La configuration des trois superordinateurs du Luxembourg donnera au pays un avantage unique, a esquissé la ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des Médias et de la Connectivité, Elisabeth Margue, lors la deuxième édition du Data Summit Luxembourg. (Photo: LNDS/Sophie Margue)

La configuration des trois superordinateurs du Luxembourg donnera au pays un avantage unique, a esquissé la ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des Médias et de la Connectivité, Elisabeth Margue, lors la deuxième édition du Data Summit Luxembourg. (Photo: LNDS/Sophie Margue)

Avec Meluxina HPC, Meluxina-AI et Meluxina-Q, le Luxembourg sera dans une position unique au monde de trois superordinateurs à trois fonctions différentes mais complémentaires qui se renforcent les uns les autres. La taille du pays sera un avantage décisif si le projet est bien «vendu».

Mars paraît bien loin. Cinq ans après la présentation de la première stratégie sur l’intelligence artificielle du Luxembourg, par le Premier ministre de l’époque, (DP), et son ministre de l’Économie, (LSAP), la mise à jour de ce double document est d’autant plus attendue que les autres pays en pointe ne nous attendent pas. Ou ne nous ont pas attendu pour avancer.

Deux ans avant la première stratégie luxembourgeoise, la Chine avait déjà décidé d’être le leader mondial de l’IA dès 2030, en capitalisant sur une énorme quantité de données grâce à sa population et son écosystème numérique bien développé. Aujourd’hui, six des dix plus gros détenteurs de brevets sur l’IA générative sont chinois (Tencent Holdings, Ping An Insurance Group, Baidu, Académie chinoise des sciences, Alibaba Group et ByteDance) ou même treize si l’on prend les 20 plus grands groupes (BBK Electronics, Netease, Huawei, Université Tsinghua, Université Zhejiang, China Mobile, State Grid), et pourtant la planète continue de parler des Américains – et souvent du seul ChatGPT d’OpenAI – alors qu’IBM est le leader américain des brevets, devant Alphabet, Microsoft et Adobe. Et qu’il y a fort à parier que les big tech vont profiter de leur cash pour acheter tout ce qui leur manque dans la chaîne de valeur à un moment ou à un autre.

Autre acteur à surveiller: Singapour, six millions d’habitants, avait lancé sa Smart Iniative dès 2014, puis en 2017, dotée de 110 millions d’euros pour favoriser la recherche autour de trois acteurs (l’Agence pour la science, la technologie et la recherche, l’Université nationale de Singapour et l’Université technologique de Nanyang). Outre ses investissements dans des centres de données avancés et une connectivité 5G, assurant une base solide pour les projets IA, puis la création de sandbox réglementaires pour permettre aux entreprises de tester des technologies émergentes dans un environnement contrôlé, Singapour a publié son «Modèle de gouvernance de l’IA», un des premiers du genre au monde, dès 2020.

La taille du Luxembourg et ses infrastructures numériques existantes constituent des atouts structurels qui contribueront aux efforts coordonnés à l’échelle de l’ensemble du gouvernement en matière d’IA, de données et de technologies quantiques.
Elisabeth Margue

Elisabeth Margueministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des Médias et de la Connectivité

Comment exister ou se positionner par rapport à ces milliards d’investissements? En pensant «petit», comme «petit pays». Et dans ce secteur, c’est très loin d’être idiot. Surtout maintenant que le pays a une infrastructure (réseau et centres de données) de premier plan et que les financements sont assurés à 50% en moyenne par l’Union européenne.

«La taille du Luxembourg et ses infrastructures numériques existantes constituent des atouts structurels qui contribueront aux efforts coordonnés à l’échelle de l’ensemble du gouvernement en matière d’IA, de données et de technologies quantiques. Grâce à ces atouts, il sera possible de progresser et d’expérimenter des solutions plus rapidement que les grandes nations. Notre objectif n’est pas simplement d’être les premiers, mais de livrer des bénéfices tangibles à nos citoyens et entreprises dans les meilleurs délais. En 2023, notre vision commune consistait à élaborer trois stratégies intégrées pour préparer le pays d’ici 2030», a annoncé la ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des Médias et de la Connectivité,  (CSV), lors la deuxième édition du Data Summit Luxembourg.

La ministre savait déjà que le Luxembourg était retenu par l’initiative EuroHPC Joint Undertaking pour accueillir un supercalculateur optimisé pour l’intelligence artificielle, baptisé «MeluXina-AI», et établir une AI Factory (usine d’IA).

MeluXina-AI sera opéré par LuxProvide, déjà responsable des supercalculateurs MeluXina et MeluXina-Q (futur ordinateur quantique), et intégré au réseau EuroHPC, disait le communiqué de presse publié par le gouvernement à l’issue de sa réunion hebdomadaire. En parallèle, Luxinnovation assurera la coordination des activités de l’AI Factory, qui s’appuiera sur cette infrastructure pour stimuler l’écosystème national d’IA.

