Quelles sont, selon vous, les dates qui ont le plus marqué l’histoire d’Hifi International au cours des 50 dernières années?
«La première date fondatrice, bien sûr, c’est 1975, année de création d’Hifi International. J’ai récemment eu l’occasion d’échanger avec son fondateur, Jacques Niedercorn, qui m’a raconté avec passion les débuts de l’entreprise: les premières négociations avec les clients, et surtout cette volonté de rendre accessibles les nouvelles technologies, alors très centrées sur la hi-fi.
D’autres étapes ont ensuite marqué l’histoire de l’enseigne: en 1998, son rachat par Photo Hall; en 2012, son intégration dans le groupe Krëfel; puis en 2013, l’acquisition de Darty au Luxembourg. Enfin, en 2019, le rachat par Boulanger est venu assurer la pérennité de la marque.
C’est ce mélange de cultures qui fait qu’Hifi, 50 ans plus tard, est une entreprise solide, qui a su évoluer en même temps que ses clients et ses produits. Car malgré les changements, la marque est restée la même, profondément ancrée au Luxembourg, aussi bien auprès des résidents natifs que d’adoption.
Vous évoquez un fort ancrage au Luxembourg. Concrètement, à quoi ressemble votre clientèle aujourd’hui?
«Pour faire simple, notre clientèle se répartit à parts égales entre résidents luxembourgeois et clients internationaux. Cette proportion varie cependant en fonction de nos neuf magasins. Par exemple, celui de Foetz, situé au sud, attire davantage de clients français, du fait de la proximité avec la frontière. À la Cloche d’Or, le profil est nettement plus international, tandis que dans nos magasins de Pommerloch ou de Massen, proches de la frontière belge, on retrouve une proportion plus importante de clients venus de Belgique.
Puisque vous attirez déjà une clientèle frontalière, l’ouverture d’un magasin de l’autre côté de la frontière pourrait-elle faire partie de vos projets?
«Ce n’est pas à l’ordre du jour. En France, c’est Boulanger qui représente notre marque; en Belgique, c’est Krëfel. Quant au marché allemand, il est plus concurrentiel, avec des acteurs très bien installés comme MediaMarkt, qui reste l’un des leaders européens. Cela dit, le digital nous permet déjà de dépasser les frontières: une part significative de notre activité en ligne provient de clients français, belges ou allemands.»
Le commerce physique ne disparaît pas, il évolue. Il se recentre sur ce qui fait sa véritable valeur: la proximité, la relation client et l’expérience autour du produit.
Justement avec l’essor du digital, le commerce physique est-il en perte de vitesse, ou avez-vous su adapter votre offre pour préserver l’attractivité de vos magasins?
«Le commerce physique ne disparaît pas, il évolue. Il se recentre sur ce qui fait sa véritable valeur: la proximité, la relation client et l’expérience autour du produit. Le digital, lui, est un outil pratique – pour comparer, trouver un prix, commander facilement – et nous l’avons pleinement intégré, notamment avec des solutions comme la livraison à domicile.
Mais cela ne remplace pas l’expérience en magasin. Sur place, les clients attendent du conseil, un échange humain – une vraie personne, pas un chatbot. Ils veulent voir le produit, le manipuler, être rassurés. C’est particulièrement vrai pour certaines catégories comme le gros électroménager, qui représente un investissement important. On ne change pas de machine à laver chaque année et ce ne sont pas des produits que l’on maîtrise toujours, contrairement à un smartphone, par exemple.
Proposez-vous parfois des politiques de prix différenciées, avec des promotions spécifiques en ligne ou en magasin, pour capter certains profils de clients?
«Notre approche repose avant tout sur l’omnicanalité. L’objectif est que l’expérience soit cohérente, quel que soit le point d’entrée. Ce que le client voit en ligne, il doit pouvoir le retrouver en magasin. Appliquer des politiques de prix différentes selon les canaux reviendrait à considérer qu’il s’agit de publics distincts. Or, aujourd’hui, les consommateurs passent naturellement de l’un à l’autre. Ce qui compte, c’est de satisfaire le client: s’il veut une expérience digitale, on l’accompagne sur le digital; s’il préfère venir en magasin, on lui offre la meilleure expérience possible sur place. Les deux mondes doivent offrir le meilleur.
