Que pensez-vous des initiatives qui mettent les femmes en avant?
. – «Tout ce qui fait avancer la représentation de la moitié de la population dans les instances de décision est crucial. Mais il ne suffit pas de vouloir mettre les femmes sur la dernière marche. Il faut surtout améliorer le développement de carrière des jeunes femmes, adapter l’éducation et les formations pour que leurs contributions et compétences deviennent visibles et leur nomination dans les organes décisionnels naturelle.
Êtes-vous favorable aux quotas?
«Personnellement, j’ai effectué un grand revirement. Quand j’ai commencé ma carrière, j’étais totalement contre. Aujourd’hui, je suis radicalement en faveur des quotas parce qu’ils obligent les décideurs à se poser les bonnes questions et à ne pas se contenter de dire: ‘Nous ne connaissons pas de femmes.’ Les hommes et femmes qui me disent cela, j’ai envie de leur rire au nez. Les quotas entraînent une professionnalisation dans la sélection des membres du conseil d’administration. Cela profite in fine à la qualité des décisions du conseil car cela ajoute d’autres sensibilités et compétences aux boards. Je suis donc pour les quotas. Mais il ne s’agit pas seulement de siéger dans un board. Il faut pouvoir prendre la parole, être écoutée, se sentir ‘empowered’. Pour cela, il faut trois femmes dans un board, c’est le minimum.
C’est un sujet clivant. Pour beaucoup de femmes, ces quotas vont à l’encontre des principes de mérite et de compétence…
«C’est vrai que c’est clivant mais il suffit de prendre des femmes qui ont du mérite et des compétences. Dans ce cas, les quotas sont juste un moyen de transition. Depuis qu’il y a des quotas dans certains pays, les statistiques de représentation s’améliorent. Quant aux compétences, croyez-vous vraiment que dans les conseils d’administration sans femme, on ait forcément les compétences nécessaires? C’est présomptueux de dire qu’avec les quotas, on irait à l’encontre du mérite et des compétences. Je suis persuadée que le contraire est tout aussi vrai.
Est-ce que les choses évoluent assez vite, selon vous? Comment accélérer le mouvement?
«Non, clairement, nous n’allons pas assez vite. Je préconise une vraie prise de conscience du bénéfice de la diversité que beaucoup d’études ont déjà démontré. Puis il ne faut pas limiter ces réflexions aux boards: elles valent aussi pour les comités de direction, les managers, les équipes. Hommes et femmes décideurs doivent prendre leurs responsabilités dans les politiques d’avancement de carrière dans les formations sur les biais inconscients, dans la représentation des genres dans les médias et le narratif culturel des entreprises.
Quels sont les autres leviers qui pourraient être actionnés?
«L’éducation formelle et non formelle ainsi que la visibilité des rôles modèles sont primordiales. Prenons les livres pour petits enfants où les héros sont des hommes forts tandis que les héroïnes attendent leur prince charmant. Dans la littérature, les femmes jouent un rôle d’appoint ou de convoitise, ou, pire, sont maltraitées. Est-ce que cela rend justice aux capacités et au rôle capital de transmission de culture que les femmes jouent dans nos sociétés? Pour rééquilibrer cette image, de la femme et de l’homme, il faut avoir le courage d’adresser la problématique de façon claire en se donnant des plans d’action concrets.
Mais il ne suffit pas d’éduquer nos filles à être capables et fortes en plus d’être belles et mignonnes. Encore faut-il permettre à nos garçons de rester capables et forts tout en acceptant d’être sensibles et collaboratifs, et leur permettre de développer des compétences et d’accéder à des rôles souvent réservés aux femmes.
Trois ‘C’ sont nécessaires pour toute innovation: conviction, commitment and courage.
Dans votre secteur d’activité, on a l’impression que les choses ont évolué plus vite. En 2023, l’Ordre des avocats faisait état de 49% de femmes pour 51% d’hommes. Qu’est-ce qui y a contribué?