C’est là que se cache le «secret»: Meluxina HPC, Meluxina-AI et Meluxina-Q ne sont pas trois Ferrari alignées devant un hôtel de luxe pour un étalage de richesse, mais un ensemble technologique dans lequel chacun peut nourrir l’autre avec la plus faible latence au monde – et la latence, dans ce monde à des milliards de millions de calculs, a besoin d’être la plus petite possible.

Imaginons pour résoudre un problème très difficile, comme prédire le climat de la planète dans 50 ans ou concevoir de nouveaux médicaments complexes, que le HPC soit comme une énorme usine de calcul avec des milliers de travailleurs (les processeurs et cartes graphiques). Cette usine est capable de faire très, très rapidement des milliers de calculs en parallèle. Dans cette énorme usine, on embauche des «super-contremaîtres intelligents» (l’IA) qui savent lire les données, reconnaître des motifs et apprendre du passé. Ces contremaîtres ne remplacent pas la force brute de l’usine, mais ils l’aident à travailler beaucoup plus efficacement. Le calcul quantique, c’est un peu comme engager une petite équipe de spécialistes dotés d’outils radicalement nouveaux. Ces spécialistes (les ordinateurs quantiques) ne sont pas là pour tout faire à la place de l’usine et de l’IA, car ils sont encore rares, chers et fragiles. Mais ils peuvent apporter des solutions inédites à certains problèmes particulièrement tordus, impossibles ou trop longs à résoudre, même avec une usine géante.

Comment les trois technologies s’imbriquent, du centre de données, tout en haut, à l’utilisateur, tout en bas, en passant par les différentes étapes. (Schéma: Thierry Labro)

Comment les trois technologies s’imbriquent, du centre de données, tout en haut, à l’utilisateur, tout en bas, en passant par les différentes étapes. (Schéma: Thierry Labro)

Cinq avantages et demi

Quand les trois sont réunis, l’IA peut rapidement orienter le HPC vers les opérations les plus utiles tandis que le HPC peut à son tour entraîner et améliorer les modèles d’IA plus vite; le quantique peut être sollicité sans attendre de longs transferts de données pour résoudre une partie spécifique du problème. Et comme le quantique est très sensible au «bruit» et aux imperfections du matériel, le HPC peut simuler des circuits quantiques et modéliser le «bruit» et appliquer lui-même des mesures correctrices du bruit. Le HPC peut aussi prendre un rôle actif en récupérant les résultats du calcul du quantique, en détectant les déviations liées au bruit et envoyant une séquence optimisée pour corriger ces bruits et cette boucle vertueuse finit par rendre les résultats plus fiables.

Deuxième avantage qui prend aussi un sens particulier dans le contexte international où les cyberattaques explosent: les trois technologies réunies et travaillant de concert, il est plus facile de mettre en place des mesures de sécurité et de garantir la confidentialité des données (particulièrement sensibles dans le domaine industriel, scientifique ou médical).

Troisième avantage: avoir ces technologies sur un même site permet de créer un pôle d’excellence. Cela attire des chercheurs, des ingénieurs, des entreprises et des investisseurs. Ces derniers profitent de la synergie pour développer de nouveaux produits, services ou algorithmes. Le Luxembourg peut ainsi se positionner comme un hub européen et mondial de référence, stimulant la recherche et l’économie locale.

Les projets industriels, scientifiques ou institutionnels peuvent passer plus rapidement de l’idée à la mise en œuvre. Les cycles d’expérimentation, de test et d’itération sont accélérés par cette proximité technologique. Les gains de temps se traduisent au final en gains financiers, avantages compétitifs, et impacts plus rapides sur la société (par exemple, trouver plus vite des médicaments innovants, améliorer les prévisions météorologiques, optimiser des chaînes logistiques complexes, etc.).

Enfin, même si tous les projets n’en ont pas besoin de la même manière, le Luxembourg a aussi une offre de cloud souverain, où les données sont inaccessibles à des acteurs étrangers avec Luxconnect, pour l’offre la plus radicale. Et un écosystème de recherche bien positionné, du List au SnT et à l’Université du Luxembourg. Sans compter la mise en réseau, au niveau européen. 

En établissant les bases pour des données intelligemment connectées, contextualisées, rapidement disponibles et sécurisées, le Luxembourg a l’ambition de se positionner à court terme comme l’un des leaders européens dans le domaine des données, a assuré la ministre de la Digitalisation et ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, (DP), toujours à la deuxième édition du Data Summit Luxembourg au European Convention Center.