perdu 10 places. Selon IMD, ce déclassement est d’abord à mettre au passif d’une panne de croissance observée depuis 2022, d’une cage fiscale et administrative qui «inquiète», des obstacles administratifs persistants entravant la compétitivité des entreprises – indexation des salaires, manque de main-d’œuvre qualifiée, mauvaises pratiques managériales… – et un écosystème de R&D «à consolider».

Compétitivité: la feuille de route du gouvernement

Fiscalité

- Depuis ce 1er janvier, le taux de l’impôt sur le revenu des collectivités (IRC) est passé de 17% à 16% au nom du «renforcement de la compétitivité».

Simplification administrative

- Le 6 juin 2024: dépôt du projet de loi 8395 sur la valorisation des données et le principe «Once Only». Ce principe fait obligation à l’État, aux ministères et aux communes de partager les données qu’ils possèdent sur les citoyens et les entreprises dès lors qu’elles sont nécessaires pour instruire une demande initiée par ces derniers. On retrouve le principe de simplification administrative de manière transversale dans d’autres projets de loi.

Énergie et économie durable

- La révision du Plan national énergie-climat (PNEC) 2021-2030 a donné lieu au dépôt de plusieurs projets de loi intéressant les entreprises: le projet 8462 instituant un régime d’aides en faveur de la transition vers une économie à zéro émission nette et le projet 8386 renouvelant le régime d’aides à la protection de l’environnement et du climat. Ces textes sont en cours d’examen.

- Le 12 décembre 2024, le gouvernement dépose une nouvelle version du projet de loi 8298 destiné à mettre en œuvre la stratégie hydrogène adoptée en 2021. Une priorité pour le ministre de l’Économie Lex Delles. Le 6 juin, lui et la ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, Stéphanie Obertin, lançaient la «vallée luxembourgeoise de l’hydrogène». Un projet à 39 millions d’euros pour produire de l’hydrogène vert dès 2026.

- Le 20 décembre sont déposés le projet de loi 8474 portant modification de la loi du 26 juillet 2022 relative au régime d’aides en faveur des entreprises investissant dans des infrastructures de charge pour véhicules électriques et le projet de loi 8475 portant modification de la loi modifiée du 9 août 2018 relative à un régime d’aides en faveur des PME. Les deux visent à améliorer la visibilité des différents régimes d’aides ainsi qu’à simplifier et accélérer leur obtention.

Intelligence artificielle et numérique

- Le 13 mars 2024, dépôt du projet de loi 8364 concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé de cybersécurité transposant la directive (UE) 2022/2555 du 14 décembre 2022.

- Le 24 avril 2024, le Conseil de gouvernement adopte la feuille de route stratégique nationale relative à la décennie numérique jusque l’horizon 2030 pour le Luxembourg.

- Le 11 octobre, le Conseil de gouvernement autorise le projet d’intégration d’un système d’ordinateur quantique dans l’environnement du HPC MeluXina.

- Le 13 décembre, la candidature luxembourgeoise dans le contexte du European High Performance Computing Joint Undertaking de l’Union européenne visant la construction d’un écosystème européen d’intelligence artificielle est retenue. Le Conseil approuve l’acquisition d’un supercalculateur optimisé pour l’intelligence artificielle et l’établissement d’une AI Factory associée.

- Le 23 décembre, dépôt du projet de loi 8476 sur l’IA Act.

Travail

- Le 27 juillet 2024, la loi relative aux «cartes bleues», autrement dit les permis de travail pour des ressortissants non communautaires au profil hautement qualifié, entre en vigueur.

- Le 12 décembre 2024, dépôt du projet de loi 8456 modifiant l’article L. 231-4 du Code du travail sur le travail dominical dont la durée est portée à huit heures contre quatre actuellement.

- Le 20 décembre 2024, dépôt du projet de loi 8472 sur les heures d’ouverture dans le secteur commerce et de l’artisanat.

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de , parue le 26 mars. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.  

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