Le tissu économique luxembourgeois est essentiellement constitué de PME, si on s’en tient à la définition la plus communément acceptée. Il s’agit d’une entreprise comptant moins de 250 personnes, dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros et dont le total du bilan annuel est inférieur à 43 millions d’euros. «Au Luxembourg, 99,5 % des entreprises sont des PME, soit plus de 40.000 acteurs, assure Stéphanie Damgé, directrice Entrepreneuriat au sein de la Chambre de commerce, à la tête de la House of Entrepreneurship. Presque toutes les structures s’inscrivent dans la catégorie PME.» Et si l’on cherche à mieux définir le portrait-robot de l’entreprise luxembourgeoise, le Statec précise que sur les 40.791 PME que comptait le pays en 2020, 87 % employaient moins de 10 personnes. Seuls 2 % des entreprises ont plus de 20 collaborateurs.
Des acteurs essentiels
Si les PME sont relativement petites, elles n’en sont pas moins importantes pour l’économie. Selon les données de la Commission européenne, qui se concentrent sur les entreprises de l’économie marchande non financière, les PME emploient 59,2% des personnes actives au Luxembourg et génèrent 64,1% de la valeur ajoutée à l’échelle nationale. Comme ailleurs en Europe, les PME sont source de croissance et de création d’emploi. En 2022, l’emploi au sein des PME évoluait positivement de 1,2%, une croissance en recul par rapport à l’année précédente (2,4%).
S’agissant de la répartition sectorielle des effectifs, l’industrie emploie au Luxembourg moins de 8% de la main-d’œuvre des PME de l’économie marchande non financière (18,2 % à l’échelle de l’Union des 27). Près d’une personne sur deux (48,9%) travaillant dans une PME au Grand-Duché œuvre dans les services, ce qui représente une proportion plus élevée qu’au niveau européen (42,7%). 21,4% de la main-d’œuvre travaille dans le secteur de construction et 20,9 % dans le commerce. Le secteur des services crée près de la moitié (47,9 %) de la richesse totale produite par les PME de l’économie marchande non financière (contre 40 % au niveau européen). Les activités scientifiques et techniques représentent à elles seules 19,5 % de la richesse annuelle (12,3 % à l’échelle de l’UE-27).
Des dynamiques contrastées
La dynamique entrepreneuriale globale, à l’échelle du pays, semble avoir repris des couleurs en 2023. «Selon le Global Entrepreneurship Monitor (GEM), les activités entrepreneuriales, qui traduisent essentiellement la création d’entreprises, ont retrouvé au Luxembourg leur niveau d’avant la pandémie, à la fois en chiffres absolus et par rapport à d’autres pays européens, commente Stéphanie Damgé. En 2023, la part des résidents activement impliqués dans la création d’une nouvelle entreprise a augmenté pour atteindre 9,7 %, contre un minimum historique de 7 % enregistré en 2022.» Autrement dit, une personne sur dix est engagée dans une dynamique entrepreneuriale. Il est aussi intéressant de relever que 19 % des personnes interrogées dans cette enquête globale affirment vouloir créer un business dans les trois prochaines années. Ces chiffres plutôt positifs ne doivent pas cacher les défis auxquels font face les PME.
Au-delà de l’enthousiasme retrouvé que suscite l’entrepreneuriat, les chiffres relatifs aux faillites témoignent des difficultés que rencontrent les acteurs économiques. Le nombre de faillites est en forte augmentation au troisième trimestre 2024 (273 contre 160 jugements au troisième trimestre 2023, soit +71%), précise le Statec. En excluant les sociétés holdings et les fonds de placement, la hausse s’élève à 60%, ce qui montre que c’est bien l’économie réelle qui est touchée. Le secteur de la construction, profondément affecté par la hausse des taux d’intérêt, connaît d’importantes difficultés. «On observe que les jeunes entreprises créées il y a moins de cinq ans, pendant la période du Covid, sont davantage touchées par les faillites», poursuit la directrice Entrepreneuriat de la Chambre de commerce. Certes, les acteurs historiques sont souvent plus robustes et peuvent plus facilement faire face à une conjoncture difficile.
