Du logo de Spuerkeess à celui de Cactus, Léo Reuter a marqué le paysage luxembourgeois par son travail. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Du logo de Spuerkeess à celui de Cactus, Léo Reuter a marqué le paysage luxembourgeois par son travail. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Il a cofondé la première agence de publicité tous services au Luxembourg, Interpub’, et dessiné des logos historiques, encore présents dans le paysage luxembourgeois, comme ceux de Cargolux, de Cactus ou de Spuerkeess. Découvrez qui est Léo Reuter, l’homme qui a donné son nom aux LeoAwards.

Qu’ont en commun les trois cubes rouges qui représentent Cargolux, la plante verte à trois branches qu’on retrouve un peu partout lorsqu’on fait ses courses chez Cactus, ou encore cette illustration du bâtiment historique de Spuerkeess dépassant du pont Adolphe qui apparaît sur les guichets de la banque? Leur auteur, Léo Reuter. Le graphiste de 81 ans a «marqué le paysage luxembourgeois par son travail», estime , CEO de Maison Moderne, co-organisatrice des . C’est pour lui faire honneur que les Media Awards ont été ainsi renommés cette année. «Il était le premier et reste sans doute l’un des plus grands créatifs du Luxembourg.»

Avec Guy Binsfeld, nous étions des concurrents, mais nous sommes restés de bons amis.
Léo Reuter

Léo ReutercofondateurInterpub’

Une créativité qui remonte à son plus jeune âge. «J’étais malheureux à l’école. J’aimais dessiner, je pensais déjà faire quelque chose dans cette direction», se remémore Léo Reuter. Les opportunités se sont vite présentées. La première fois, il avait 13 ans. «J’étais le voisin de Guy Binsfeld, qui avait environ quatre ans de plus que moi. Lorsqu’il était au lycée, il éditait un journal étudiant qui s’appelait Spider. Il écrivait, et je dessinais les en-têtes pour les rubriques des articles.»

Une croissance rapide

Les choses se sont concrétisées quelques années plus tard, quand il est parti étudier le design à Sarrebruck. «À ce moment, Guy écrivait des textes pour une banque américaine qui s’était installée au Luxembourg, le Crédit Européen. Il m’a proposé de faire la partie graphique. Leur directeur était tellement ravi qu’il a voulu nous donner un salaire fixe de 5.000 francs», raconte-t-il. C’est lui qui les a poussés à monter leur agence. Et en 1964, Interpublicité est née. «Il n’y avait pas d’agences assurant différents services (‘corporate identity’, rédaction de campagnes…) à ce moment-là. Nous avons grandi très vite.» Les bureaux de la Grand-Rue sont devenus trop étroits pour les deux collègues et leur secrétaire, qui ont déménagé au bout de deux ans, puis cinq autres fois, au fur et à mesure des embauches.

Les clients se sont multipliés: «Nous avons travaillé pour Luxair, la banque UCL qui n’existe plus, la Loterie nationale, un producteur de laine allemand», liste Léo Reuter. D’une enveloppe kraft, il sort avec fierté des tas de papiers, d’affiches contre la centrale nucléaire de Cattenom ou les dangers du tabac, ou encore un prospectus de la bibliothèque municipale. Tous réalisés par Interpub’. Trois autres documents rassemblent les logos dessinés par l’agence, dont celui de Cargolux, un client marquant. «Nous avons grandi pratiquement avec eux», se souvient Léo Reuter, qui a même imaginé leur slogan «You name it, we fly it».

Après 15 ans d’existence, «nous étions 17 personnes à l’agence. Des concurrents ont surgi peu à peu.» Parmi eux, Guy Binsfeld lui-même. Il a d’abord «pris un congé sans solde pour gérer une campagne internationale». Avant de monter, peu de temps après son retour, un bureau d’édition. «Nous avons travaillé avec lui. Et puis d’anciens clients lui ont demandé une brochure, une annonce, alors il a commencé l’agence Binsfeld. Nous étions des concurrents, mais nous sommes restés de bons amis. Interpub’ avait plus de travail qu’elle ne pouvait en réaliser.»

