Julia Sinnig, chercheuse postdoctorale à la chaire ADA de droit financier de l’Université du Luxembourg (à gauche), et Fatima Chaouche, chargée de cours (vacataire) à l’Université du Luxembourg et référendaire à la Cour administrative (à droite).  Photos: Université du Luxembourg

Julia Sinnig, chercheuse postdoctorale à la chaire ADA de droit financier de l’Université du Luxembourg (à gauche), et Fatima Chaouche, chargée de cours (vacataire) à l’Université du Luxembourg et référendaire à la Cour administrative (à droite).  Photos: Université du Luxembourg

Selon une étude préliminaire qui doit être publiée dans une revue juridique luxembourgeoise, l’absence d’un cadre légal clair pour les contrôles fiscaux porte atteinte aux droits des contribuables et désavantage considérablement les entreprises qui contestent les décisions des autorités fiscales devant les juridictions administratives. 

Une étude en cours sur les contrôles fiscaux au Luxembourg cherche à combler d’importantes lacunes dans la législation fiscale luxembourgeoise en ce qui concerne les contrôles des contribuables. Celle-ci est coordonnée par Julia Sinnig, chercheuse postdoctorale à la chaire ADA de droit financier de l’Université du Luxembourg, et Fatima Chaouche, chargée de cours (vacataire) à l’Université du Luxembourg et référendaire à la Cour administrative, pour les , une revue juridique publiée par l’Université du Luxembourg. 

Les dispositions légales actuelles pour les contribuables faisant l’objet d’un contrôle sont lacunaires, et elles ne sont pas davantage précisées par la doctrine administrative de l’administration fiscale, a expliqué Julia Sinnig: «la loi étant générale, elle laisse un pouvoir discrétionnaire à l’administration pour organiser les contrôles fiscaux».

Elle a également précisé que l’étude était en cours, sans conclusions définitives, et qu’il fallait davantage d’informations publiques sur la manière dont les contrôles fiscaux sont menés. «Cette pratique administrative est très peu connue et nous voulions mieux la comprendre, d’où notre étude. Cela nous permettra d’évaluer si cette pratique administrative est conforme à la loi et, éventuellement, de proposer des solutions normatives.»

Afin de mieux comprendre l’expérience des contribuables avec les autorités fiscales, les deux chercheurs invitent ceux ayant fait l’objet d’un contrôle fiscal . Il n’est disponible qu’en français et sera clos à la fin du mois de juin.

Un cadre légal plus clair donnera aux contribuables le pouvoir de ne pas accepter un avis d’imposition tel quel, de connaître leurs droits et de s’assurer qu’ils sont appliqués au niveau administratif, et pas seulement lorsqu’ils sont soumis à un contrôle juridictionnel.
Julia Sinnig

Julia Sinnigchercheur postdoctoral à la chaire ADA de droit financierUniversité du Luxembourg

Cette recherche intervient alors que le Parlement examine un qui modifiera la loi fiscale luxembourgeoise et introduira de nouvelles procédures applicables aux contribuables. Le projet de loi vise à simplifier et à moderniser les règles régissant la procédure fiscale au Luxembourg, mais certains experts juridiques .

Les contrôles fiscaux sont un fardeau pour les contribuables

Contrairement à d’autres systèmes fiscaux étrangers, les déclarations fiscales soumises aux autorités fiscales luxembourgeoises ne bénéficient pas d’une présomption de régularité. L’administration fiscale doit donc vérifier chaque cas sur la base des circonstances individuelles. Par conséquent, lorsque les autorités fiscales souhaitent contrôler une déclaration et procéder à des investigations, le contribuable est peu préparé à ces contrôles fiscaux.

L’étude montre que les contribuables luxembourgeois faisant l’objet d’un contrôle n’ont souvent pas d’autre choix que de s’y conformer – et de payer plus d’impôts. La seule autre solution étant de saisir la justice et de contester les décisions des autorités fiscales. «C’est un véritable fardeau pour les contribuables. Il existe de nombreux obstacles pour contester l’évaluation fiscale et, dans de nombreux cas, lorsque la différence est relativement faible, il est tout simplement plus facile d’accepter de payer plus», a déclaré Julia Sinnig.