Le poids de la réglementation
Entre la hausse des coûts de l’énergie, l’inflation et ses répercussions automatiques sur les coûts salariaux, le renforcement du cadre réglementaire, notamment en matière de développement durable, et le ralentissement économique, les dirigeants d’entreprise ont dû avoir le cœur bien accroché. La dernière édition du Global Entrepreneurship Monitor pointe notamment des défis importants et met en évidence des perspectives détériorées pour l’avenir. En 2023, 38% des entrepreneurs luxembourgeois ont fait état de faibles prévisions de croissance, soit la proportion la plus élevée parmi les pays européens observés, contre une moyenne de 28% pour l’ensemble des pays.
D’autre part, si la peur de l’échec a augmenté ces dernières années (47% en 2023, 44 % en 2022), elle est globalement conforme aux moyennes nationales (45%). «Alors que l’on a beaucoup parlé de simplification administrative, on voit surtout que les nouvelles exigences réglementaires, liées à la durabilité ou encore au renforcement de la cybersécurité, entraînent une lourdeur supplémentaire. Si les PME ont la volonté de se conformer, elles n’ont pas toujours les compétences ni les ressources nécessaires pour le faire efficacement, continue Stéphanie Damgé. Surtout, les temps et les ressources investies dans ces projets de mise en conformité empêchent les acteurs d’investir dans l’innovation et dans les leviers d’amélioration de leur compétitivité. Cela crée des barrières au développement des entreprises et pèse sur leur rentabilité.»
Retrouver du souffle
Or, on constate que la rentabilité des acteurs se dégrade et que les dirigeants d’entreprise sont peu confiants pour l’avenir. «Selon le dernier Baromètre de l’Économie, l’activité des six derniers mois a été moins favorable qu’anticipée au premier semestre, et ce pour tous les secteurs, hormis le secteur financier, commente Stéphanie Damgé. Alors que 23% des entreprises prévoyaient une baisse de leur activité au premier semestre, 32% d’entre elles ont effectivement enregistré un recul. L’inflation, même si elle a ralenti, et les taux d’intérêt, bien qu’ils aient entamé une dynamique à la baisse, continuent de peser fortement sur les performances économiques.»
Les secteurs les plus touchés? L’industrie (45% ont subi une baisse, contre 19% qui l’avaient anticipé six mois auparavant), la construction (43%) et le commerce (40%), contre seulement 7% pour le secteur des services financiers. «La hausse des prix et des salaires a eu un impact significatif sur les marges. La compétitivité souffre elle aussi. Beaucoup d’entreprises, et notamment les plus petites structures, ne disposent pas de la flexibilité financière pour absorber toutes ces hausses», poursuit la responsable de la House of Entrepreneurship, qui prône notamment une adaptation du système d’indexation pour soulager les plus petites structures.
À cela s’ajoutent d’autres défis majeurs rencontrés par les PME, dont les deux principaux demeurent le recrutement des collaborateurs et l’accès au financement, comme en témoignent les résultats du Global Entrepreneurship Monitor. Dans ce contexte, les acteurs doivent parvenir à retrouver du souffle afin de pouvoir explorer de nouveaux relais de croissance. «Il est aujourd’hui important de redonner aux acteurs les moyens de se développer, en allégeant les contraintes afin de permettre à chacun d’aller chercher des clients, de se différencier vis-à-vis de la concurrence, locale ou internationale», commente Stéphanie Damgé.
Alors que l’économie européenne décroche par rapport au reste du monde, il est urgent de veiller à ce que les PME puissent sortir de l’ornière. Plus que de réglementer, les dirigeants devraient davantage inciter les acteurs économiques à investir dans le numérique, via notamment des aides et des mesures fiscales. «Le recours à la technologie pour automatiser, offrir de nouveaux services, proposer de nouvelles expériences, tel est aujourd’hui l’un des principaux moteurs de croissance des acteurs économiques.