«Aujourd’hui, sur les bancs des universités de droit, il y a beaucoup de femmes, beaucoup plus encore que celles qui accèdent au barreau. Nous sommes plus proches des 70% pour les métiers juridiques. Mais les statistiques sont trompeuses car nous perdons beaucoup de femmes qui quittent le barreau pour des métiers plus faciles à concilier avec une vie de famille ou plus valorisants pour leur compétence managériale. Le surplus de femmes dans le domaine juridique est sans doute une conséquence de leur sous-représentation dans les métiers de la finance et des STEM en général.
Avec un leadership assuré par un trio féminin, la question de la parité ne semble plus se poser chez Elvinger Hoss Prussen… Comment avez-vous insufflé cet esprit?
«Dans les années 1990, la première associée femme était Martine Elvinger, puis moi. Ce n’est donc pas moi au départ qui ai insufflé cet esprit mais les associés hommes de l’époque qui ont mis un accent fort et ont admis des associés femmes et nous ont donné leur confiance et la plateforme pour développer notre carrière. Par la suite, ensemble, nous avons su attirer et retenir de jeunes avocates extrêmement talentueuses et engagées qui sont aujourd’hui des leaders incontestées dans leurs domaines d’activité à côté de leurs pairs masculins. Je me permets de rebondir sur le mot ‘insufflé’ que vous utilisez. Il y a eu un peu plus qu’un souffle, j’aime bien rappeler les 3 C qui sont nécessaires pour toute innovation: conviction, commitment and courage. Les trois ne manquent pas aux hommes et femmes qui composent notre étude. Seule, je n’y serai jamais arrivée.
Au-delà des quotas, va-t-on assez loin sur le plan politique, avec des mesures qui favorisent la carrière des femmes, par exemple?
«Lorsque je regarde le pourcentage de femmes parmi nos leaders politiques ou économiques, il apparaît une disproportion évidente. Si nous regardons le seuil de pauvreté des femmes par rapport à celui des hommes (je précise le niveau de revenus disponibles, pas le niveau de rémunération par heure), nous retrouvons la même disproportion. En revanche, si nous regardons les statistiques des victimes de violence, nous retrouvons les femmes en haut du palmarès. Donc, oui, je crois qu’il faut faire plus, et un des leviers qui est encore souvent oublié (en plus de l’éducation et des indicateurs de performance sur la diversité), c’est de s’attaquer plus résolument aux fléaux de la violence physique et morale envers les femmes et les conséquences qu’elle peut avoir sur leur carrière.
Quelle est votre définition du féminisme?
«Le féminisme, c’est la résolution que l’homme est l’égal de la femme. Donc, je suis très féministe, parce que je suis convaincue que l’homme est l’égal de la femme!
Vous êtes vice-présidente de la Croix-Rouge. Pourquoi cet engagement?
«Mon engagement vient d’une grande dame, ma maman. Elle était active au sein de la section locale. Je suis arrivée à la Croix-Rouge à travers son engagement. J’y suis restée pour les valeurs et les grands principes de la Croix-Rouge. J’ai passé tous les échelons du bénévolat, la quête, les fêtes, le Bazar, la présidence de la section locale… Je suis toujours active à la section locale, mais a repris la présidence avec bravoure. Je suis davantage active au niveau du conseil où je suis vice-présidente.
Fédérer des équipes est mille fois plus percutant que d’avoir de la poigne.
Une femme Premier ministre serait une avancée marquante, selon vous?
«Certainement, un milestone formidable. Un role model et une vision différente. Tous les pays n’y sont pas prêts. Les États-Unis, clairement, ne le sont pas.
Et le Luxembourg?
«L’électorat me semble prêt. La question est: est-ce que la classe politique y est prête? Nous avons tout de même de très belles carrières politiques féminines comme , , ou Colette Flesch, sans parler des ministres actuelles avec des ressorts importants. Toutes sont des role models.
Lors des élections, ce sont désormais des binômes hommes/femmes qui se présentent. Est-ce une avancée?