Un professeur direct

En parallèle de son travail, Léo Reuter a transmis son savoir en donnant des cours de graphisme au Lycée des arts et métiers. Silvano Vidale, cofondateur de l’agence de six salariés Vidale-Gloesener, faisait partie de ses élèves. «Léo était un professeur clair et direct. Il l’était aussi dans sa manière de critiquer», résume-t-il. «Parfois, cela pouvait choquer. Étant donné qu’il n’était pas professeur de profession, il avait plutôt cet esprit de responsable d’agence. Moi aussi, je parle comme cela à mes graphistes. Si je n’aime pas ce qu’ils font, je ne vais pas passer par quatre chemins, il faut qu’on avance.» Le cours de graphisme étant encadré par trois personnes différentes, certains élèves avaient donc tendance à éviter Léo Reuter, selon Silvano Vidale, parce qu’ils cherchaient des retours plus doux sur leur travail. Ce n’était pas son cas. «J’aimais bien aller chez lui, car tu recevais une critique qui sortait du ventre. Dans la vie, c’est comme cela, on ne va pas te faire des faveurs parce que tu es jeune.»

En tant que graphiste, il est possible que tu fasses partie du quotidien d’un pays.
Silvano Vidale

Silvano VidalecofondateurVidale-Gloesener

Il admirait le travail de son professeur, notamment ses logos. «C’est devenu fascinant de savoir qu’en tant que graphiste, il est possible que tu fasses partie du quotidien d’un pays.» Une rencontre qui a peut-être joué sur son envie de se concentrer sur l’identité visuelle, admet-il. Son agence est à l’origine des logos d’Enovos, de la Klima-agence, ou encore de celui qui vise à promouvoir le pays. «Je suis content que des gens reçoivent leurs factures avec le logo que j’ai dessiné ou boivent dans une tasse avec le X du Luxembourg que j’ai créé», sourit-il.

«Ce que j’ai beaucoup aimé», ajoute-t-il à propos de Léo Reuter, «c’est cette règle qu’il avait du plus simple et du plus effectif. Cela fonctionnait et fonctionne encore.»

De la publicité au djembé, en passant par l’aïkido

Style helvétique que Léo Reuter avait lui-même emprunté à un professeur suisse lors de ses études en Allemagne. «Tout de suite, on voyait dans le journal qu’une annonce venait d’Interpub’, parce que le style était différent», confirme-t-il. «L’approche était moins émotionnelle, plus fonctionnelle.»

Janvier 2017 marque le départ de Léo Reuter de l’agence, qu’il cède à son ex-femme. À l’époque, elle comptait «une douzaine de salariés». Interpub’ a de nouveau changé de mains en 2020 et «il y a quelques mois, elle a arrêté», affirme son cofondateur, sans pour autant se montrer mélancolique. «J’étais détaché du projet. Une fois que c’est fini, je regarde en avant.»


Lire aussi


Après son départ en retraite, il a continué à enseigner l’aïkido jusqu’à ses 77 ans. Une discipline rigoureuse qui «influence le mental et la façon de voir les choses», également dans le domaine professionnel. Aujourd’hui, «je joue à la pétanque, je nage, je fais du djembé». L’art garde une place importante dans sa vie. «Je prévois de recommencer à sortir pour dessiner à l’extérieur.» Et bien sûr, le design. «Parfois, je croise une annonce et me dis que cela doit venir d’un de mes élèves.» Il porte un regard nuancé sur le graphisme actuel au Luxembourg. Pour lui, «la qualité a augmenté», même si on manque parfois de «créativité».

Il s’agit pourtant de la caractéristique principale des campagnes nommées pour ces LeoAwards, qui célèbrent «l’excellence créative» dans la publicité. Raison pour laquelle Léo Reuter se dit «touché» de leur avoir donné son nom. Et de participer à la cérémonie, ce jeudi 6 octobre.