La ministre de la Santé, Martine Deprez, et l’ex-ministre de la Santé, Paulette Lenert, donnent leur point de vue sur le système de santé. (Photo: DR. Montage: Maison Moderne)

La ministre de la Santé, Martine Deprez, et l’ex-ministre de la Santé, Paulette Lenert, donnent leur point de vue sur le système de santé. (Photo: DR. Montage: Maison Moderne)

Le secteur de la santé va-t-il mal? Pas selon l’OCDE, qui a publié le 19 novembre son étude «State of Health» in the EU 2024. Un rapport basé sur les statistiques nationales ainsi que sur des enquêtes européennes. Mais des motifs d’inquiétude persistent: les délais d’attente et la pénurie de personnel. État des lieux.

Que disent les chiffres? D’abord, que l’espérance de vie au Luxembourg reste parmi les plus élevées de l’UE à 83,4 ans. 1,9 an de plus que la moyenne de l’UE, classant le Luxembourg, ensemble avec la Suède, juste derrière l’Italie, l’Espagne et Malte. Et si on vit plus longtemps, on vit également plus longtemps en bonne santé. En 2023, les femmes âgées de 65 ans pouvaient espérer vivre 9,8 années supplémentaires en bonne santé – la moyenne de l’UE étant de 9,2 ans –, tandis que les hommes pouvaient espérer vivre 9,7 années supplémentaires en bonne santé, soit plus de 0,8 an au-dessus de la moyenne de l’UE.

La mortalité au Luxembourg (860 décès pour 100.000 habitants) est inférieure de 20% à la moyenne européenne (1.073 décès pour 100.000 habitants) en 2021, avec une mortalité par maladie de l’appareil circulatoire et une mortalité par cancer parmi les plus faibles d’Europe. Pour la même année, les taux de mortalité évitable par prévention (133 décès pour 100.000 habitants) et par traitement (55 décès pour 100.000 habitants) sont parmi les meilleurs d’Europe.

De bons chiffres à mettre à l’actif des politiques de prévention, estime l’OCDE. De bons chiffres à mettre également à l’actif des dépenses publiques. Des dépenses qui, à 4.316 euros par habitant contre 4.182 euros un an plus tôt, se situent parmi les plus élevées de l’UE, où la moyenne atteint 3.533 euros, même si elles représentent une part relativement faible du PIB du Luxembourg à 5,6%. Ce qui permet d’offrir à la population une très bonne couverture de santé: en 2022, les dépenses des ménages consacrées aux soins de santé représentent 1,7% des dépenses totales des ménages contre 3,2% en moyenne européenne. Dernier chiffre: 61% de la population est plutôt confiante dans la capacité du gouvernement à gérer des crises.

Attente et disponibilité

Ce n’est pas pour autant que la mission du ministre de la Santé, Martine Deprez, sera de tout repos.

Cependant, les motifs d’inquiétude ne manquent pas. L’OCDE en 2023 en ciblait deux «majeurs» et récurrents: les délais d’attente pour les soins médicaux et la dépendance du système vis-à-vis des professionnels étrangers.

Pour ce qui est des délais d’attente pour les soins médicaux, «en particulier pour les soins spécialisés, les tests de diagnostic, les services hospitaliers d’urgence et les soins oncologiques», un certain nombre de solutions ont été installées au fil des années. «Le triage des patients et les parcours de soins dans les services d’urgence, ainsi que la décentralisation des services de diagnostic dans quatre centres hospitaliers, visent à réduire les délais d’attente», détaille l’OCDE.

Cela dit, en 2023, seul 0,5% des résidents luxembourgeois a déclaré avoir eu des besoins en soins médicaux non satisfaits, que ce soit en raison du coût, de la distance à parcourir ou des délais d’attente en 2022. Ce pourcentage atteint 2,2% en moyenne au sein de l’UE. Il en va de même pour les besoins en soins dentaires non satisfaits: 0,8% contre 3,4% en moyenne dans l’UE.