Vous évoquiez tout à l’heure que chaque résident luxembourgeois se trouve à moins de 20 minutes d’un de vos magasins. Cela signifie-t-il que vous avez déjà parfaitement maillé le territoire, ou reste-t-il des zones à couvrir?
«Avec nos neuf magasins répartis sur l’ensemble du territoire, on peut effectivement dire qu’un résident luxembourgeois se trouve toujours à moins de 20 minutes d’un point de vente. Cela dit, il reste des zones où notre présence pourrait être renforcée. Nous sommes, par exemple, peu implantés au Kirchberg ou dans le centre-ville de Luxembourg, où certains concurrents sont déjà bien installés. Mais ce sont des arbitrages économiques: il faut que le modèle soit viable pour justifier une ouverture. Globalement, notre maillage est solide, même s’il pourrait être affiné à certains endroits. Aujourd’hui, notre priorité est de renforcer notre présence digitale, notamment pour les produits de plus petite taille que les clients souhaitent pouvoir commander rapidement en ligne. C’est dans ce domaine que se concentrent actuellement nos principaux investissements.
Quels sont ces principaux axes d’investissement?
«Le plus important, dans un parcours digital, c’est d’éliminer toute forme de friction. Dès qu’un utilisateur rencontre un obstacle – une page trop lente à charger, un bouton mal placé – il risque d’abandonner son achat ou de se tourner vers un concurrent. C’est pourquoi nos investissements se concentrent en priorité sur l’ergonomie de la plateforme et l’optimisation de l’expérience utilisateur.
Nous avons également lancé un vaste chantier de digitalisation de l’ensemble de l’entreprise et de ses processus. Avec le soutien du ministère de l’Économie, nous avons débloqué des ressources pour changer notre logiciel de gestion d’entreprise, vieux de plus de 15 ans. Accompagnés par une société luxembourgeoise (Captivea, ndlr), nous allons mettre en place un nouveau système d’information qui nous permettra de travailler en temps réel à tous les niveaux. Par exemple, dès qu’un stock arrive à l’entrepôt il sera immédiatement visible sur internet. Lorsqu’un client achètera un produit en magasin, il recevra sa facture immédiatement et pourra, sans délai, noter son expérience ou le produit.
On a toujours des projets. On est en permanence à la recherche d’opportunités et attentifs à là où nos clients souhaitent nous retrouver. Donc oui, il pourrait y avoir des surprises dans les mois qui viennent.
Donc si je comprends bien, aucun nouveau magasin n’est prévu dans les années à venir?
«Je n’ai pas dit ça! On a toujours des projets. On est en permanence à la recherche d’opportunités et attentifs à là où nos clients souhaitent nous retrouver. Donc oui, il pourrait y avoir des surprises dans les mois qui viennent.
Les produits évoluent, tout comme les attentes des consommateurs. On n’achetait sans doute pas les mêmes choses il y a 50 ans qu’aujourd’hui. Comment vous adaptez-vous à ces changements?
«Nous avons la chance d’évoluer sur un marché extrêmement dynamique. Aujourd’hui, rien n’est plus essentiel dans un foyer qu’un réfrigérateur, une machine à laver ou un smartphone. Notre mission, c’est précisément d’accompagner ces usages. Dès qu’une nouvelle technologie émerge, notre rôle est de la référencer, de la proposer en ligne comme en magasin, et surtout de former nos équipes pour qu’elles puissent guider les clients dans sa découverte et son adoption. Prenez l’intelligence artificielle, qui s’intègre désormais dans de nombreux produits, ou les airfryers, devenus très populaires récemment. Pendant la pandémie, les robots de cuisine étaient particulièrement demandés. Avant cela, il y a eu les téléviseurs 4K, l’arrivée de l’iPhone… Tous ces produits ont été disponibles chez nous dès leur lancement.
Y a-t-il des produits que vous ne commercialisez pas encore, mais que vous envisagez d’intégrer à votre offre dans les années à venir ?
«Un segment en forte croissance actuellement, ce sont les tondeuses-robots. Nous ne les proposons pas encore, mais c’est un produit qui nous intéresse. Ils demandent une certaine pédagogie, parfois une installation spécifique. On réfléchit donc à notre légitimité sur ce type d’offre, surtout dans un contexte où d’autres enseignes, spécialisées dans l’aménagement extérieur, les proposent déjà.