«Je ne sais pas si c’est pour des raisons électorales ou par conviction. Il est encore rare que l’unique ticket soit une femme.
Dans vos fonctions, avez-vous ressenti des freins ou des défis du fait d’être une femme? Faut-il forcément montrer plus de poigne?
«Je n’aime pas parler de poigne. Je suis très déterminée, mais je n’appellerais pas ça de la poigne. Mon atout est de conjuguer détermination et collaboration. Fédérer des équipes est mille fois plus percutant que d’avoir de la poigne.
Le cabinet a fêté ses 60 ans en 2024. Comment maintenez-vous votre position de leader alors que la concurrence entre cabinets est de plus en plus forte?
«La qualité de nos services et l’engagement des hommes et femmes qui composent notre équipe sont nos plus grands atouts. La clé pour nous est d’avoir une stratégie complète et une clientèle à laquelle il faut offrir le meilleur service, en complément du meilleur conseil.
Comment?
«En restant agiles et proches de nos clients et de nos équipes. Nous avons beaucoup de métiers, avec une diversité des genres, des profils et des pratiques qui permettent d’être assez spécialisés et ultra-connectés entre nous afin de travailler très efficacement de façon transversale en interne. Les métiers au sein des cabinets d’avocats évoluent beaucoup. C’est un challenge constant: garder un bon équilibre entre le conseil juridique, le service et l’accompagnement du client.
Avez-vous un exemple concret?
«Oui, tout ce qui a trait à l’intelligence artificielle et aux outils informatiques prend de plus en plus de place. Mais il y a aussi tous les métiers complémentaires aux métiers du conseil et qu’il faut intégrer: le change management, le project management. Ça bouge dans les cabinets d’avocats et c’est super dynamisant.
Quels sont les grands challenges que vous identifiez pour le cabinet et la Place?
«L’over-régulation et pouvoir continuer à se parler pour trouver des solutions pragmatiques. Être un petit pays nous permet d’être agiles. L’attraction et le développement des talents sont évidemment un des très grands challenges.
Comment appréhendez-vous la législation Omnibus qui doit alléger la complexité bureaucratique et les contraintes administratives?
«Une réglementation saine permet le développement des activités des clients et prospects et donc de la Place. C’est ce développement qui est à la source du développement des cabinets d’avocats. Une réglementation perçue comme trop contraignante ou déraisonnable met le développement de la Place à risque et donc aussi celui des cabinets d’avocats.
Une réglementation perçue comme trop contraignante ou déraisonnable met le développement de la Place à risque.
Vous parliez aussi de l’importance de «continuer à se parler pour trouver des solutions pragmatiques». Ce «dialogue» s’est-il perdu?
«Je ne dirais pas que le dialogue s’est perdu, mais il s’est institutionnalisé. Si les acteurs étaient fortement animés par l’idée de faire progresser le pays et la Place dans les années 1980, aujourd’hui, la quête de la rentabilité et certains choix politiques peuvent parfois prendre le dessus. En revanche, nous nous rappelons que c’est le pays et la Place qu’il faut développer, et c’est en cela que nous essayons d’accompagner les autres acteurs. Nous sommes actifs au sein des institutions telles que l’Alfi, LFF, la LPEA et tant d’autres, mais aussi au barreau. Car il ne faut pas oublier que nous sommes avocats. Voilà pourquoi nous nous engageons au plus haut niveau pour maintenir la qualité de notre activité.
Combien êtes-vous aujourd’hui au sein du cabinet et comment définissez-vous votre stratégie?
«Nous avons franchi le milestone des 500 en 2024. Nous avons un bureau à Hong Kong depuis 2012 et à Paris depuis 2023 et nous travaillons avec notre partenaire à New York depuis 2018. Nous ne faisons que du droit luxembourgeois, et donc la promotion du Luxembourg dans ces juridictions, avec un service around the globe, qui fonctionne 24h/24 toujours, dans cette stratégie d’être le plus proches des clients, à l’écoute pour pouvoir réagir promptement avec un travail de qualité. Et pas uniquement lorsque le client nous confie un dossier: nous allons plus loin, nous adressons les nouveautés sur le marché et des pistes pour faire évoluer la stratégie du client.
