«Ce forum est un point de départ, il n’est pas une fin en soi», déclare la Grande-Duchesse.  (Photo: Emanuele Scorcelletti)

«Ce forum est un point de départ, il n’est pas une fin en soi», déclare la Grande-Duchesse.  (Photo: Emanuele Scorcelletti)

Le forum international «Stand Speak Rise Up!» s’ouvre ce mardi au Kirchberg pendant deux jours, pour agir à l’égard du viol commis sur le terrain de conflits armés. À l’origine de cette initiative, la Grande-Duchesse explique sa démarche à Paperjam.

La Grande-Duchesse a reçu Paperjam dans le contexte du pour évoquer cette initiative et, plus généralement, ses combats. Une interview à retrouver en version intégrale dans l’édition de mai de Paperjam, à paraître ce jeudi.

Madame, pourquoi vous saisir de l’enjeu du viol en situation de guerre, organiser un premier forum et lancer un appel international?

. - «La conférence donnée en 2016 par le Dr Denis Mukwege (prix Nobel de la paix en 2018, ndlr) à la Philharmonie, ici au Luxembourg, a été un moment-clé. J’ai été bouleversée par son témoignage. Avant cela, j’avais vu un reportage à la télévision française sur l’action qu’il mène dans son hôpital de Panzi, en République démocratique du Congo (le Dr Denis Mukwege est fondateur et directeur médical de l’Hôpital de Panzi en République démocratique du Congo, où, depuis sa création en 1999, plus de 50.000 victimes de violences sexuelles ont été prises en charge, ndlr).

Pour se reconstruire, ces femmes ont besoin de reconnaissance.
La Grande-Duchesse

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Je me suis dit que nous étions face à un problème gravissime sans prise de conscience majeure. J’ai sollicité une entrevue avec le Dr Mukwege lors de son passage au Luxembourg. Nous nous sommes rencontrés au Palais. Il y a tout de suite eu un déclic entre nous, une très bonne entente. Je lui ai demandé ce que je pouvais faire pour l’aider. Il m’a expliqué qu’il venait de fonder un mouvement mondial réunissant des survivantes de violences sexuelles dans les conflits.

Pour se reconstruire, ces femmes ont besoin de reconnaissance, elles ont besoin qu’on leur donne une voix. J’ai proposé au Dr Mukwege d’être mon partenaire pour organiser ce forum, qui poursuit le même objectif que le Mouvement. La réponse favorable a été immédiate!

Quelle était l’ambition de départ du forum?

«J’ai voulu composer un programme que je n’avais jamais vu auparavant dans des conférences internationales, et j’en ai fait beaucoup. Je voulais d’abord que les victimes aient la place centrale et qu’elles prennent la parole. Pas les spécialistes. Je considère que la voix des victimes est la plus importante, qu’elles ont un courage extraordinaire qui nous sert d’exemple et nous donne beaucoup de force.

Ce sont elles qui sont à même de savoir ce dont elles ont besoin. Autour d’elles, j’ai invité tous les représentants nationaux, internationaux et les grandes organisations internationales concernées. Mais je voulais surtout que ce forum soit ouvert à tous les Luxembourgeois et à l’international.

Au départ de ces lignes de force, je le voulais aussi extrêmement vivant. J’aimerais que les personnes qui vont prendre la parole ne soient pas uniquement celles qui sont érudites, mais celles qui savent faire passer un message, qui savent communiquer. Ce forum est un peu mon bébé. J’ai essayé de le rendre passionnant du début à la fin, en contraste avec ce que l’on peut souvent voir lors des conférences internationales sur ce type de sujet.

Nous n’avons pas la prétention d’arrêter les guerres, mais au moins le viol de guerre.
La Grande-Duchesse

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Quelle ambition poursuivez-vous avec l’appel que vous allez lancer?

«Ce forum est un point de départ, il n’est pas une fin en soi. C’est un point de départ sur plusieurs plans. Je lance en effet tout d’abord un appel, car j’ai toujours été étonnée que les personnes qui ont une visibilité à l’international ne soient pas capables de se mettre ensemble face à une thématique aussi grave et de dire ‘stop’, on ne peut plus accepter cela.

C’est ce que je prétends faire avec mon appel, qui recueille l’adhésion et la signature de toutes les personnalités qui nous rejoignent ou d’autres qui soutiennent la cause sans pouvoir être présentes, comme Christine Lagarde. Je veux mobiliser pour dire que nous ne pouvons plus accepter cela. Nous n’avons pas la prétention d’arrêter les guerres, mais au moins le viol de guerre.

Le silence permet l’impunité, c’est le grand problème.
La Grande-Duchesse

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Comment expliquez-vous ce silence qui règne autour de ce crime?

«Le silence permet l’impunité, c’est le grand problème. Mais il y a un ‘avant’ et un ‘après’ le prix Nobel de la paix reçu par Nadia Murad et le Dr Mukwege en 2018. Avant, on évitait la thématique, on ne voulait pas la regarder en face. Or, les victimes ont besoin d’être entendues et de parler. C’est ‘nous’ qui ne voulons pas entendre.

Je suis fière que le G7, qui sera organisé cette année de Biarritz, ait inclus le viol comme arme de guerre et les violences en zones sensibles dans la partie ‘Gender’ de son agenda. J’ai été voir Mme Macron accompagnée de ses conseillers à ce sujet, c’est la première fois qu’ils entendaient parler de la thématique de cette façon. Et ils ont accepté de faire remonter cette préoccupation. Nous voulons rassembler le maximum de personnes autour de nous pour travailler dans la même direction et arriver à faire changer les choses. Plus on sera nombreux à le faire, mieux ça sera.

Comment ancrer ce forum dans le «concret»?

«L’appel est déjà un acte concret. Il y a aussi un moment très important lors de la soirée à la Philharmonie, je l’appelle ‘la réparation’. Les victimes m’ont dit que personne n’avait jamais reconnu de manière officielle ou solennelle l’horreur qu’elles ont vécue.

Si elles veulent se reconstruire, cela passe par là. Ça passe par la reconnaissance internationale de l’horreur qui existe et qu’elles ont vécue. J’ai aussi voulu que la soirée soit suivie par un concert avec Gast Waltzing et l’Orchestre philharmonique du Luxembourg, accompagné de deux chanteuses, Dobet Gnahoré et Morgane Ji, pour fêter la victoire des survivantes!»