Ne parlez pas de nucléaire au Luxembourg: pas sûr, très dangereux en cas de problème et quid des déchets pour des centaines d’années. Mais ailleurs, le sujet intéresse sous un nouveau jour: les petits réacteurs modulaires (Small Modular Reactors ou SMR). Contraints et forcés, les géants de la tech seront forcément des pionniers: en 2007, Google a entièrement compensé son empreinte carbone et vise l’utilisation d’une énergie entièrement décarbonée en 2030, en soignant la question de l’eau utilisée pour refroidir ses data centers; mêmes objectifs pour Microsoft à ceci près que l’entreprise a démarré en 2010 et veut avoir 100% d’énergie renouvelable pour ses centres de données dès l’an prochain; pour Amazon, ce sera 2040 pour l’énergie sans carbone et 2025 pour l’énergie renouvelable…
Ces multimilliardaires ont compris que l’intelligence artificielle allait sérieusement augmenter leur consommation d’électricité jusqu’à ce que Nvidia et consorts commercialisent des puces électroniques encore plus efficaces. Ils se sont intéressés à des technologies nées il y a 80 ans et plus ou moins laissées de côté tant que l’uranium et le pétrole étaient extraits en masse.

L’évolution de la consommation d’électricité en raison de l’IA selon Oklo, le nouveau projet de Sam Altman. (Source: lettres aux actionnaires d’Oklo, 14 novembre 2024)
Une nouvelle fois aux avants-postes, Sam Altman, le fondateur d’OpenAI (ChatGPT), est l’un des principaux investisseurs de la future rockstar du secteur, Oklo. Au premier semestre, la jeune entreprise financée via une Spac devrait avoir son premier permis d’exploiter des autorités américaines pour ouvrir sa première unité de production en 2027, l’Aurora Powerhouse dans le laboratoire national de l’Idaho en 2027. M. Altman croule sous les précommandes, la dernière en date étant aussi l’une des plus importantes à ce jour. Ce mercredi 19 décembre, Oklo a annoncé un deal avec Switch, un fournisseur d’IA, pour déployer 12 gigawatts de projets de centrales électriques Oklo Aurora jusqu’en 2044. Deux géants des data centers ont signé des lettres d’intention pour la fourniture de 750MW.
La particularité de ce projet tient dans le recyclage de combustible nucléaire – qui reste à 95% non exploité dans nos centrales nucléaires actuelles, assure Oklo. «Le recyclage consiste à fissionner les actinides, dont la demi-vie se situe entre des dizaines et des centaines de milliers d'années. Les déchets restants retrouvent après 300 à 700 ans les niveaux de rayonnement de fond normaux des gisements naturels d’où ils proviennent.»
Microsoft avait la première annoncé un accord , visant à produire 50MW ou plus après une période de montée en puissance d’un an, à partir de 2028. À partir de deutérium-tritium qui produit un plasma confiné magnétiquement et pulsé, l’entreprise a déjà construit six prototypes fonctionnels et a été la première entreprise privée de fusion à atteindre des températures de plasma de 100 millions de degrés avec son sixième prototype de fusion. L’entreprise construit actuellement son septième prototype, Polaris, autorisé à fonctionner mais qui a pris un peu de retard par rapport à ses ambitions (fin 2024).
Bill Gates et Jeff Bezos, ces précurseurs
Il y a dix ans déjà que Google avait offert des capacités de calcul à TAE Technologies, avant d’investir, en 2022, dans un tour à 250 millions de dollars avec Chevron. Un investissement, selon TAE, dû au succès de l’algorithme Optometrist développé conjointement avec Google, qui déploie l'apprentissage automatique pour optimiser le fonctionnement des réacteurs de recherche de TAE, faisant ainsi progresser considérablement le rythme de progression et les performances ultimes obtenues. Les étapes programmatiques qui prenaient auparavant bien plus d’un mois peuvent désormais être réalisées en une seule journée. En outre, les entreprises ont développé des capacités révolutionnaires en matière de post-traitement holistique et d’intégration d’un large ensemble de mesures diagnostiques indépendantes pour produire des informations de haute fidélité sur des données expérimentales à une échelle record.
Et si ce n’est pas directement relié à leurs entreprises respectives, Bill Gates a fondé et investi TerraPower dès 2010, entreprise qui elle aussi a obtenu cet été l’autorisation de construire sa première usine, dans le Wyoming, sur le site d’une ancienne mine de charbon. «Je suis fier de tous les partenaires et de toutes les personnes qui ont contribué à la construction du projet nucléaire le plus avancé au monde à Kemmerer, dans le Wyoming. Je crois que l’énergie nucléaire de nouvelle génération de TerraPower alimentera l’avenir de notre nation et du monde», a-t-il déclaré au moment où il a donné le premier coup de pelle au projet, cet été.
Le projet comprend un réacteur rapide refroidi au sodium de 345MW avec un système de stockage d’énergie à base de sel fondu. De quoi augmenter la production du système à 500MW de puissance en cas de besoin, ce qui équivaut à l’énergie nécessaire pour alimenter environ 400.000 foyers. La capacité de stockage d’énergie permet à la centrale de s’intégrer parfaitement aux ressources renouvelables et constitue la seule conception de réacteur avancé dotée de cette caractéristique unique.
En 2011, quasiment en même temps, Jeff Bezos avait mis ses premiers dollars dans un autre projet, canadien, General Fusion, né en 2002 et qui a levé plus de 440 millions de dollars. En construction, sa première centrale, LM26, devrait atteindre son seuil de rentabilité scientifique d’ici à 2026. Mais l’entreprise a réussi une prouesse technologique récemment: elle a réussi à «comprimer» le plasma (un gaz ionisé ultra-chaud) confiné dans un dispositif de forme sphérique, proche d’un tokamak, à des niveaux jamais atteints par l’industrie qui assurent un meilleur rendement énergétique.
Autant d’acteurs qui entendent profiter de l’Advance Act (Accelerating deployment of versatile, advanced nuclear for clean energy), introduit au Congrès américain en 2023, un projet de loi visant à faciliter, accélérer et encourager le déploiement des réacteurs nucléaires avancés. Il promet notamment une simplification administrative prononcée pour les acteurs du secteur avec une autorisation en 18 mois et des réductions d’impôts.
Les acteurs privés ne sont d’ailleurs pas les seuls à vouloir occuper ce terrain. Le ministère américain de l’Énergie pointe deux autres projets, dès 2027 et .
Bien qu’il existe des projets en Europe, le rapport Draghi n’évoque jamais cette possibilité. Le mot nucléaire n’est présent que six fois, toujours collé aux mots «énergies renouvelables» sans aucune stratégie.