Dans votre carrière au sein du cabinet, qu’est-ce qui vous rend particulièrement fière?
«D’abord, la qualité du conseil fourni à nos clients à travers la responsabilisation de nos associés, de nos avocats et de chaque membre de l’équipe. Nous attirons les meilleurs juristes qui maîtrisent parfaitement la réglementation et qui guident les clients et proposent des solutions pragmatiques. Puis la qualité de notre équipe qui entoure les professionnels du droit et sans laquelle nous ne pourrions pas offrir le meilleur service aux clients.
Vous parliez aussi des talents comme un challenge, dans les métiers du droit. Comment apprécier la qualité d’un talent qu’on voudrait recruter alors que le métier varie d’un pays à l’autre?
«Le droit est un domaine où les compétences s’exportent peut-être un peu moins facilement que dans l’informatique, par exemple. Nous recrutons dans les universités du monde entier, pour attirer des talents au Luxembourg en leur montrant l’intérêt de nos métiers et de notre place financière. Nous encourageons les juristes à devenir avocats au Barreau de Luxembourg, ce qui leur donne accès à une série de formations complémentaires en droit luxembourgeois, et puis nous offrons beaucoup de formations formelles et non formelles en interne. Nous sommes reconnus dans le marché pour cet effort.
Le fait d’être un cabinet indépendant du ‘petit Luxembourg’ ne doit pas aider par rapport à certains mastodontes qui ont une empreinte mondiale?
«Le challenge est différent mais un cabinet indépendant offre également beaucoup d’avantages compétitifs, et notre indépendance et l’excellente réputation de plus de 60 ans dans le marché restent des atouts de taille.
Qu’est-ce qui a permis ce développement au-delà des frontières?
«Les fondateurs de l’étude, André Elvinger et Jean Hoss en 1964 et avec à partir de 1974, ont misé sur l’excellence du travail juridique et fiscal dès la création du cabinet. Nous avons gardé cette stratégie en misant sur la qualité du service au client et l’encadrement personnalisé de nos équipes. Puis il ne faut pas perdre de vue que nous avons joué un rôle moteur dans le développement de la place financière. Je rappelle à ce titre que nous étions les conseillers du premier fonds d’investissement luxembourgeois à partir de 1966 déjà, et que nous avons travaillé avec le gouvernement et les autorités de surveillance à la première législation luxembourgeoise sur les fonds d’investissement dès 1983.»
Bio express
4 juin 1965: naissance de Manou Hoss
1990: inscription au Barreau de Luxembourg
2006: nommée managing partner d’Elvinger Hoss Prussen
Inclusion
En matière d’inclusion des femmes, Elvinger Hoss Prussen fait figure de référence en Europe. Sur les 500 personnes qui travaillent pour le cabinet, 63% sont des femmes et 45% sont partners. Dans ses rangs, la proportion de femmes se répartit ainsi: 73% de counsels, 58% d’associate lawyers, 56% de senior lawyers et 72% du staff. Le cabinet a nommé pour la première fois une femme associée en 1992. Manou Hoss est, quant à elle, associée directrice depuis plus de 15 ans.
Distinction
Parmi ses plus récentes distinctions, le cabinet vient d’être classé, en février, parmi les meilleurs du Chambers Global 2025. Le classement repose sur des évaluations basées sur des entretiens avec des clients et confrères. Elvinger Hoss Prussen s’est notamment distingué dans les départements Fonds d’investissements, Banque et Finance, Marchés de capitaux, Entreprises/Fusions et acquisitions, et Capacités internationales transfrontalières, et dans le FinTech Guide 2025. En 2024, le cabinet était aussi classé dans le Legal 500 et l’IFLR 1.000.
Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de , parue le 26 février. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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