Georges Heinrich, membre du Comité de Direction et Chief Sustainability Officer de Banque Raiffeisen. (Photo: Maison Moderne)

Georges Heinrich, membre du Comité de Direction et Chief Sustainability Officer de Banque Raiffeisen. (Photo: Maison Moderne)

Donald Trump est un chauviniste et un démagogue. Mais Donald Trump est aussi président des États-Unis. Nous avons beaucoup de mal à accepter cette nouvelle réalité, à nous habituer à la remise en question permanente de l’ordre mondial tel que nous le connaissons et à la brutalité de la rhétorique. C’est normal, et, en réalité, il serait plus inquiétant que ce ne le soit pas…

L’Europe, en particulier, a été prise au dépourvu par Trump et peine encore à trouver le «mode d’emploi» pour communiquer avec lui et son administration. Il faut cependant se poser la question de savoir s’il est opportun, voire utile de réagir publiquement à tous les propos de Trump. Et plutôt que de réagir à ses provocations en série, ne pourrait-on pas adopter une posture différente en essayant de se mettre dans sa peau et de nous demander, au moins par hypothèse: et si Trump avait raison? 

Pour beaucoup de nos concitoyens, l’élection de Trump a été un choc émotionnel comparable à la perte d’un proche. En effet, l’Europe semble faire le deuil de sa longue relation d’amitié avec notre allié d’outre-Atlantique qui désormais nous traite avec mépris. Or, après les vives émotions provoquées par cette réélection – le déni, la colère, la dépression voire la résignation et la tristesse – il est temps de passer aux étapes suivantes: l’acceptation et la reconstruction. Ce processus sera difficile, mais il peut aussi être une opportunité de croissance et de résilience. Pour réussir ce processus, nous devons cependant être brutalement honnêtes avec nous-mêmes…   

Donald Trump est un critique virulent de l’Union européenne (UE), l’accusant régulièrement de protectionnisme économique, d’inefficacité bureaucratique et d’une relation commerciale inéquitable avec les États-Unis. Bien que sa rhétorique soit souvent abrupte et controversée, il faut avouer que certaines de ces critiques ne sont pas totalement infondées.

L’une des principales accusations de Trump concerne les barrières commerciales que l’UE imposerait aux produits américains tout en bénéficiant d’un accès privilégié au marché des États-Unis. En réponse, Trump menace l’UE d’imposer des droits de douane et d’engager une guerre commerciale, comme il vient de le faire à l’encontre du Canada, du Mexique et de la Chine. L’UE n’est certainement pas un des plus mauvais élèves en termes de respect des règles du commerce international. Ceci dit, lorsque Trump dénonce certaines pratiques, et notamment les barrières non tarifaires telles que les réglementations complexes et coûteuses à mettre en œuvre, le recours aux subventions sectorielles ou encore une fiscalité et une parafiscalité complexes et parfois perçues comme dissuasives, il n’a peut-être pas totalement tort. Ainsi, l’excès réglementaire et la lourdeur administrative sont souvent identifiés comme des freins à l’innovation et des entraves à la croissance économique. Ces mesures visent notamment à préserver la vision européenne de stabilité et d’équité, mais il est crucial de veiller au bon équilibre entre cette vision et le maintien d’un cadre économique favorisant l’entrepreneuriat et l’investissement privé…

Vu de l’extérieur, certaines politiques économiques de l’UE pourraient donc en effet être perçues comme protectionnistes et sont susceptibles de générer des tensions avec ses partenaires commerciaux internationaux. Qui plus est: la mise en œuvre de certaines de ces politiques est aussi contestée à l’intérieur de l’UE car elles empêchent l’allocation efficiente des ressources et peuvent, par conséquent, avoir un effet négatif sur le potentiel de croissance de l’UE.   

Implicitement, Trump critique également le modèle économique axé sur les exportations, tel qu’il est pratiqué par certains États membres. À cet égard, il convient de rappeler une évidence: l’UE constitue un marché intérieur de 450 millions de consommateurs, 20 États membres utilisent l’euro et le potentiel de croissance «endogène» de l’Europe est avéré. Or, le renforcement du marché intérieur, la mobilité du capital et de la main-d’œuvre ainsi que la réduction des déséquilibres macroéconomiques internes à la zone euro ne semblent plus vraiment être une priorité de l’UE. Depuis la crise financière et de la dette souveraine (2008-2014), la centralisation économique a certes été renforcée, sans que cela ne produise de bénéfices économiques tangibles et dans certains domaines, on observe même une certaine tendance à la renationalisation du marché intérieur (notamment dans le domaine des services financiers). 

La leçon à retenir? L’UE doit mieux équilibrer ses relations commerciales avec les États tiers, augmenter la résilience de son modèle économique et réduire sa dépendance des exportations afin que ses politiques économiques ne finissent pas par l’éloigner des alliés clés comme les États-Unis. Fin janvier, la Commission européenne a fait un premier pas dans la bonne direction en annonçant une simplification de certaines réglementations – notamment dans le domaine de l’ESG – et de nouvelles mesures pour renforcer la compétitivité de l’économie européenne. Une première étape encourageante, mais pour l’instant, je ne retiens pas mon souffle…

Enfin, Trump ne cesse de dénoncer le sous-investissement des pays européens en matière de défense, notamment au sein de l’Otan. Il leur reproche de s’appuyer excessivement sur le soutien militaire des États-Unis tout en négligeant leurs propres engagements. Bien que sa méthode de pression sur ses alliés soit conflictuelle, voire agressive, il est difficile de lui donner tort sur le fond. Le débat sur les dépenses militaires rappelle d’ailleurs celui sur les investissements dans la santé publique pendant la pandémie de Covid-19: à chaque crise, les décideurs politiques constatent que l’allocation de dépenses publiques est inadéquate pour permettre à l’UE et ses États membres de relever les nouveaux défis de façon adéquate. Pourtant, confrontés à la «Realpolitik» et à la difficulté de dire «non», les vieux schémas et structures perdurent, au détriment d’une réallocation des ressources plus conforme aux nouvelles priorités – que ce soit la santé, la sécurité ou l’innovation et la croissance.  

Ainsi, les critiques de Trump, bien que contestables sur la forme, pointent des faiblesses réelles que l’Europe ne peut plus continuer à ignorer. Or, si l’UE et ses États membres arrivent à transformer ces attaques en opportunité d’introspection et l’introspection en actions politiques concrètes, en s’attaquant aux déséquilibres commerciaux, en rationalisant la bureaucratie ou en restructurant les budgets pour permettre aux finances publiques de relever les défis du 21e siècle, le choc provoqué par l’élection de Trump peut s’avérer tout à fait bénéfique. En prenant ces défis à bras-le-corps, l’UE pourra consolider sa position sur la scène mondiale, enlever toute substance qu’il pourrait y avoir à la critique de Trump, maintenir des relations constructives avec ses partenaires et plutôt que de vouloir «Make Europe Great Again», faire en sorte que l’Europe reste pertinente sur la scène internationale.

Cette chronique reflète mes opinions personnelles et ne saurait être interprétée comme représentant la position ou les prises de position de Banque Raiffeisen.