Idéalement, croissance économique et maîtrise de l’inflation vont de pair: lorsque l’activité s’accélère, le chômage recule et les risques inflationnistes augmentent, conduisant la Fed à relever ses taux directeurs. À l’inverse, un ralentissement de l’économie s’accompagne souvent d’une modération de l’inflation, permettant ainsi à la Fed de réduire ses taux. Qu’en est-il aujourd’hui?
Actuellement, le scénario économique américain semble se complexifier. Selon une majorité d’analystes, les pressions inflationnistes sont orientées à la hausse, tandis que les perspectives de croissance ralentissent. Ce découplage préoccupant entre inflation et croissance s’explique en grande partie par les tensions commerciales initiées par l’administration Trump.
Le 2 avril, date que Donald Trump a surnommée le «jour de la libération», le président américain annonçait des droits de douane spectaculaires envers l’ensemble de ses partenaires commerciaux, accentuant simultanément les risques de récession et les anticipations inflationnistes. Même si une pause de 90 jours, excluant toutefois la Chine, a été décidée pour faciliter les négociations, le niveau réel des tarifs douaniers attendus reste substantiellement élevé. La Chine est particulièrement visée, avec des droits pouvant atteindre jusqu’à 145%.
Visibilité économique obscurcie
Ces annonces imprévisibles, entre exemptions temporaires et nouvelles menaces, obscurcissent la visibilité économique. À cela s’ajoutent la volonté affirmée de l’administration américaine d’affaiblir le dollar ainsi que ses tentatives de réduire les dépenses publiques.
Résultat: les entreprises naviguent désormais dans une incertitude économique majeure, ce qui freine naturellement leurs investissements et leurs embauches, réduisant ainsi les perspectives de croissance à court terme. Les ménages, quant à eux, sont également préoccupés par cette situation. Craignant une hausse des prix et une détérioration potentielle du marché de l’emploi, ils adoptent une consommation plus prudente, ce qui fragilise davantage la croissance.
In fine, cette combinaison d’incertitudes et de tensions commerciales pourrait entraîner une hausse du chômage, amplifiant ainsi la spirale négative sur l’économie. En parallèle, les tarifs douaniers auront un impact direct sur l’inflation. Les produits importés devenant plus chers, les coûts supplémentaires devront soit être répercutés sur les prix de vente aux consommateurs, soit absorbés par une réduction des marges bénéficiaires des entreprises. Les analystes estiment ainsi une augmentation potentielle de l’inflation sous-jacente de l’ordre de 1 à 2 points. Certes, la baisse des volumes importés et les substitutions possibles peuvent légèrement atténuer cet effet, mais cela restera probablement marginal.
Le choix de la Fed
C’est dans ce contexte complexe que la Fed doit arbitrer ses priorités: privilégiera-t-elle la lutte contre l’inflation ou la protection de l’emploi? Souvenons-nous de l’épisode délicat de 2021-2022, lorsque la Fed avait initialement qualifié l’inflation post-covid de «transitoire», alors qu’elle s’est révélée beaucoup plus persistante.
Aujourd’hui, Jerome Powell, président de la Fed, réaffirme son intention de maintenir les anticipations inflationnistes bien ancrées afin d’éviter que des hausses temporaires de prix ne s’installent durablement. D’autant que, selon Powell, l’économie américaine reste relativement solide en ce début d’année, avec un taux de chômage toujours bas, à 4,2%.
En conséquence, la Fed semble déjà avoir fait un premier choix: maintenir ses taux directeurs à leur niveau actuel afin d’éviter toute pérennisation de l’inflation, avant d’éventuellement envisager une baisse si la pression inflationniste venait à diminuer et que l’emploi se dégradait sensiblement. Pour les marchés financiers, cela signifie concrètement que le fameux «Fed put», cette garantie implicite d’intervention en cas de turbulences boursières, n’est pas d’actualité à court terme. Seul un retour à davantage de clarté économique pourrait apaiser la volatilité actuelle et rassurer les investisseurs.