Acquisition après acquisition, tout allait bien… jusqu’au moment où plus rien ne va. Les premiers signaux d’alerte se sont matérialisés avec l’envolée de l’inflation, dopée par l’invasion de l’Ukraine. La combinaison d’une hausse brutale des taux d’intérêt, du prix du gaz et de l’électricité, et d’un recul de la demande en 2023 a précipité le basculement. Ardagh, qui avait déjà scindé sa division d’emballages alimentaires métalliques dans une coentreprise – Trivium – dont il détient encore 42%, s’est retrouvé surendetté. Son ratio dette nette/Ebitda est passé de 4,7 à 6,8, avec une dette bondissant de 5,8 à 8,6 milliards de dollars. Parmi les causes: l’émission de 600 millions de dollars d’obligations vertes garanties à 6% (échéance 2027), et l’acquisition pour 663 millions de dollars du groupe sud-africain Consol Holding Property.
Fin décembre 2024, selon le rapport annuel publié en février, la dette atteignait 10,6 milliards de dollars, soit 7,4 fois l’Ebitda. Et ce malgré un prêt d’urgence de 1,04 milliard de dollars consenti en avril 2024 par le fonds Apollo Global Management… à 9% d’intérêts (!). Une opération destinée à refinancer une obligation de 700 millions de dollars arrivant à échéance cette année, tout en rachetant une partie de la dette à un meilleur prix. Le paiement de cette dernière portion est ainsi reporté à 2029.
En dehors de son endettement, les résultats d’Ardagh ne sont pas catastrophiques. Le groupe, qui exploite 59 sites de production dans 16 pays et emploie quelque 19.000 personnes, a généré 9,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 1,27 milliard d’euros d’Ebitda. Mais il traîne depuis des années des ratios d’endettement à la limite du soutenable.
Tractations et poursuites judiciaires
Ce lundi, comme à son habitude, le groupe Ardagh – d’origine irlandaise mais luxembourgeois d’adoption – a publié un communiqué laconique, renvoyant les médias vers un cabinet de communication basé en Irlande. On y apprend que le groupe «continue de s’engager dans des discussions constructives avec le groupe SUN et le groupe SSN des détenteurs de billets, concernant les termes d’une transaction potentielle visant à mettre en place une structure de capital durable. La mise à jour présente la dernière proposition reçue du groupe SSN et la contre-proposition du groupe au groupe SSN au cours de ces discussions. Aucune proposition n’a été acceptée à ce jour et l’examen de la structure du capital du groupe est en cours.»
Pour mémoire:
- le groupe SUN regroupe les détenteurs d’obligations non garanties – ceux qui ont le plus à perdre;
- le groupe SSN rassemble les détenteurs d’obligations garanties – juridiquement mieux protégés, et donc plus difficiles à faire bouger.
Le communiqué précise également que «certains détenteurs d’obligations senior à 4,750% échéance 2027 ont engagé des poursuites contre certains membres du groupe. Ardagh estime que cette plainte est infondée et entend se défendre vigoureusement.»
De nouveaux administrateurs
Fin 2024, un groupe de détenteurs d’obligations a proposé d’injecter 1,2 milliard de dollars en échange d’une prise de participation majoritaire, ne laissant qu’environ 20% du capital d’une nouvelle entité à la division Metal Packaging. Un scénario pris au sérieux, notamment à la lumière des départs, en fin d’année, de quatre dirigeants de la holding financière luxembourgeoise ARD Finances, là où sont logées les obligations les plus risquées: Paul Coulson (fondateur et actionnaire à 36%), le président du conseil Herman Troskie, le CFO John Sheehan et Yves Elsen.
Ils ont été remplacés par deux administrateurs luxembourgeois spécialisés en restructurations: Johannes de Zwart et Manuel Baldauff, selon des sources proches du dossier. Plus tôt, en août 2024, Ardagh avait déjà annoncé la nomination de Stefan Schellinger comme nouveau CFO à compter du 1er septembre. Ce dernier dispose de plus de 25 ans d’expérience, notamment chez ContourGlobal et Essentra.
Face à la crise, Ardagh a relancé la vente de sa participation dans Trivium. À l’automne 2024, le fonds Platinum Equity était en négociations avancées pour racheter la coentreprise pour plus de 3,5 milliards de dollars, ce qui permettrait à Ardagh d’empocher environ 1,5 milliard. Le groupe a aussi cédé des actifs non stratégiques (comme l’usine de Wilson) et avait déjà partiellement introduit en bourse sa branche Ardagh Metal Packaging sur le NYSE en 2021, sans que cela ne suffise à régler le problème structurel de la dette.
Sur le plan industriel, la rationalisation est brutale. En Amérique du Nord, plusieurs usines de verre ont été fermées ou mises en veille entre 2023 et 2024:
- Wilson (Caroline du Nord): 337 suppressions de postes;
- Simsboro (Louisiane): 245 suppressions;
- Seattle (Washington) et Houston (Texas): plus de 200 personnes affectées par site.
En Europe, Ardagh a annoncé fin 2024 une réduction de capacités touchant environ 320 salariés en Allemagne et aux Pays-Bas, avec la fermeture du site de Drebkau (Allemagne). Des lignes de production ont aussi été fermées à Doncaster (Royaume-Uni), selon des médias.
Les discussions en cours laissent entendre que le ratio d’endettement pourrait être ramené entre 5x et 6x l’Ebitda. C’est loin d’être idéal, mais cela permettrait au groupe de souffler un peu. De là à espérer un redressement rapide? En pleine tempête boursière et sous pression réglementaire (notamment liée aux executive orders américains), l’incertitude demeure.