Même réflexion du côté de la mobilité. Les véhicules sont de plus en plus connectés, presque comme des iPhones sur roues. Est-ce qu’à terme, nous pourrions proposer certains types de véhicules ou de nouvelles formes de mobilité? C’est une possibilité. Nous avons déjà commencé à intégrer des produits comme les trottinettes électriques.
Testez-vous certains de ces produits ou services dans un seul magasin afin d’évaluer leur potentiel avant de les généraliser ?
«Oui, tout à fait. Nous avons notamment notre magasin de Bertrange, qui est un peu plus grand que les autres, avec trois étages. C’est un point de vente où nous menons davantage d’expérimentations. Nous y avons par exemple développé une offre très poussée autour du gaming et du montage de PC sur mesure. Un expert est présent sur place pour assembler des machines personnalisées en fonction des besoins de chaque client. Dans nos huit autres magasins, on propose bien sûr des PC de gaming, mais pas sur le même niveau de personnalisation.

Jean-Philippe Allain, ex-directeur digital de Boulanger, dirige Hifi Luxembourg depuis juin. (Photo: Eva Krins/Maison Moderne)
Si vous deviez citer trois produits phares parmi vos meilleures ventes actuelles, lesquels retiendriez-vous?
«Il y a effectivement des produits phares, mais il faut aussi tenir compte des effets de saisonnalité. À l’approche de l’été, les clients cherchent à rester au frais chez eux, alors qu’en hiver, ce sont les solutions de chauffage qui dominent. Cela dit, il y a des produits qui tirent le marché toute l’année. Les smartphones et notamment les iPhone, restent des best-sellers constants. Ces dernières années, on a aussi vu un vrai engouement pour les air fryers, qui ont changé les habitudes de cuisine à la maison. Et bien sûr, les télévisions font toujours partie de nos produits phares. On est d’ailleurs le leader au Luxembourg sur ce segment.
Quelles sont aujourd’hui vos principales initiatives en matière d’écologie?
«La Big Collect, c’est l’une de nos initiatives les plus importantes. Elle repose sur un principe simple: récupérer les produits qu’on a mis un jour sur le marché. Chaque année, on vend des milliers de machines à laver, de téléviseurs… L’enjeu, c’est que ces produits ne finissent pas dans la rue ou dans des décharges, sans être recyclés. Mieux encore: certains peuvent avoir une seconde vie. L’été dernier, nous avons lancé une boucle fermée de reconditionnement. Cela signifie que certains appareils récupérés sont remis en état, puis remis en vente dans certains de nos magasins. Ce n’est pas ce qui représente la majorité de nos ventes – loin de là – mais cela permet de répondre aux attentes d’une clientèle soucieuse de son impact environnemental. Une machine à laver reconditionnée, c’est jusqu’à deux fois moins d’impact carbone, puisqu’on évite d’en produire une nouvelle.
Dans le prolongement de vos engagements écologiques, avez-vous aussi prévu d’électrifier votre flotte de livraison?
«Notre flotte (neuf camions de livraison, ndlr) n’est pas encore électrifiée. Aujourd’hui, ce ne sont pas encore des véhicules électriques, notamment parce qu’ils effectuent de longues distances et que les investissements restent conséquents. Cela dit, il s’agit de véhicules récents et l’électrification de la flotte fait naturellement partie de nos réflexions.
À votre arrivée, vous avez évoqué une «offre premium» chez Hifi. Qu’entendiez-vous par là exactement?
«Le terme premium est souvent associé à des produits coûteux, mais ce n’est pas du tout ce que j’entends par là. Pour moi, une offre premium, c’est avant tout une expérience premium. Peu importe que le client achète un réfrigérateur à 500 euros ou à 2.000 euros: l’essentiel, c’est qu’il reparte avec un produit adapté à ses besoins, bien installé, qu’il sache l’utiliser, et qu’il ait un interlocuteur clair en cas de souci. Le service ne s’arrête pas à la vente. Nos installateurs peuvent intervenir de nouveau si nécessaire, notre service client est disponible et nos vendeurs sont formés pour accompagner chaque client de manière personnalisée.
Comment parvenez-vous à recruter des talents?