Si de nombreuses aides existent pour soutenir la digitalisation, elles ne sont pas toujours suffisamment lisibles, ni adaptées aux besoins réels des acteurs. Il est important de bien accompagner la transformation numérique de chacun, avec une bonne identification des opportunités au départ, puis à travers le déploiement des technologies, mais aussi dans la gestion du changement et le renforcement des compétences», poursuit la responsable de la House of Entrepreneurship. Le renforcement des compétences, afin de permettre de relever le double défi de la digitalisation et du développement durable, est en effet un autre enjeu majeur. Cependant, attirer, recruter, former, cela s’avère plus difficile que jamais. La crise du logement et la hausse du coût de la main-d’œuvre luxembourgeoise ne facilitent pas la vie des entreprises.
Consolider les fondations
Dans un monde incertain et beaucoup plus versatile, le développement d’une entreprise doit s’inscrire dans une approche durable et implique de pouvoir faire preuve d’une grande capacité d’adaptation et de résilience. Tout au long du cycle de vie de l’entreprise, de la création jusqu’à la transmission, les dirigeants doivent relever de nombreux challenges. Le pilotage d’une entreprise exige dextérité, mais surtout de pouvoir prévenir les incidents de parcours, anticiper les prochains virages, mieux appréhender les risques.
«Pour bien grandir, trois piliers principaux doivent être considérés: un capital solide, une bonne définition des rôles et des processus et une gouvernance bien structurée», commente Stéphanie Damgé. La gouvernance, notamment, doit permettre à l’entreprise de s’adapter efficacement à son environnement et d’anticiper les éventualités. Relever tous ces défis, dans le chef des équipes dirigeantes, passe par la mise en œuvre d’un leadership inspirant, l’entretien d’une culture d’entreprise positive, avec des valeurs fortes autour de la durabilité notamment, comprise de tous, des collaborateurs comme des clients.»
Les entrepreneurs luxembourgeois font d’ailleurs état d’un engagement fort en faveur de la durabilité sociale et environnementale. En 2023, 54% des entrepreneurs ont déclaré s’engager activement à maximiser l’impact social. 66% ont déclaré s’engager activement à minimiser l’impact environnemental. Entre 2014 et 2021, le pourcentage d’entreprises déclarant des pratiques de développement durable est passé de 14,7% à 21,4%. Ces engagements, dans un contexte où les critères de durabilité gagnent en importance dans les choix des clients, devraient porter leurs fruits. Il faut du moins l’espérer. Tout en continuant dans cette direction, les entreprises luxembourgeoises, avec le soutien du gouvernement, doivent donc, avant tout, retrouver la voie de la compétitivité.
2.500 entreprises à reprendre
Quand on parle d’entrepreneuriat, ce sont principalement les chiffres relatant les créations d’activité que l’on observe. Un autre défi majeur réside dans la reprise de business existants. Au cours des dix prochaines années, le Luxembourg comptera chaque année environ 250 entreprises à reprendre, soit 2.500 entreprises d’ici 2035 employant au total jusqu’à 10.000 personnes. Accompagner ces transmissions est donc un enjeu colossal. Pour ceux qui désirent entreprendre, il y a là aussi de nombreuses opportunités. La démarche est évidemment bien différente de celle de la création. Toutefois, il peut y avoir un intérêt à reprendre un business profitable avec l’ambition de le développer, de l’emmener plus loin. C’est afin de faciliter la rencontre entre les cédants et les repreneurs potentiels que la plateforme businesstransfer.lu a été mise en place par la Chambre de commerce, la Chambre des métiers et le ministère de l’Économie.
Les entrepreneurs ont la possibilité d’y publier des annonces de manière anonyme afin de vendre leur entreprise par ce biais. Derrière, les Chambres proposent des services d’accompagnement pour faciliter les opérations de transmission, qui exigent notamment une bonne préparation tant de la part du cédant que du repreneur.
Cet article a été rédigé pour le supplément de l’édition de parue le 11 décembre. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. .
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