Le gouverneur de Géorgie, Brian Kemp, prend un selfie avec le CEO de Hyundai, Euisun Chung, au cours de l’ouverture de la méga-usine d’Ellabell. Le constructeur coréen va doubler ses investissements aux États-Unis d’ici 2028, a-t-il fait savoir. (Photo: AP pour Hyundai)

Le gouverneur de Géorgie, Brian Kemp, prend un selfie avec le CEO de Hyundai, Euisun Chung, au cours de l’ouverture de la méga-usine d’Ellabell. Le constructeur coréen va doubler ses investissements aux États-Unis d’ici 2028, a-t-il fait savoir. (Photo: AP pour Hyundai)

Face au «flood the zone with shit» inspirée à Donald Trump par Steve Bannon, prendre du recul cinq minutes est précieux. Exemple avec les réactions des constructeurs automobiles qui, confrontés à la hausse des droits de douane, ont à peu près tous commencé à réévaluer ou réorienter leurs stratégies.

Difficile de comprendre les effets de la politique, en apparence chaotique, du président américain, Donald Trump? Son «flood the zone with shit» – littéralement «noyer la zone de merde» ou multiplier les annonces pour empêcher les médias de se pencher sérieusement sur les politiques présidentielles – a sérieusement secoué le secteur automobile: le 27 mars, Donald Trump a annoncé 25% de surtaxe sur tous les véhicules et pièces détachées importées aux États-Unis.

Premiers touchés, les constructeurs américains eux-mêmes, Ford et General Motors, ou encore Stellantis: ces trois groupes importent des centaines de milliers de véhicules et de pièces détachées depuis leurs sites mexicains et canadiens. Stellantis décide de suspendre directement deux usines en dehors des États-Unis et place 900 employés américains en chômage technique. Ford et GM augmentent en urgence des stocks de pièces pour éviter la panne sèche une fois les droits de douane en place. Selon le Center for automotive research, ces nouveaux droits de douane pourraient représenter 42 milliards de dollars de coûts annuels pour les Big Three.

Le CEO de Ford, Jim Farley, parle de «chaos organisé», l’ex-CEO de Stellantis, Carlos Tavaras, dénonçait avant de quitter l’entreprise les tarifs comme un coup porté «à toute la chaîne nord-américaine»; la CEO de GM, Mary Barra, avertit que chaque voiture produite avec des pièces importées coûtera 5.000 dollars de plus et que les modèles importés verront leurs prix grimper de jusqu’à 8.600 dollars.

Selon le Center for automotive research, les droits de douane auront un impact de 107,7 milliards de dollars pour les constructeurs américains (43 milliards de dollars dus aux pièces importées utilisées dans la production locale et 64,7 milliards de dollars dus aux véhicules importés incluant ceux du Canada et du Mexique), pour 17,7 millions de véhicules.

En trois jours, en Europe, les constructeurs ont vu leurs cours de bourse s’effondrer: -8% pour Volkswagen, -6% pour BMW, -9,3% pour Stellantis.

BMW décide d’augmenter de 80.000 unités par an la capacité de son usine de Spartanburg, en Caroline du Sud. Volkswagen annonce qu’il envisage d’y produire certains modèles Audi et Porsche. Mercedes accélère un investissement d’un milliard de dollars dans son site d’Alabama pour produire des SUV et des berlines électriques. Ferrari choisit une solution plus simple et augmente de 10% le prix de ses véhicules aux États-Unis, considérant que ses clients assumeront le surcoût.

Volkswagen veut faire «tout son possible pour rester un investisseur et un partenaire fiable aux États-Unis», a assuré Oliver Blume dans l’entretien mis en ligne par le journal Frankfurter Allgemeine Zeitung. «Pour Audi, une production aux États-Unis s’inscrirait dans notre stratégie de développement», ajoute le patron du constructeur aux dix marques, dont la gamme de véhicules haut de gamme Audi. «Nous avons une stratégie offensive avec des projets passionnants, sur mesure et attractifs pour le marché américain. C’est ce que nous mettons dans la balance. Des discussions constructives sont en cours avec le gouvernement américain», assure encore M. Blume.  Il a en revanche exclu une production américaine pour les voitures de sport Porsche, dont les États-Unis sont le marché le plus important, en raison des trop faibles volumes concernés, environ 70.000 véhicules par an.

Selon Bloomberg, Mercedes-Benz pourrait cesser d’importer ses modèles les moins chers, comme les Classes GLA et CLA , voire la Classe C. Scénario qu’un porte-parole a jugé sans fondement en ajoutant que l’entreprise se concentrait pour continuer à croître comme l’an dernier (+10% de ventes).

