Beyond the Frame est la nouvelle exposition présentée au Muséenational dans le cadre du Mois européen de la photographie.  (Photo: Céline Coubray)

Beyond the Frame est la nouvelle exposition présentée au Muséenational dans le cadre du Mois européen de la photographie.  (Photo: Céline Coubray)

Le Nationalmusée présente l’exposition "Rethinking Photography-Beyond the Frame" organisée dans le cadre du Mois européen de la photographie. Une exposition qui permet d’interroger la photo, dans son langage, sa matérialité et sa présentation physique aux visiteurs.

Pas moins de 28 expositions sont organisées dans le cadre du Mois européen de la photographie à Luxembourg (Emop), un événement porté depuis 20 ans par l’association Café-Crème, initiée par Pierre Stiwer et Paul di Felice. La thématique choisie pour lier les expositions de cette édition 2025 est Rethinking Photography. Elle fait suite à Rethinking Nature et Rethinking Identity qui ont été développées les éditions précédentes. À l’occasion de la 10e édition de l’Emop, le Nationalmusée accueille "Beyond the Frame", une exposition qui s’intéresse aux questionnements contemporains sur le langage photographique, ses possibilités et son rôle créatif dans le monde visuel actuel.

Entre abstraction et tridimensionnalité

«Deux thèmes sont principalement développés dans cet accrochage, l’abstraction et la tridimensionnalité de la photographie», explique Paul di Felice, curator de l’exposition avec Ruud Priem, conservateur au Musée national. Ce dernier poursuit: «Nous avons choisi de consacrer une salle par artiste et d’aller de la couleur et la lumière vers des œuvres plus sombres.» Nombre d’œuvres présentées ici interrogent le médium photographique en lui-même. Les visiteurs sont amenés à se poser des questions sur les images qui leur sont données à voir. S’agit-il vraiment de photo ou est-ce de la peinture, de l’aquarelle? «Il y a aussi une interrogation par rapport aux techniques de la photographie. Certains artistes ont choisi de revenir à des méthodes traditionnelles, artisanales, d’autres embrassent pleinement les nouvelles opportunités qu’offre l’intelligence artificielle. D’autres encore mélangent les deux approches», explique Paul di Felice.

L’exposition débute avec les œuvres de Marta Djourina qui réalise d’impressionnants photogrammes. On connaît les travaux de Man Ray utilisant cette technique, mais il s’agissait de petits formats. Marta Djourina, elle, déploie sa gestuelle lumineuse dans une tout autre dimension, bien plus grande, dépassant même parfois la surface du mur pour aller jusque sur le sol.

Vue d’une des œuvres de Marta Djourina (Photo: Céline Coubray)

Vue d’une des œuvres de Marta Djourina (Photo: Céline Coubray)

On retrouve aussi avec plaisir les «tableaux» colorés et abstraits de Jessica Backhaus que l’on avait déjà pu voir lors d’un accrochage à la Arendt House, où Paul di Felice est aussi commissaire. Cette artiste travaille des papiers colorés qu’elle agence en assemblages minimalistes, soumet à de fortes chaleurs, ce qui provoque des déformations, puis qu’elle photographie pour obtenir un rendu qui devient pictural.

 Le parcours se poursuit avec Joost Vanderburg qui présente ici des images fragmentées de paysages. Il utilise différentes techniques d’impression, comme le transfert de pigments ou les tirages à la gélatine argentique sur du papier Washi. Les images photographiques qui servent de point de départ sont fragmentées et transposées sur ces petits papiers pour être recomposées, épinglés les uns à côté des autres et, par l’accumulation de fragments, reformer un tout. Il en découle une image qui navigue entre photo et impression aquarellée, d’une grande sensibilité, avec une poésie contenue.

Une des plus belles découvertes de cette exposition est l’œuvre d’Alice Pallot. Cette artiste s’empare de sujets écologiques, comme la prolifération des algues vertes sur les côtes bretonnes, pour à la fois adresser des questions de société liées à l’anthropocène et réinterroger les méthodes photographiques. Elle travaille en effet à partir, par exemple, de bains d’eaux polluées pour réaliser ses tirages photographiques ou altère ses impressions argentiques par des algues. Ainsi, son travail oscille entre approche documentaire accompagnée par les scientifiques et recherche plastique d’une grande force et cohérence.   

La salle suivante présente trois œuvres de Jorma Puranen, père de l’École d’Helsinki. Dans deux des œuvres présentées, l’expérience sensible supplante la représentation: les paysages nordiques qu’il cherche à capturer se dissolvent dans le reflet de plaques laquées, sublimant le réel et le faisait basculer dans une puissante picturalité. La troisième œuvre interroge plus directement la question de l’archive, un sujet qui a une forte résonance aujourd’hui dans nombre de travaux d’artistes.

À la fin du parcours, on découvre des sérigraphies de Letizia Romanini qui sont des représentations de grottes italiennes faisant référence à ses origines familiales, ou de formations rocheuses qu’elle a captées lors de son tour du Luxembourg en 2021. Elle aborde ainsi des questions d’identité, de mémoire, mais aussi de mutation, de temporalité et de spatialité.

La dernière salle est consacrée à l’œuvre de Joan Fontcuberta. Poursuivant sa recherche autour du vrai et du faux, il interroge encore une fois la réalité et la fiction en prenant comme point de départ une lettre d’un père évangélisateur du 16e siècle où diverses plantes exotiques sont décrites. L’artiste a donné ces descriptions à une IA qui a généré une série d’images représentant ces plantes. Le résultat, matérialisé en tirages photographiques, est très perturbant, tout à fait réaliste, mais pourtant totalement artificiel. Cette dernière salle pose définitivement la question de la véracité des images et de la vigilance à laquelle nous devons plus que jamais nous adonner, tout en continuant de développer notre sens critique.

La scénographie et l’identité visuelle de l’exposition sont signées Reza Kiampour.

Jusqu’au 11 novembre, vernissage samedi 26 avril à 11h.