«Jetez tout ce qui touche à Starlink à la poubelle! Profitez-en pour jeter votre Tesla! Et tout ce qui concerne Elon Musk!»
La cérémonie officielle touchait à sa fin, dans l’auditorium de l’Euro Space Center, près de Bruxelles, lorsque Gilbert Brassard a surpris les organisateurs en remontant sur scène. Le pas est hésitant, mais l’esprit est vif et le verbe acéré comme un poignard.
«J’ai la sensation d’avoir été trop court!» justifiait le père de la cryptographie quantique… en 1984.
«Nous avons la chance d’avoir l’Agence spatiale européenne à proximité. La cryptographie quantique nécessite une infrastructure qui n’est pas encore en place, une infrastructure à deux niveaux. Un niveau terrestre reliant les nœuds entre eux et, pour les distances continentales, un niveau spatial permettant la transmission vers de plus petites structures.
L’un des nœuds capables de recevoir ces messages quantiques sera celui de l’ESA, ici. On peut même imaginer que le télescope qui captera ces communications soit installé sur le toit de Nexova ou même d’Idelux. Ce pourrait être le nœud principal pour la Wallonie, la Belgique, le Luxembourg, voire tout le Benelux.»
Lors de sa première intervention déjà, celui qui a intégré l’Université de Montréal à 13 ans… pour ne plus jamais la quitter sauf pour obtenir un doctorat en informatique théorique à l’université américaine Cornell, découvrant Albert Einstein et posant les bases de la cryptographie quantique, avait déjà délivré un inhabituel message politique. Devant un amphithéâtre aux anges.
Il faut que le Canada et l’Europe s’unissent contre la menace de cet impérialisme croissant qui menace l’intégrité de la démocratie mondiale d’une façon que nous n’avons jamais connue jusqu’à maintenant.»
« La situation géopolitique mondiale a été ébranlée et pourrait l’être encore pour plus de quatre ans… Mais le principal message que j’aimerais vous transmettre, c’est l’importance cruciale, pour l’avenir de la démocratie, que l’Europe fasse front commun avec le Canada. Vous savez probablement tous que celui dont le nom, à l’instar de Voldemort, ne peut être prononcé a la prétention d’annexer le canal de Panama et le Groenland par la force militaire, et le Canada par l’économie. Il est essentiel que le Canada et l’Europe s’unissent face à la menace de cet impérialisme croissant, qui met en péril l’intégrité de la démocratie mondiale d’une manière inédite jusqu’à aujourd’hui. »
C’est ainsi que s’exprimait le chercheur, lauréat d’une dizaine de prix internationaux de premier plan, dont le prestigieux prix Wolf.
« L’un des aspects fondamentaux pour protéger l’Europe et le Canada est de garantir la confidentialité des communications face à d’éventuelles attaques terroristes pouvant provenir de pays autrefois alliés. Ces attaques pourraient cibler des infrastructures électriques, hydrauliques ou spatiales… Malheureusement, la méthode employée depuis une quarantaine d’années – ce petit cadenas qui apparaît dans votre navigateur pour vous faire croire que vos communications sont sécurisées alors que ce n’est absolument pas le cas – repose sur des hypothèses qui semblaient raisonnables à l’époque.
Aujourd’hui, nous savons que l’ordinateur quantique disposera d’une puissance suffisante pour anéantir entièrement cette sécurité. Et la situation est encore plus grave que vous ne l’imaginez. Actuellement, des entités ennemies stockent déjà des communications et des données chiffrées, en attendant que l’ordinateur quantique soit opérationnel pour tout savoir de nous. »
Celui qu’un article de blog de l’Université de Montréal comparait à Cassandre – capable de prédire l’avenir sans jamais être écoutée ni entendue – poursuivait: « La seule chose, et la chose essentielle, que nous puissions faire, c’est sauver le futur! La cryptographie quantique, que j’ai eu la chance d’inventer avec Charlie Bennett il y a plus de 40 ans, avant même que la menace quantique ne soit révélée, est notre unique solution. Au passage, c’est en 1994 – soit dix ans après notre invention – que Peter Shor a découvert comment utiliser un ordinateur quantique pour casser les algorithmes de chiffrement classiques. »
Depuis, les deux hommes ont continué à développer leurs technologies respectives, avec des perspectives totalement différentes.