L’association allemande de l’industrie automobile (VDA), qui représente 600 entreprises du secteur en Allemagne, parle d’un «signal fatal pour le libre-échange». 

Hyundai-Kia met 21 milliards sur la table

Du côté japonais, l’impact est massif: en 2024, le Japon a exporté 1,35 million de véhicules vers les États-Unis et les nouveaux droits de douane représentent une perte estimée à 4,6 milliards de dollars par an pour la seule Honda. Laquelle annonce aussitôt un plan radical: 90% des véhicules vendus aux États-Unis seront fabriqués sur le sol américain d’ici 2027. Il rapatrie la production de son CR-V du Canada, de son HR-V du Mexique et de la future Civid hybride dans ses usines de l’Indiana et de l’Ohio. Soit une hausse de 30% de la production du groupe sur le sol américain.

Sur la même veine, Toyota revoit le lancement de la prochaine génération de son best-seller, le Rav4 (475.000 unités vendues aux États-Unis en 2024), initialement prévu au Canada et au Japon et qui devrait être assemblé dans le Kentucky dès 2027.

Nissan réduit de 13.000 unités la production de son SUV Rogue au Japon, entre mai et juillet, pour éviter de devoir payer des droits de douane supplémentaires. L’usine de Kyushhu tournera au ralenti durant un trimestre en attendant de voir la suite des événements.

Si le groupe sud-coréen Hyundai-Kia semble peu touché, c’est qu’en réalité, il a pris tout le monde de vitesse en annonçant un plan d’investissement de 21 milliards de dollars aux États-Unis d’ici 2028 – soit un doublement de ses investissements depuis son entrée sur le marché nord-américain où il dit avoir créé 570.000 emplois. Dès mars, au côté de Donald Trump, le président de Hyundai, Euisun Chung, dévoile deux énormes projets: une aciérie géante en Louisiane (pour 5,8 milliards de dollars) et une usine de voitures électriques en Géorgie (7,4 milliards de dollars) pour y produire 300.000 véhicules par an. Comme le groupe prévoit aussi de déplacer une partie de la production coréenne de la Kia 5 ou de la Hyundai Elantra vers l’usine d’Alabama, les droits de douane sont réduits.

Jusqu’à 20.000 dollars de hausse du prix

Une analyse de l’Anderson Economic Group estime que la hausse des prix sur les véhicules importés pourrait atteindre jusqu’à 12.000 dollars pour certains modèles haut de gamme. Voire jusqu’à 20.000 dollars pour les véhicules fabriqués par Audi, BMW, Jaguar-Land Rover, Mercedes-Benz, Genesis et Lexus. Le président de Nissan Amériques, Christian Meunier, craint que les petits modèles produits au Mexique, comme la Versa (20.000 dollars), deviennent invendables: «Les segments abordables risquent de disparaître, et avec eux, l’accès à la voiture neuve pour les classes populaires.»

Pour AEG, «les consommateurs américains absorberont un coût des droits de douane au cours de la première année complète qui pourrait dépasser 30 milliards de dollars. (…) Les investisseurs et les employés des constructeurs, fournisseurs et concessionnaires de l’industrie automobile absorberont au moins 30 milliards de dollars supplémentaires de coûts des droits de douane» au cours de la première année.

Et ce n’est là qu’une estimation des conséquences. Une estimation sous-estimée selon les experts. D’autres aspects vont s’ajouter. Ford a ainsi annoncé ajuster ses ventes de véhicules en Chine. Le président américain, Donald Trump, a infligé des surtaxes douanières aux importations chinoises pouvant atteindre 145% - seulement 25% pour les véhicules et pièces détachées -, s’ajoutant aux 20% pré-existantes. En représailles, Pékin a ajouté des tarifs douaniers supplémentaires de 125% sur les véhicules américains.

Un F-150 Raptor coûte près de 100.000 dollars en Chine, ont précisé les sources du WSJ. D’après son dernier rapport annuel, Ford a vendu aux concessionnaires chinois 442.000 véhicules en 2024, contre 467.000 en 2023 et 495.000 en 2022. Il précise avoir une part de marché de 1,6% en 2024, contre 2,1% en 2022. Ford a arrêté d’expédier ses pick-up F-150 Raptors, ses voitures Mustang et ses SUV Bronco qui sont assemblés dans le Michigan, ainsi que ses Lincoln Navigator fabriqués dans le Kentucky.