«Nous mettons un accent particulier sur la formation et la détection des talents. Par exemple, nous travaillons avec plusieurs lycées professionnels, au Luxembourg comme en France, pour accueillir des jeunes en alternance ou en recherche d’emploi. Aujourd’hui, l’ancienneté moyenne dans l’entreprise est d’environ dix ans. C’est une moyenne qui masque une grande diversité: nous accueillons régulièrement de jeunes profils, parfois sans expérience, pour renforcer nos équipes. À leurs côtés, nous avons aussi des collaborateurs avec 20, 25, parfois même 30 ans d’ancienneté. Ce sont eux qui transmettent la culture de l’entreprise. Mais l’inverse est vrai aussi: les plus jeunes forment parfois les plus anciens, notamment sur les nouvelles technologies.
Qu’avez-vous mis en place chez Hifi pour fidéliser les collaborateurs qui travaillent les samedis ou les dimanches?
«Dans le retail, c’est une réalité: le samedi est l’un des jours les plus importants – sinon le plus important – pour nos magasins. Certains de nos points de vente sont également ouverts le dimanche, avec une organisation spécifique. C’est le cas notamment à Pommerloch où à la Cloche d’Or. Côté conditions de travail, nous avons prévu des dispositifs dans notre convention collective. Travailler le dimanche donne droit à un repos compensatoire dans la semaine, ce qui est souvent apprécié.
Mais surtout, travailler le dimanche représente un véritable levier de pouvoir d’achat. La rémunération atteint près de 180% du taux horaire moyen. Certains collaborateurs choisissent d’ailleurs volontairement de travailler dans ces magasins ouverts le dimanche, précisément pour cette raison.
Sur nos plus gros points de vente, comme Pommerloch, le dimanche peut représenter jusqu’à 20% du chiffre d’affaires de la semaine.
Vous évoquiez l’importance du dimanche en magasin. Concrètement, quel poids représente-t-il dans votre chiffre d’affaires hebdomadaire?
«Sur nos plus gros points de vente, comme Pommerloch, le dimanche peut représenter jusqu’à 20% du chiffre d’affaires de la semaine.»
La question des langues est particulièrement sensible au Luxembourg. Comment abordez-vous cette dimension dans vos magasins?
«Oui, c’est essentiel. Si, au sud du pays, on ne parle pas français, c’est compliqué. Si, au nord, on ne maîtrise ni l’allemand ni le luxembourgeois, cela devient vite un frein. Et à la Cloche d’Or, qui accueille une clientèle très internationale, la maîtrise de l’anglais est indispensable. C’est pourquoi les compétences linguistiques font systématiquement partie de nos critères de recrutement.
Mais nous allons plus loin: nous avons récemment lancé des cours de langue en interne pour permettre à chaque collaborateur d’acquérir, au minimum, les bases du luxembourgeois. Car lorsqu’on se revendique comme une marque locale, parler luxembourgeois devient un vrai atout, notamment par rapport à d’autres enseignes qui ne l’intègrent pas forcément.
Dans chacun de nos magasins, nous nous assurons qu’il y ait au moins un collaborateur qui parle luxembourgeois, un qui parle allemand et un qui parle anglais. Et parfois davantage: à Ingeldorf, par exemple, tous nos collaborateurs parlent portugais, pour satisfaire les besoins de la clientèle.
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Pour conclure, si vous deviez résumer les 50 dernières années d’Hifi International en un seul mot, lequel choisiriez-vous? Et quel mot utiliseriez-vous pour les 50 prochaines?
«Pour les 50 dernières années, le mot qui représente le plus l’entreprise, c’est ‘local’. Hifi International est une marque profondément ancrée au Luxembourg, connue de tous. Présente au coin de la rue depuis un demi-siècle, elle a su gagner la confiance des clients, qu’ils soient de souche ou d’adoption. Cette proximité, cette fidélité, résume parfaitement notre parcours.
Et pour les 50 prochaines années… je pourrais choisir le même mot. Parce que notre ambition reste la même. Mais ce local, il doit s’enrichir de technologie. L’enjeu des années à venir, c’est de faire le lien entre proximité et innovation. D’utiliser les outils numériques pour être encore plus accessibles, plus efficaces et pour continuer à transmettre notre savoir à nos clients. En somme: rester proches, tout en allant plus loin.»