Après deux décennies chez Saint-Gobain, Laurent Guillot, ici au sein de la résidence Récital, à Merl, a rejoint l’ex-groupe Orpea (devenu Emeis) en 2022, quelques semaines après le scandale déclenché par les révélations d’un livre-enquête en France. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Après deux décennies chez Saint-Gobain, Laurent Guillot, ici au sein de la résidence Récital, à Merl, a rejoint l’ex-groupe Orpea (devenu Emeis) en 2022, quelques semaines après le scandale déclenché par les révélations d’un livre-enquête en France. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

De passage à Luxembourg, où son groupe ouvrira une seconde résidence d’ici quelques semaines, le directeur général d’Emeis, Laurent Guillot, raconte comment le géant français des établissements pour le grand âge s’efforce de tourner la page après l’immense scandale Orpea, son ancienne identité.

Opération transparence. Nommé directeur général dans la foulée du scandale né en France des révélations très médiatiques sur les pratiques d’Orpea en matière de maltraitance envers ses résidents et ses personnels comme de malversations financières, Laurent Guillot s’évertue, depuis pratiquement deux ans, à redresser un groupe passé près de la disparition à la suite de l’ouverture d’une multitude d’enquêtes judiciaires. Un groupe, surtout, à la réputation restée endommagée par le livre-enquête «Les Fossoyeurs», déclencheur de tout. Mercredi 22 mai, cet ancien cadre de Saint-Gobain, qui, dans une vie précédente, avait travaillé durant six mois à la tête de l’usine grand-ducale de Bascharage, a effectué sa première visite au Luxembourg, où le géant français des établissements pour personnes âgées est désormais présent, comme dans une vingtaine de pays à travers le monde.

Avant de s’asseoir pour un échange, Laurent Guillot s’est offert une longue visite en immersion dans la résidence Récital, à Merl, et dont les quelque 120 lits mis à la disposition des résidents via des appartements tout confort ou des chambres individuelles équipées ne sont, à ce stade, occupés qu’à moitié (prix de la pension complète: à partir d’environ 3.500 euros par mois). Verdict? Des cuisines à l’espace spa, l’impression d’arpenter les couloirs d’un hôtel 4 étoiles.

Depuis peu, , mais celles d’Emeis («nous», en grec), la nouvelle identité choisie par le groupe. Manière de mieux tourner la page? Le nouvel homme fort l’assure en tout cas: Orpea c’est terminé, et Emeis n’a strictement rien à cacher.

C’est la première fois que vous venez à Merl, vous découvrez la résidence. Que vous inspirent les lieux?

Laurent Guillot. – «C’est un établissement incroyable, l’un des plus beaux du groupe Emeis, avec de très hauts niveaux en matière d’architecture, de capacités d’accueil, de qualité d’accueil, de piscine… Les équipes sont extrêmement motivées et engagées, le chef cuisinier d’une qualité exemplaire. Tout est prêt pour accueillir toujours plus de résidents.

Pourquoi la résidence ne tourne-t-elle qu’à 50% de taux d’occupation?

«On est dans une phase d’ouverture. Un établissement de ce type a besoin de deux ou trois ans pour atteindre un niveau d’occupation normal. C’est la qualité qui prime. Et le bouche-à-oreille.

Vous pensez avoir pâti du scandale Orpea, survenu un an avant l’ouverture?

«On a pâti de la sortie du livre dans l’ensemble des pays francophones. Dans le même temps, on a changé énormément de choses, en France, en Belgique, au Luxembourg, en améliorant la qualité des soins et de l’accompagnement. On a mis les moyens en matière d’accompagnement, d’alimentation, de personnels et d’infrastructure. Il faut que les gens viennent voir par eux-mêmes…

On ne travaille pas en maison de retraite par hasard.
Laurent Guillot

Laurent Guillotdirecteur généralEmeis

À votre arrivée, le groupe était à genoux. Quel a été votre mot d’ordre?

«Le principe a été de remettre notre métier au centre de nos activités. C’est-à-dire prendre soin de nos personnels et prendre soin de nos résidents. Si on ne prend pas soin de nos équipes, elles ne peuvent pas prendre soin de nos résidents, elles vont d’abord se préoccuper d’elles-mêmes. C’est tout à fait normal. La priorité, ça a donc été les personnels, via le dialogue social, des revalorisations salariales, des formations… Énormément de travail de focalisation sur nos métiers, et eux seuls. Et énormément de mesures pour définir ce qu’est la meilleure qualité en matière de soins et d’accompagnement, avec nos équipes médicales et nos équipes soignantes.

Il fallait être un peu inconscient pour accepter cette mission, non?