La mise en place d’un cadre juridique plus transparent permettra non seulement de renforcer le droit des contribuables, mais aussi d’alléger la charge administrative qui pèse sur les autorités fiscales, a expliqué la chercheuse. «Un cadre légal plus clair donnera aux contribuables le pouvoir de ne pas accepter un avis d’imposition tel quel, de connaître leurs droits et de s’assurer qu’ils sont appliqués au niveau administratif, et pas seulement lorsqu’ils sont soumis à un contrôle juridictionnel »

Selon un de l’Administration des contributions directes (l’une des trois autorités fiscales du Luxembourg), 49 contrôles fiscaux ont été menés à bien en 2022, tandis que 81 contrôles sont encore en cours.

Les contribuables laissés dans l’ignorance

Dans un examiné par l’étude, un restaurant luxembourgeois qui avait fait l’objet d’un contrôle fiscal par l’administration fiscale luxembourgeoise a déposé un recours auprès du tribunal administratif, compétent pour les recours en matière d’impôts directs.

Le jugement a montré que l’administration fiscale avait envoyé une lettre au restaurant l’informant d’une augmentation de sa base imposable en raison de la comparaison de ses marges bénéficiaires avec celles considérées comme «usuelles» dans des restaurants comparables. Cependant, l’administration fiscale n’a jamais révélé ce qu’elle considérait comme des marges «usuelles».

Les contribuables ne sont pas toujours informés des conséquences de ce qu’ils signent, en particulier lorsqu’il s’agit de permettre aux autorités fiscales de contrôler une période prolongée d’années qui auraient normalement été exclues du contrôle fiscal.
Julia Sinnig

Julia Sinnigchercheur postdoctoral à la chaire ADA de droit financierUniversité du Luxembourg

Le restaurant n’a donc pas été informé des calculs précis effectués par l’administration fiscale. Ce n’est que lorsque le restaurant a porté l’affaire devant le tribunal qu’il a pu contester l’absence de communication de ces marges dites usuelles.

Dans cette affaire, le tribunal a donné raison au contribuable en déclarant que l’administration fiscale «n’a pas respecté son obligation d’informer le contribuable sur ce qu’elle considère comme des marges bénéficiaires ordinaires». «Puisque l’administration ne lui a pas communiqué ces informations, le contribuable s’est retrouvé dans une position moins favorable pour se défendre», a déclaré Julia Sinnig.

L’affaire fait actuellement l’objet d’un appel devant la Cour administrative (juridiction de dernier ressort).

Des contribuables contraints de signer une renonciation

Dans un autre signalé par les chercheuses, les autorités fiscales auraient prétendument forcé un contribuable à signer une renonciation à la prescription afin de pouvoir prolonger le délai qu’elles pouvaient consacrer à leur enquête. Selon les faits relatés dans ce jugement, le contribuable affirmait que l’accès à son rapport de révision (rapport résumant les conclusions du contrôle fiscal) lui aurait été refusé jusqu’à ce qu’il signe ladite renonciation.

«Au cours de notre étude, diverses sources ont confirmé que ce problème autour de la renonciation à la prescription se pose dans la pratique et que les contribuables ne sont pas toujours informés des conséquences de ce qu’ils signent, en particulier lorsqu’il s’agit de permettre aux autorités fiscales de contrôler une période prolongée d’années qui auraient normalement été exclues du contrôle fiscal», a détaillé Julia Sinnig.

Delano a demandé au ministère des Finances s'il souhaitait commenter ou participer à une interview sur les procédures de contrôle fiscal.

Cet article est issu de la newsletter Delano Finance, le rendez-vous hebdomadaire pour suivre l’actualité financière au Luxembourg, en anglais et en français. . Vous pouvez lire cet article en anglais sur Delano.lu.