« Aujourd’hui, ma présence ici est une opportunité unique pour faire de cette région un centre, voire un des centres clés, de la protection des infrastructures du futur. Ce laboratoire marque le point de départ de la mise en place de nœuds essentiels qui assureront d’abord la sécurité de la Wallonie, puis de la Belgique, du Luxembourg et du Benelux. On peut espérer une protection complète des infrastructures – mais pas encore des individus. »Il s’exprimait en présence de plusieurs personnalités luxembourgeoises, parmi lesquelles le CEO de Clarence, Pascal Rogiest, et Laurent Probst, partner chez PwC.4o
Car ce vendredi après-midi, au cœur de la Wallonie et en présence du ministre-président Adrien Dolimont, la zone située à l’arrière du célèbre Euro Space Center poursuit son développement en tant que cluster de la cybersécurité avec l’ajout de deux nouvelles infrastructures: un cyber range avec un simulateur de crise et un laboratoire de cryptographie quantique. Toutes deux sont mises gratuitement à disposition des institutions et des entreprises afin de soutenir leurs travaux de recherche ou de former leurs équipes à faire face aux menaces croissantes en matière de cybersécurité.
Le concept du premier est bien connu au Luxembourg, où l’armée luxembourgeoise s’est dotée d’un Cyber Range en 2021. Il s’agit d’une salle ressemblant aux centres de contrôle d’antan pour le lancement des fusées, équipée de grands écrans et de postes de travail disposés en demi-lune. Nexova, qui a elle-même investi 20 millions d’euros dans un site situé à une centaine de mètres de là, destiné principalement à des clients institutionnels, est capable de « répliquer » diverses infrastructures – qu’il s’agisse de fournisseurs d’eau, d’énergie ou d’hôpitaux – afin d’identifier leurs points de vulnérabilité face aux cybermenaces. L’objectif est de permettre aux équipes de s’entraîner à mettre en place des processus et des protocoles pour savoir comment réagir en cas d’attaque.
Une petite salle adjacente, conçue pour simuler des situations de crise, pousse même l’expérience plus loin. Elle est capable d’affoler n’importe quelle équipe, y compris des experts chevronnés, afin de les placer sous une pression intense et de leur faire ressentir le stress d’une véritable attaque. L’objectif: qu’ils soient mieux préparés lorsque ce type de menace, inévitable, se produira réellement.
L’administrateur-délégué de Nexova Cyber, Emmanuel Adant, a annoncé aussi le lancement imminent d’un «bouclier quantique» qui concernerait aussi le Luxembourg et notamment la place financière, sans aller plus loin dans les détails techniques.
À l’étage inférieur, c’est Thales qui a fourni le matériel du laboratoire de cryptographie quantique, une petite pièce dans laquelle des chercheurs spécialisés en cryptologie quantique et post-quantique peuvent tester leurs solutions dans des conditions optimales, sans aucun risque d’interférence.
C’est précisément dans ce laboratoire qu’entrera en jeu le bébé de M. Brassard, le protocole BB84, l’un des premiers protocoles de distribution de clés quantiques. Comment expliquer cela simplement? Un laser émet des photons, des particules de lumière, sur des bases rectilignes ou diagonales. Si quelqu’un tente d’intercepter ces photons, leur état change instantanément, ce qui permet de détecter toute tentative d’espionnage et d’abandonner ces clés compromises avant qu’aucune information ne soit échangée. En théorie, ce système rend toute communication inviolable. Il reste désormais à en faire la démonstration physique pour garantir la sécurité des communications du futur.
«Vous savez», dit-il avec malice en aparté, tout en exprimant sa fierté d’avoir été choisi pour incarner cette destinée européenne et mondiale, «au Canada, si l’on donne le nom de quelqu’un à un bâtiment et que cette personne est décédée, il faut ajouter un tiret entre son nom et son prénom. Je peux vous demander, si jamais il m’arrive quelque chose, de vous assurer qu’il y aura bien un tiret?»