«Il fallait être courageux, plutôt. J’ai visité des établissements avant d’accepter le défi et j’ai vu, sur le terrain, des équipes très engagées. On ne vient pas travailler dans une maison de retraite par hasard. Ces personnes croient en la solidarité et croient dans l’aide que l’on peut apporter aux personnes en situation de fragilité. Nous, notre rôle, c’est de leur donner tous les moyens afin qu’elles puissent faire leur travail dans de bonnes conditions.

Pourquoi vous a-t-on choisi vous, il y a deux ans?

«Ça, c’est à l’ancien conseil d’administration qu’il faut poser la question! On m’a appelé, j’ai considéré que c’était un magnifique défi. Je viens d’un monde assez différent, je peux donc apporter des choses différentes, à savoir la structure, l’organisation et la méthode d’un industriel. Tout en étant très sensible aux questions humaines.

On est en train de prendre de l’avance par rapport aux autres acteurs, avec des méthodes inspirées de l’industrie.
Laurent Guillot

Laurent Guillotdirecteur généralEmeis

Quelles ont été les décisions les plus difficiles à prendre?

«Il y a un changement de culture à mettre en place. Ce n’est pas propre à Emeis, mais à l’ensemble du secteur. On se doit de rendre le métier attractif. Or, vous savez combien c’est difficile, au Luxembourg comme ailleurs, d’être attractif dans les métiers du soin. Il y a énormément à faire dans la sécurité-santé au travail, dans les revalorisations des rémunérations, dans les conditions de vie… Plein de petits détails qui permettront d’avoir les meilleures équipes. Et quand on a les meilleures équipes, on a les meilleurs soins.

Avant les scandales, aucun de ces détails n’était pris en compte?

«Les budgets de formation étaient très faibles, la préoccupation pour la santé-sécurité des collaborateurs était faible également. Mais c’est une problématique du secteur. Les taux de fréquence d’accidents dans le soin sont, en Europe, beaucoup plus élevés si on les compare à l’industrie. Là, chez Emeis, on est en train de prendre de l’avance par rapport aux autres acteurs avec des méthodes inspirées de l’industrie.

Le groupe a frôlé la disparition. Pour s’en sortir, il est passé sous contrôle de la Caisse des dépôts. Que change le fait d’être ainsi associé au bras armé financier de l’État français?

«Cela nous donne les moyens de continuer la refondation qui est la nôtre. L’augmentation du taux d’encadrement, l’amélioration de la nourriture, etc., cela coûte énormément d’argent. L’entreprise était en difficultés financières, à la fois suite aux investissements gigantesques faits par le passé et par une volonté de mettre plus d’investissements dans le soin et l’accompagnement. On a dû faire rentrer de nouveaux investisseurs. La Caisse des dépôts, mais aussi deux mutualistes français, la Maif et MACSF, qui sont venus nous soutenir. Ensemble, les trois détiennent 50,2% du capital et ont mis 1,350 milliard d’euros dans le capital de l’entreprise. La dette était de 9,5 milliards auparavant, elle est descendue à 4,5 milliards.

Le changement de nom, c’était votre idée?

«C’était une initiative collective et surtout une nécessité pour nos équipes, qui ont énormément souffert au moment du scandale. Le livre ne représente pas ce qu’elles font au quotidien. Changer de nom était un mouvement important pour rapporter de la fierté.

Quelles seront les prochaines étapes de cette refondation que vous dépeignez?

«On a un plan d’amélioration, c’est un travail quotidien dans chacun des 1.000 établissements en Europe. Il faut également que l’on continue à solidifier notre structure financière en poursuivant les cessions immobilières. On vend les immeubles et on reloue à la personne qui nous les achète. Cela permet de récupérer de l’argent frais pour à la fois désendetter l’entreprise, mais surtout pour réinvestir dans nos maisons existantes.

Une deuxième résidence luxembourgeoise, baptisée Gallery, est attendue pour cet automne à Strassen. Y aura-t-il d’autres projets dans le pays?

«L’établissement à Merl n’est pas complet, celui de Strassen n’est pas ouvert, on va donc se concentrer sur leur gestion. Quand on aura pu montrer nos capacités et été acceptés dans le pays, peut-être regardera-t-on d’autres projets, en effet.

Quels sont vos critères d’implantation?

«Le lieu, le lieu, le lieu… La qualité de la localisation, c’est ce que l’on regarde en premier. L’accessibilité pour les soignants et pour les familles. Et l’intégration dans la communauté. Nos établissements doivent être ouverts sur le monde extérieur, de telle sorte que les familles, mais aussi des résidents de courte durée, viennent pour créer une vie et un lien social avec nos résidents.»