La question de l’accès à la santé recouvre également le volet financier. La prise en charge des dépenses de santé par l’État représentait en 2023 environ 85% de la facture. Mais les délais de remboursement, s’ils se réduisent – on est passé d’une moyenne de 56 jours à 46 jours –, restent longs. Face à cette situation, le gouvernement parie sur la digitalisation et sur l’essor du système du paiement immédiat direct (PID). Le PID a, en novembre, séduit plus de 600 des 2.762 médecins conventionnés du pays. 20% des prestations sont réglées avec ce système.

La stratégie de transformation numérique globale du système de santé cible les solutions de télémédecine pour le suivi médical à distance des patients et l’établissement d’un registre numérique des professionnels de santé. Parmi les points de progression, il y a la digitalisation des systèmes IT hospitaliers dont l’interopérabilité reste perfectible, selon les observateurs. L’OCDE insiste pour sa part, en matière de santé numérique, sur l’interconnectivité des bases de données nationales qui doit être stimulée afin d’augmenter l’efficacité en situation de crise.

L’inquiétante dépendance du système vis-à-vis de l’étranger

Le deuxième motif d’inquiétude est lié à la dépendance du système vis-à-vis de l’étranger. Pour faire face à cette dépendance structurelle, le pays a créé de nouveaux programmes d’enseignement et de formation – dont la plateforme healthcareers.lu lancée en 2022 – et cherche également à attirer davantage de personnes vers les professions médicales et infirmières. En attendant, selon la Fondation Idea, en 2023, 44% des créations nettes d’emploi sur un an dans le secteur ont été pourvues par des frontaliers alors qu’ils ne représentent que 30% de l’emploi dans ce secteur.

Selon la dernière étude de la Copas, «face au vieillissement de la population, les besoins en personnel soignant augmentent considérablement et continueront à croître dans les années à venir». La Copas chiffre ces besoins: en 2026, plus de 150 postes équivalents temps plein (ETP) actuellement occupés dans le secteur des aides et des soins seront vacants en raison des départs à la retraite, dont plus de 100 concernant les infirmiers et aides-soignants. Dans la prochaine décennie, ce chiffre pourrait même dépasser un besoin de 200 ETP par an.

D’ici cinq ans, insiste la Copas, il faudra pourvoir 900 postes d’infirmiers. Un chiffre hors de portée du système éducatif luxembourgeois qui, pour l’année scolaire 2023-2024, a diplômé 68 personnes au titre du BTS infirmier. Pour bien souligner ces tensions, les heures supplémentaires ont explosé dans les secteurs social et de santé. De 240.486 en 2021, elles sont passées à 387.714 en 2022 et 362.359 en 2023.

Le grand débat est ici de savoir s’il faut créer un master en médecine au sein de l’Université, condition sine qua non pour exercer. Il viendrait compléter le bachelor lancé en 2020 et dont la première remise de diplôme a eu lieu le 15 décembre 2023. 13 étudiants avaient alors été diplômés. L’accord de gouvernement prévoit que le bachelor soit évalué avant de passer à l’étape supérieure. Le résultat de cette évaluation est attendu pour la fin 2025. Une fois la décision prise, le master pourrait débuter en 2027. Il faudra alors que l’Université et le secteur hospitalier coopèrent, car la formation des futurs médecins doit se faire au sein d’un établissement hospitalier.

Un inventaire des programmes de prévention

Un troisième défi attend le gouvernement: la prévention. Concernant les facteurs de risque pour la santé, les adultes au Luxembourg présentent des résultats légèrement meilleurs que la moyenne européenne en ce qui concerne l’activité physique, le surpoids et l’obésité. Toutefois, ils consomment moins de fruits, consomment plus d’alcool et ont augmenté leur consommation de tabac entre 2012 et 2020. Pour l’activité physique, la consommation de fruits et celle de boissons sucrées, les adolescents se distinguent au Luxembourg par des valeurs moins favorables que la moyenne européenne.

