Nicolas Sopel est Head of Macro Research & Chief Strategist Luxembourg chez Quintet Private Bank. (Photo: Blitz Agency 2023)

Nicolas Sopel est Head of Macro Research & Chief Strategist Luxembourg chez Quintet Private Bank. (Photo: Blitz Agency 2023)

Dans les années 60, la course à l’espace a captivé le monde entier. De nos jours, ce sont les courses à l’intelligence artificielle et au (libre-)échange qui dominent les gros titres et intéressent les acteurs du marché.

La conquête de l’espace a vu les États-Unis et la Chine s’affronter pacifiquement pour asseoir leur dominance lors de la guerre froide. Cette compétition a boosté la croissance économique grâce aux investissements supportant, entre autres, l’innovation technologique, la création d’emplois, les infrastructures et l’expansion industrielle. De plus, les investissements réalisés dans les années 60 ont également posé les bases de la croissance économique future, en particulier dans le secteur technologique.

Le contexte géopolitique actuel est compliqué, et les courses à l’intelligence artificielle et au (libre-)échange sont autant de manifestations des tensions entre les États-Unis et la Chine. Le parallèle avec la course à l’espace est donc aisé. Mais quel impact ces courses peuvent-elles avoir sur l’économie et le marché?

La modération de l’inflation et le cycle d’investissement dans l’IA, que les États-Unis mènent, ont en effet contribué à pousser les actions vers de nouveaux sommets en 2023 et 2024. Le lancement de DeepSeek et les annonces de nouveaux droits de douane ont donc logiquement provoqué une petite onde de choc sur les marchés en ce début d’année, soulevant des questions sur la viabilité des investissements en IA et les risques de retour d’inflation qui pourrait gripper la croissance.

Notre vue sur l’IA reste clairement positive, bien que vigilante, face au risque accru de protectionnisme. Voyons ci-après pourquoi.

Tout d’abord, les développements liés à l’IA soutiennent la croissance de plusieurs manières.  L’augmentation de la demande pour de nouvelles puces, mais aussi le besoin de stocker les données, de les protéger et de les alimenter en énergie en sont des exemples. Il est vrai que cela a certainement été inflationniste même si nous avons toujours pensé que l’adoption de l’IA sera déflationniste à long terme. L’arrivée de DeepSeek pourrait d’ailleurs avoir anticipé cette phase déflationniste. La concurrence accrue obligera les fournisseurs de modèles existants à baisser leurs prix, ce que OpenAI a déjà fait récemment. Cela devrait permettre une adoption plus généralisée, car plus abordable, de l’IA avec en toile de fond la dominance entre les nations sur ce sujet. 

Certes, la volatilité des noms liés à l’IA et des indices boursiers persistera probablement à court terme à mesure que la nouvelle balance des pouvoirs s’établit. C’est pourquoi nous conservons une protection contre les baisses d’actions. À long terme, nous pensons que l’IA restera un moteur structurel de la croissance, en particulier dans le contexte de l’essor du secteur technologique. C’est pourquoi nous restons exposés à ce secteur clé.

Keep calm and carry on

En ce qui concerne le commerce, les annonces de nouveaux droits de douane par l’administration Trump ont non seulement (re)mis à mal le concept de libre-échange mais également mis dans la tête de beaucoup d’acteurs du marché la possibilité d’une inflation repartant à la hausse. Si tel était le cas, nous pensons que cela serait certainement une goutte d’eau comparativement au tsunami qu’a été le Covid.

Qu’on se le dise, le commerce n’a jamais été libre. Les droits de douane existaient déjà au temps de la Grèce, de la Rome antique et des caravanes de la Route de la soie sans jamais empêcher la croissance des économies. En 2018, beaucoup prédisaient un chaos économique quand Trump augmenta les droits de douane. Que s’est-il réellement passé? Les entreprises et les pays ont fait preuve de créativité pour s’adapter. Les chaînes de production ont été délocalisées, les entreprises ont aussi absorbé une partie des coûts et les consommateurs se sont parfois adaptés en se tournant vers d’autres produits quand les prix changeaient sensiblement. À chaque (re)introduction, un réseau de réponses complexes se met en place. La relation entre droits de douane et inflation n’est donc absolument pas linéaire.

À cela s’ajoute l’effet devise. Les monnaies des pays concernés par l’augmentation des droits de douane ont tendance à s’ajuster à la baisse et le dollar à se renforcer. De ce fait, les Américains peuvent continuer à importer plus de produits rendus attractifs grâce à la baisse des devises et la hausse du dollar. En 2018, le DXY, l’indice du dollar américain, s’appréciait de 4,4%. Et finalement, au cours du premier mandat de Trump, le déficit commercial s’est creusé davantage car les Américains ont continué d’importer. Bien que contribuant négativement au PIB quand elles sont supérieures aux exportations, les importations sont un signe d’une économie vigoureuse, comme c’est le cas actuellement aux États Unis. C’est donc une des raisons pour laquelle nous privilégions les actions américaines.

Néanmoins, les effets d’annonce et les changements de posture de Trump créent de l’incertitude. Et cela ne devrait pas s’arrêter. ChatGPT me dit que Trump a généré en moyenne trois à sept headlines sur les droits de douane par semaine lors de son premier mandat sans que cela ne change fondamentalement la direction des marchés. Le chien aboie, la caravane passe.

Ces courses à la dominance présentent à la fois des opportunités et des risques. La cybersécurité est une de ces opportunités que nous mettons en avant dans nos portefeuilles thématiques. Du côté risque, le problème pourrait venir des marchés prenant peur par rapport à l’inflation, ce qui mènerait à une hausse des rendements obligataires et une baisse des actions technologiques. Pensons donc diversification avec, par exemple, une exposition aux indices à pondération égale comme le S&P, aux obligations souveraines en Europe à court terme pour capturer le cycle d’assouplissement monétaire amortissant aussi les impacts hypothétiques sur la croissance. L’or, les matières premières, les bons du Trésor américain indexé à l’inflation sont d’autres actifs permettant la diversification, et les stratégies «d’assurance» basées sur des produits dérivés pourront quant à eux atténuer l’impact de baisses potentielles des actions.