De façon générale, des efforts restent à déployer en matière de prévention du tabagisme, de consommation d’alcool ou de certaines habitudes alimentaires, indique l’OCDE. Sur ce point, l’accord de coalition prévoit un inventaire des programmes nationaux et des programmes de dépistage actuellement en place et leur évaluation. En outre, l’accord de coalition propose d’introduire à partir de l’âge de trente ans une offre de bilans de santé réguliers chez le médecin généraliste ou le médecin référent.

Chantiers législatifs en cours

Depuis sa prise de fonction, le ministère de la Santé a déposé plusieurs projets de loi. Dont le projet 8399 portant création de l’établissement public «Centrale nationale d’achat et de logistique» (Cnal). Le ministère poursuit également la procédure liée au projet de loi 8333 transposant une directive européenne concernant la lutte contre le tabagisme, texte déposé le 20 octobre 2023. Deux textes actuellement en commission. Le projet de loi 8331 sur la déclaration obligatoire de certaines maladies dans le cadre de la protection de la santé publique a pour sa part été retiré de l’ordre du jour. Tout comme le projet de loi 8013 sur les associations de médecins déposé le 30 mai 2022 et retiré de l’ordre du jour de la Chambre des députés le 28 février 2024.

La création de la Centrale nationale d’achat et de logistique vise à adresser la problématique de la pénurie de médicaments. L’idée est de mutualiser l’achat, de l’optimiser, de réaliser des économies d’échelle et de disposer d’un espace de stockage qui remplacerait des espaces qui se trouvent actuellement dans les hôpitaux. Cette structure n’a pas vocation à approvisionner les pharmacies, mais pourrait cependant offrir des possibilités en cas de rupture de stock, selon le ministère de la Santé. Une fois le texte voté, la centrale devrait être opérationnelle dans les six à sept ans.

Ce projet va de pair avec celui de l’Agence luxembourgeoise des médicaments et produits de santé (ALMPS). Cette future agence, placée sous l’autorité du ministre de la Santé, n’est pas un organisme de tutelle pour la recherche, mais un organisme gérant la part réglementaire relative à la mise sur le marché de médicaments, équipements et services. Son but est de garantir un haut niveau de sécurité sanitaire de tous les produits de santé tout au long de leur cycle de vie. Le projet de loi 7523 portant création de cette agence a été adopté en Conseil de gouvernement le 20 décembre 2019. Il est actuellement toujours examiné en Commission.

D’autres chantiers vont être ouverts dans les semaines qui viennent. Au premier rang desquels la couverture universelle des soins de santé (CUSS) pour laquelle l’accord de coalition prévoit la création d’une base légale et la réforme du service de la santé scolaire. Le ministère souhaite également accélérer sur le dossier de la création de maisons de naissance. Projet qui attend une analyse confiée à un conseil scientifique par l’ex-ministre de la Santé, Paulette Lenert (LSAP), sur la mise au point d’un cadre pour toutes les naissances aussi bien en milieu hospitalier qu’en extra-hospitalier.

La santé en chiffres

Fin 2022, selon le Statec, 936.254 personnes étaient protégées par l’assurance maladie-maternité. En 2023, le pays comptait 99 pharmacies ouvertes au public, 5 pharmacies hospitalières et 13 hôpitaux offrant 2.667 lits, soit 4,2 lits pour 1.000 habitants. Selon la Confédération des organismes prestataires d’aides et de soins (Copas), le secteur de la santé employait alors un peu plus de 15.000 personnes, dont 2.762 médecins conventionnés, selon les chiffres du ministère de la Santé, et 4.344 aides-soignantes diplômées et 6.100 infirmières.

160,7

Soit, en millions d’euros, le déficit probable de l’assurance maladie-maternité. Déficit qui ferait passer le solde global cumulé de 961,7 millions actuellement à 763,1 millions. Soit 15,4% des dépenses courantes estimées pour 2025, seuil qui reste supérieur à la limite de 10% fixée dans le Code de la sécurité sociale. Face à des dépenses qui progressent plus vite que les recettes, Martine Deprez, l’actuelle ministre de la Santé, a souhaité entamer des discussions avec les parties prenantes pour trouver des solutions permettant de pallier cette situation.

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de parue le 11 décembre. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

 

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